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Abdelmonem Makki et ses neveux dans le village où il a été élevé au Darfour Sud, au Soudan.

Témoignage : l'ONU présence « salvatrice » face à la tragédie au Darfour

ONU Info/Abdelmonem Makki
Abdelmonem Makki et ses neveux dans le village où il a été élevé au Darfour Sud, au Soudan.

Témoignage : l'ONU présence « salvatrice » face à la tragédie au Darfour

Paix et sécurité

Les habitants de la région turbulente du Darfour au Soudan ont vu dans la mission conjointe de maintien de la paix des Nations Unies et de l'Union africaine (MINUAD) un « sauveur », affirme un rédacteur d’ONU Info qui a grandi au Darfour.

Après 13 ans d'opération dans la région, la MINUAD a officiellement pris fin le 31 décembre 2020 . Le conflit au Darfour a entraîné la mort de quelques 300.000 personnes dans la région en déplaçant des millions d'autres. 

Dans ce témoignage, Abdelmonem Makki, du service en arabe d’ONU Info, revient sur sa vie au Darfour et sur l'impact des Nations Unies.

« Je suis né et j'ai grandi dans un petit village nommé Al-Malam au sud du Darfour et enfant j'ai compris les avantages de vivre en paix dans une société sûre.

Mon père était le maire et le juge du village. C'était un homme sage et il était capable de résoudre toutes sortes de problèmes qui se posaient. Je me souviens avoir vu des gens de partout au Darfour venir chez nous pour le rencontrer.

Les problèmes n'étaient pas nouveaux au Darfour.  Nous étions habitués aux conflits occasionnels entre agriculteurs et éleveurs ainsi qu'aux vols à main armée. Mais ces problèmes étaient résolus dans le cadre des coutumes et des traditions.

Le système d'administration autochtone au Darfour avait une capacité unique à résoudre les problèmes et les chefs tribaux comme mon père ont joué un grand rôle pour désamorcer les tensions entre les groupes tribaux. Ces chefs avaient une énorme influence sur la population et ils étaient respectés et vénérés.
 

Le père d'Abdelmonem Makki (3ème à partir de la gauche) avec d'autres chefs de tribus du village d'Al-Malam dans le sud du Darfour, au Soudan.
ONU Info/Abdelmonem Makki
Le père d'Abdelmonem Makki (3ème à partir de la gauche) avec d'autres chefs de tribus du village d'Al-Malam dans le sud du Darfour, au Soudan.

Le Darfour a été un royaume indépendant pendant de nombreux siècles, avant de rejoindre le Soudan actuel. Il n'avait jamais connu de conflit majeur avant 2003. Les Darfouriens sont décrits comme étant tolérants, généreux et sages. Personne n'aurait imaginer que la situation se déroulerait comme elle se présente aujourd'hui.

Pendant longtemps, les habitants de la région ont parlé d'injustice et de marginalisation par le gouvernement central. Ils se plaignaient du manque d'infrastructures et de la répartition inégale des richesses et du pouvoir. Par exemple, pour se rendre par voie terrestre du Darfour à la capitale du Soudan, Khartoum, il faut des jours, voire des semaines, en raison de l'absence de routes pavées. Il existe des vols, mais ils sont chers et beaucoup de gens ne peuvent pas se les permettre.

C’est pour toutes ces raisons que certaines personnes de la région ont décidé, en 2003, de prendre les armes pour combattre le gouvernement. 

Je n'approuve pas l'utilisation des armes, car les civils finissent par en payer le prix.
Mais de nombreuses personnes ont estimé que les griefs de la population du Darfour auraient dû être traités par le gouvernement d'une manière équitable, basée sur l'inclusion et les droits de l'homme, plutôt que de recourir à des solutions militaires.

Lorsque la situation s'est aggravée, le gouvernement a demandé l'aide des milices, dont beaucoup n'étaient peut-être pas originaires du Darfour. Il existe une phrase courante au Darfour qui dit « ce sont des Arabes et ce ne sont pas des Arabes ».

Témoigner des tragédies familiales

Quand la guerre a éclaté, j'étais à Al-Malam, et j'ai été témoin de nombreuses tragédies. J'ai perdu de nombreux membres de ma famille.

Mon oncle a été tué avec de nombreux autres hommes lors d'une attaque armée contre le village. Sept de mes cousins ont été kidnappés alors qu'ils revenaient pour présenter leurs condoléances suite au décès de mon oncle. Nous ne savons toujours pas où ils se trouvent. Nous ne savons pas non plus où se trouve ma tante qui a également été kidnappée en 2003 alors qu'elle gardait ses vaches. Il est fort probable qu'elle ait été tuée.

Mon oncle a été tué avec de nombreux autres hommes lors d'une attaque armée contre le village.

Dans un autre incident, des milices armées ont attaqué le village de ma grand-mère et ont massacré de nombreux hommes ; seuls quelques-uns ont réussi à s'échapper. Ce fut l'un des événements les plus tragiques qui se soient produits au plus fort de la guerre au Darfour.

Lorsque la MINUAD a été déployée au Darfour en 2007, les habitants de la région ont poussé un grand soupir de soulagement et se sont sentis pleins d'espoir. Ils ont vu la mission comme un sauveur face aux milices pro-gouvernementales qui les tuaient impitoyablement.

C’est vrai que les tueries ne se sont pas arrêtées avec l'arrivée de la MINUAD, mais la présence d'une mission internationale a donné aux Darfouriens un sentiment de sécurité. Ils estimaient que la MINUAD était la seule organisation qui pouvait les protéger et leur fournir des services. Les gens avaient perdu confiance dans le gouvernement.

Quand la mission a ouvert, j'étudiais à Khartoum.  Lorsque je suis rentré au Darfour quelques mois plus tard, j'ai vu combien les gens étaient heureux et reconnaissants de la présence de la MINUAD. Une des scènes qui reste gravée dans mon esprit est celle des enfants déplacés dans les rues qui saluaient les soldats de la paix à chaque fois qu'ils passaient.
 

Deux garçons discutent avec des soldats de la paix de la MINUAD venus d'Éthiopie à Gereida,  zone instable du Darfour Sud, en juillet 2012.
Photo : ONU / Albert González Farran
Deux garçons discutent avec des soldats de la paix de la MINUAD venus d'Éthiopie à Gereida, zone instable du Darfour Sud, en juillet 2012.


Le personnel de la mission s'est intégré à la communauté. On les voyait sur les marchés et dans les lieux publics, interagir avec les gens. À l'époque, les gens leur faisaient plus confiance que le gouvernement lui-même.

Il est vrai que la mission a dû faire face à de nombreux obstacles pour remplir son mandat, mais malgré cela, elle a accompli beaucoup de choses pour la population du Darfour.

Avant tout, elle a sauvé beaucoup de vies. Bien qu'un grand nombre de personnes aient été tuées dans l’ensemble de la tragédie, la situation aurait pu être bien pire sans la MINUAD.

La mission ne s'est pas contentée de protéger les civils. Elle a aidé le Darfour en termes de sécurité et d'économie, en contribuant à la construction d'institutions civiles, en creusant des puits d'eau et en fournissant des emplois aux jeunes chômeurs.

Le travail de la MINUAD m'a personnellement inspiré à travailler pour les Nations Unies. J'étais heureux parce que j'ai vu la réalité des Nations Unies, comment elles ont servi ma région et ont fait une énorme différence dans la vie de tant de personnes ».

MINUAD

  • La MINUAD a été créée en juillet 2017 et a été la première mission de maintien de la paix conjointe des Nations Unies et de l'Union africaine. Son mandat principal était de protéger les civils.
  • Plus de 200.000 militaires et policiers, dont 10.000 femmes, ont été déployés par 75 pays à la MINUAD.
  • 288 militaires, policiers et civils provenant de 31 pays ont perdu la vie au sein de cette mission.
  • La mission a officiellement pris fin le 31 décembre 2020.Le retrait progressif des quelque 8.000 membres de la Mission onusienne, militaires, policiers et civils, doit commencer en janvier.