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Michelle Bachelet : « la Covid-19 a montré nos échecs à investir dans des sociétés justes et équitables »

Un homme, portant une charge sur le dos, dans ce qui d'habitude un quartier d'affaires animé de Katmandou, au Népal. La Covid-19 et le confinement ont durement frappé les gens, de nombreux travailleurs journaliers ont perdu leur seule source de revenus.
ONU Info/Vibhu Mishra
Un homme, portant une charge sur le dos, dans ce qui d'habitude un quartier d'affaires animé de Katmandou, au Népal. La Covid-19 et le confinement ont durement frappé les gens, de nombreux travailleurs journaliers ont perdu leur seule source de revenus.

Michelle Bachelet : « la Covid-19 a montré nos échecs à investir dans des sociétés justes et équitables »

Droits de l'homme

« 2020 est une année qu’aucun d’entre nous n’oubliera. Une année terrible et dévastatrice qui nous a marqué, à bien des égards », a affirmé mercredi la cheffe des droits de l’homme de l’ONU, relevant que la pandémie de Covid-19 a mis à nu « les fissures et les fragilités de nos sociétés, exposant tous nos échecs à investir dans la construction de sociétés justes et équitables ».

 

Faisant le bilan de la gestion de la crise du coronavirus, la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, a rappelé que l’année 2020 a fait « des ravages » non seulement dans toutes les régions et tous les pays, mais aussi sur l’ensemble de nos droits, qu’ils soient économiques, sociaux, culturels, civils ou politiques. « Elle a montré la faiblesse des systèmes qui n’ont pas réussi à mettre l’accent sur le respect des droits de l’homme », a-t-elle ajouté lors d’un discours ouvrant sa conférence annuelle sur la situation et les perspectives des droits de l’homme dans le monde.

« Au cours des 11 derniers mois, les pauvres se sont appauvris davantage et ceux qui souffrent de discrimination systémique sont ceux qui ont le plus souffert », a dit Mme Bachelet. « Si nous avions appliqué le vaccin des droits de l’homme - nous ne serions pas dans un état aussi grave que celui dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui », a-t-elle expliqué. 

« Le vaccin contre la pauvreté, l’inégalité s’appelle les droits de l’homme » 

Selon la Haut-Commissaire, il a été « choquant, mais malheureusement loin d’être surprenant », de constater lors de la pandémie un nombre disproportionné de personnes et de groupes victimes de discrimination. A ce sujet, Mme Bachelet cite les personnes d’ascendance africaine, celles issues de minorités ethniques, nationales ou religieuses, et les peuples autochtones.

L’impact sur les femmes a été également dévastateur, en raison de la terrible augmentation de la violence domestique dans le monde entier. « Dans certains domaines, les droits des femmes risquent un retour en arrière de plusieurs décennies », a-t-elle alerté. Or dans le même temps, « plusieurs des pays considérés comme ayant le mieux géré la pandémie étaient en fait dirigés par des femmes ».

D’une manière générale, le nouveau coronavirus a mis en lumière « notre incapacité à faire respecter au mieux ces droits, non seulement parce que nous n’avons pas pu le faire, mais aussi parce que nous avons négligé de le faire - ou choisi de ne pas le faire ». 

Maintenant même s’il y une lueur d’espoir avec le « développement de vaccins », ces derniers ne peuvent toutefois à eux seuls résoudre la pandémie, ni guérir les dommages qu’elle a causés. « Les vaccins médicaux ne permettront cependant pas de prévenir ou de guérir les ravages socio-économiques qui ont résulté de la pandémie et contribué à sa propagation », a insisté Mme Bachelet.

« Mais il existe un vaccin contre la faim, la pauvreté, l’inégalité et peut-être contre le changement climatique », a-t-elle poursuivi, précisant que « ce vaccin s’appelle les droits de l’homme ». Ses principaux ingrédients sont inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont nous célébrons demain le 72e anniversaire, à l’occasion de la Journée des droits de l’homme.

Michelle Bachelet, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme.
Photo : ONU
Michelle Bachelet, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme.

« Politiser une pandémie de cette manière est plus qu’irresponsable, c’est totalement répréhensible »

La cheffe des droits de l’homme de l’ONU a critiqué l’incapacité des pays à investir dans leur système de santé, la réaction tardive à la pandémie ou le refus de la prendre au sérieux voire le manque de transparence sur sa propagation. « Il est étonnant de constater que, même à ce jour, certains dirigeants politiques continuent à minimiser son impact, en dénigrant l’utilisation de mesures simples telles que le port de masques et la nécessité d’éviter les grands rassemblements », a-t-elle regretté. 

Quelques personnalités politiques parlent même encore avec désinvolture d’« immunité collective », comme si la perte de centaines de milliers de vies était un coût qui peut être facilement encouru pour le bien de tous. « Politiser une pandémie de cette manière est plus qu’irresponsable, c’est totalement répréhensible », a martelé Mme Bachelet.

Pire encore, « au lieu de nous rassembler, la réponse à la pandémie a, parfois, conduit à de nouvelles divisions ». « Les preuves et les processus scientifiques ont été mis de côté, et les théories conspirationnistes et la désinformation ont été diffusées et ont permis – ou même encouragé – la propagation du virus », a-t-elle fustigé. 

Pour la Haut-Commissaire, « ces actions ont plongé un couteau dans le cœur du bien le plus précieux, la confiance : la confiance entre les nations, et la confiance au sein des nations ; la confiance dans le gouvernement, dans les faits scientifiques, dans les vaccins, dans l’avenir ». « Si nous voulons créer un monde meilleur au lendemain de cette calamité, comme l’ont sans doute fait nos ancêtres au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, nous devons reconstruire cette confiance les uns envers les autres », a-t-elle fait valoir.

Tirer les leçons du coronavirus « pour rebâtir un monde meilleur » 

En attendant, « les droits à la liberté d’expression, de réunion et de participation à la vie publique ont été battus en brèche pendant la pandémie ». Et ce, non pas en raison de restrictions de mouvement justifiées pour limiter la propagation du coronavirus mais par les actions de certains gouvernements qui ont profité de la situation pour mettre un terme à la dissidence et à la critique politiques, notamment en procédant à l’arrestation des acteurs de la société civile et des journalistes.

La discrimination est également au cœur d’une autre des caractéristiques de 2020, au moment où « l’injustice raciale et la brutalité policière ont été mises en évidence par l’assassinat de George Floyd et les manifestations mondiales qui ont suivi ». Dans les pays en conflit, la Covid-19 a ajouté une autre dimension à la liste déjà longue des catastrophes en matière de droits de l’homme. « Les avertissements ne manquent pas sur ce qui va se passer au Yémen dans les mois à venir, mais un monde distrait ne fait pas grand-chose pour empêcher cette catastrophe pourtant évitable », a fait remarquer Mme Bachelet.

Face à ce tableau 2020 préoccupant, la Haut-Commissaire a appelé à tirer profit de l’épreuve pour rebâtir un monde meilleur. Elle estime qu’il sera essentiel « de réparer le système fracturé du multilatéralisme pour gérer la reprise ». D’autant que « des réponses nationalistes restreintes ne feront que saper la reprise collective ». Et selon Mme Bachelet, « le premier test sera notre capacité à faire en sorte que les nouveaux vaccins atteignent tous ceux qui en ont besoin ».

La Haut-Commissaire a également fustigé les manquements à assurer un environnement sain pour tous. « Prendrons-nous les mesures immédiates nécessaires pour combattre la plus grande menace existentielle de toutes, le changement climatique ? Espérons que oui. Car si nous ne le faisons pas, notamment en ce qui concerne le changement climatique, 2020 ne sera que la première phase avant le début d’une nouvelle calamité. Nous aurons été prévenus », a conclu Mme Bachelet.