TEMOIGNAGE | Déborah Nguyen : « Faire partie du Programme alimentaire mondial, c’est une passion, une vocation pour moi »

Le Programme alimentaire mondial des Nations Unies (PAM) opère depuis près de six décennies dans les zones en proie aux calamités naturelles ou aux conflits armés pour apporter une aide d’urgence aux populations sans ressources.
Il vient de recevoir le prix Nobel de la paix, une distinction qui montre que la paix et l’éradication de la faim sont indissociables.
Ce prix a été accueilli dans la joie par les employés du PAM.
« C’est un très grand honneur d’avoir reçu le prix Nobel de la paix pour notre organisation puisqu’on travaille très dur et souvent dans des contextes les plus difficiles, dans des contextes de guerre, de catastrophes naturelles », a expliqué Déborah Nguyen, porte-parole du PAM, jointe à Johannesburg, en Afrique du Sud, par ONU info. « C'est une reconnaissance surtout pour le personnel du PAM qui travaille dans des contextes très complexes et aussi parfois très dangereux ».
Les 17.000 employés de l’agence humanitaire onusienne sont dispersés à travers le monde, fournissant une aide à 97 millions de personnes dans 80 pays.
Déborah Nguyen est une jeune femme de 35 ans. Depuis 10 ans, elle travaille pour le PAM, en Thaïlande, au Kenya, en Ukraine, en France puis à Madagascar avant de rejoindre il y a un peu plus d’un an le bureau régional en Afrique du Sud, qui couvre 12 pays d’Afrique australe, et la République démocratique du Congo (RDC).
Pour Déborah Nguyen, tout a commencé un jour en 2010 à Washington, aux Etats-Unis, alors qu’elle avait tout juste 25 ans. Témoignage.
Déborah Nguyen : J'ai rejoint le PAM en tant que volontaire quand j'avais 25 ans. C’est vraiment pour moi une passion. J’étais en stage à l'ONU à Washington pour le Centre d’information des Nations Unies et j'étais une stagiaire de 25 ans qui venait de finir ses études. J'ai entendu, lors d'une réunion de coordination entre les agences de l'ONU pour le tremblement de terre en Haïti, quelqu'un qui parlait de ce que le PAM faisait sur place et qui disait : ‘Voilà, on a distribué tant de tonnes de nourriture aux gens qui ont tout perdu. Ils ont perdu leur maison et n'ont plus rien à manger. Et ça m’a parlé, ça m'a parlé parce que mes parents étaient des réfugiés politiques qui ont fui la guerre au Vietnam en 1975 et j'ai toujours été très sensible à la cause des réfugiés et aux personnes qui sont victimes des conflits et qui doivent tout quitter du jour au lendemain. Donc de pouvoir aider à mon tour ces gens-là, pour moi ça avait beaucoup d'importance.
Et donc j'ai discuté avec cette personne qui était le Directeur du PAM à Washington à l'époque, et il m'a dit : ‘Ecoute si tu es vraiment intéressée on peut aller prendre un café et discuter de ce que fait le PAM’.
Donc on a pris un café pendant une heure. Il m'a raconté un petit peu sa carrière. Mais ce qui m’a marqué, c'est qu'il m'a aussi dit : ‘Mais attention pour une femme ce n’est pas une carrière facile parce qu'il y a beaucoup de sacrifices en termes de vie personnelle. Tu vas devoir te déplacer d'un pays à l'autre et c'est très difficile sans stabilité de pouvoir construire sa vie sa famille’.
Et je me suis dit : Non je me lance, c'est vraiment ce que je veux faire. Ça me parlait, ça me touchait.
J'ai postulé à un stage parce que je savais que ce serait difficile de trouver un poste du premier coup. J'ai donc envoyé mon CV à tous les bureaux du PAM dans le monde entier. J'ai dû envoyer 200 courriels ce jour-là. J'étais vraiment déterminée.
J'ai obtenu un premier poste en tant que volontaire au bureau du PAM en Asie à Bangkok qui couvrait toute la région Asie, Asie du Sud-Est mais aussi Asie centrale en comptant l'Afghanistan et le Pakistan. J'ai fait un an et demi en Asie où j'ai voyagé au Laos, en Indonésie et au Cambodge.
Ensuite je me suis dit : si tu veux travailler dans l'humanitaire il faut aller en Afrique. Pour moi l'Afrique ça a toujours été une terre de cœur, ça a toujours été un continent qui m'a beaucoup fasciné. Donc j'ai postulé. Pareil, j’ai envoyé mon CV à tous les bureaux du PAM en Afrique et j'ai fait des interviews, on m'a proposé quelques postes et j'ai fini par dire oui en Somalie. C'était justement la grande crise de la famine de 2011 en Somalie et je me suis dit : voilà il y a vraiment un besoin là-bas et ça m'a touché.
Donc je suis partie pour le Kenya, le bureau du PAM pour la Somalie étant basé à Nairobi pour des raisons de sécurité.
J'ai fait deux ans en Somalie et ensuite je suis partie au siège à Rome et j’ai travaillé sur un projet pour la préparation à l'urgence. C'est un projet très intéressant qui permet au pays de se préparer aux catastrophes naturelles et de mettre en place des outils qui pourraient leur permettre de répondre plus facilement.
Et après un an au siège, je suis partie deux ans en Ukraine. C'était le conflit à l'est de l'Ukraine dans le Donbass et c'était une période hyper intéressante professionnellement mais un contexte aussi très difficile.
Déborah Nguyen : Je peux me rappeler de moments très difficiles. C'était en Ukraine, en plein hiver, il faisait moins 20 degrés et on avait rencontré des familles qui étaient victimes de la guerre et qui se retrouvaient sans rien. Et ce qui m'a vraiment fait mal au cœur c'était de rencontrer des personnes âgées qui se trouvaient vraiment dans une misère et de se dire : voilà on est en Europe, il y a encore la guerre et des gens se retrouvent sans rien à manger. C'était vraiment très difficile de voir des personnes âgées très isolées qui n'avaient pas de famille pour les aider et ça m'a beaucoup touché.
Les moments les plus réjouissants c'est d'aller sur le terrain, même si c'est parfois très difficile de voir la misère, la pauvreté. Mais ce qui est encourageant, en fait, c'est de travailler avec les équipes sur le terrain qui sont vraiment passionnées, qui ont le cœur sur la main. J'ai le souvenir d'une collègue à Madagascar qu'on appelait Mère Térésa de Madagascar parce qu’elle faisait son travail avec tellement de cœur. Ça c'est vraiment quelque chose qui m'inspire et qui me motive.
Pour moi le prix Nobel de la paix, il va à ces personnes-là, à nos collègues qui sont sur le terrain, jour après jour, qui ne dorment pas beaucoup et qui ont sacrifié tellement de leur vie personnelle, qui vivent loin de leurs familles, de leurs enfants, parce qu'ils sont tellement passionnés. Ils se sont donné cette mission, ce rôle.
C'est ça que je trouve vraiment très inspirant pour moi, ce sont les plus beaux moments, passer avec eux à faire une différence, à être à une distribution alimentaire et de voir le sourire des gens, des enfants et de redonner l'espoir. On ne donne peut-être qu’un sac de riz mais quelque part on redonne l'espoir à des familles qui parfois ont vraiment tout perdu.
Déborah Nguyen : Je ne vais pas vous mentir, ça donne de l'énergie, ça donne un sens à notre vie mais il y a des moments difficiles. J'ai fait quelques burn-out en route. Je pense ce qui n’est pas évident, quelque part, de voir autant de pauvreté, de misère parfois qui a été créée par l'homme. Ça c'est très difficile.
Aussi, c'est difficile d'en parler à nos familles, d'expliquer ce qu'on voit, ce qu'on vit. Moi je sais que ça m'affecte encore. Je repense à ces femmes que j'ai rencontrées sur le terrain, ces femmes avec qui j'ai passé du temps parce que j'ai écrit des articles sur elles, parce qu’elles sont dans un projet avec le PAM et je repense à elles. Dans mon appartement à Johannesburg, parfois j'ai du mal à dormir la nuit en repensant à elles et en me disant : est-ce qu'elles vont bien, ont-elles de quoi manger ? Et c'est vrai que quelque part ça laisse des traces.
Je parlais avec ma mère l'autre jour quand on a gagné le prix Nobel de la paix. Elle me disait : ‘Je suis fière de toi mais ça a quand même un coût’. Parce que voilà je n'ai pas de famille, c'est un choix que j'ai fait. Elle me disait : ‘C'est vrai que c'est difficile de te voir seulement une fois par an’. Donc, cette vocation, cette passion, elle a un coût qui est parfois difficile.
Déborah Nguyen : Quelques fois, surtout quand on rencontre des familles et qu'on passe du temps avec elles. On va dans leur maison, on discute avec elles et on comprend un petit peu leur vie au quotidien. Du coup, on se rapproche et forcément ça crée un lien humain. On se sent aussi plus humain. On travaille dans l'humanitaire et c'est pour cela à la base qu'on a choisi cette vocation. Mais oui c'est difficile parfois.
Par exemple, j'ai rencontré une femme qui s'appelait Martha après le cyclone au Mozambique l'année dernière et en fait je l'ai revue cette année un an après le cyclone. Je suis allée la revoir et c'était vraiment un très beau moment. Mais c'était difficile parce que je voyais que malgré l'aide du PAM, ils ont quand même du mal à joindre les deux bouts et ça c'est difficile. Il faut accepter qu'on ne puisse pas sauver la terre entière et ça on est obligé de le reconnaître et d'accepter.
Déborah Nguyen : Moi, je leur conseillerais de bien discuter avec des gens qui travaillent pour le PAM au préalable, pour savoir un petit peu qu'est-ce que ça veut dire de travailler sur le terrain, comment ça se passe. Mais si c'est quelque chose qui leur parle, c'est d’essayer, surtout quand on est jeune. On a la vie devant soi. Il faut voir de ses propres yeux car je pense qu’il n’y a pas vraiment de mots pour expliquer ce que c'est de travailler pour le PAM sur le terrain.
Déborah Nguyen : Personnellement ça me redonne un coup de pouce. De me dire que même s'il y a des jours difficiles, au fond notre mandat c'est de contribuer à la paix et c'est l'idée même des Nations Unies. Donc de savoir qu’on contribue quelque part, à travers la distribution de nourriture, à stabiliser et maintenir parfois la paix dans des pays dont le contexte est très fragile, et bien ça me redonne de la motivation et ça me redonne de l'énergie pour continuer ce travail.