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RDC : Michelle Bachelet dénonce l’ampleur massive et continue des violences sexuelles liées au conflit 

Des femmes assises à l'extérieur d'un dortoir dans un centre pour victimes de violences sexuelles.
Photo IRIN/Aubrey Graham
Des femmes assises à l'extérieur d'un dortoir dans un centre pour victimes de violences sexuelles.

RDC : Michelle Bachelet dénonce l’ampleur massive et continue des violences sexuelles liées au conflit 

Droits de l'homme

La Haut-Commissaire aux droits de l’homme, Michelle Bachelet a dénoncé, vendredi à Genève, la poursuite des violences sexuelles « à grande échelle liées aux conflits » en République démocratique du Congo (RDC), regrettant que pratiquement tous les auteurs de ces crimes soient toujours en liberté. 

Selon le rapport présenté devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, les violences sexuelles liées aux conflits restent étendues, avec 1.376 victimes dont 31% étaient attribuables à des acteurs étatiques.

La province du Nord-Kivu a été la plus touchée, concentrant 40% des cas documentés durant la période examinée. Le document explique, en grande partie, ce fort taux par les confrontations entre groupes armés rivaux dans les territoires de Masisi, de Nyiragongo, de Rutshuru et de Walikale, ainsi que dans les zones limitrophes du parc des Virunga.

Les Forces armées de la RDC ont été les principaux auteurs des violences sexuelles liées aux conflits commises dans le territoire de Beni, dans le cadre d’opérations en cours contre les rebelles des Forces démocratiques alliées (ADF). 

De plus, près de 20% des cas documentés par les équipes de l’ONU durant la période examinée ont eu lieu dans le Sud-Kivu, où le territoire de Fizi a été le plus touché. Les principaux auteurs de violences sexuelles dans cette province étaient des combattants de groupes armés à majorité twa, Raïa Mutomboki et divers groupes Maï-Maï.

Une fille de 17 ans est prise en charge dans un centre de réinsertion soutenu par l'UNICEF pour les enfants associés aux groupes armés, dans l'est de la République démocratique du Congo.
© UNICEF/Vincent Tremeau
Une fille de 17 ans est prise en charge dans un centre de réinsertion soutenu par l'UNICEF pour les enfants associés aux groupes armés, dans l'est de la République démocratique du Congo.

Les groupes armés largement responsables de la hausse considérable des abus enregistrés

Devant le Conseil des droits de l’homme, Mme Bachelet a d’ailleurs regretté que le docteur Denis Mukwege ait été victime de menaces. 

« Suite à une série de menaces, la MONUSCO protège à nouveau le Dr Denis Mukwege - qui a vraisemblablement été pris pour cible en raison de ses appels à mettre fin à l’impunité dont jouit depuis longtemps le pays pour les graves violations des droits de l’homme, y compris les violences sexuelles contre les femmes et les filles dans le contexte du conflit », a déclaré Mme Bachelet. 

D’une manière générale, ses services continuent à observer des menaces contre les défenseurs des droits de l’homme, les membres de la société civile et les journalistes, des détentions arbitraires et des actes de harcèlement. Il s’agit généralement d’abus signalés principalement au niveau provincial. 

Selon la cheffe des droits de l’homme, les groupes armés sont largement responsables de la hausse considérable des violations et des abus enregistrés. 

Pour la période de rapport précédant le 30 mai 2019, les services de Mme Bachelet ont enregistré une moyenne de 548 violations par mois. Au cours de la période correspondante en 2019-2020, ce chiffre est passé à une moyenne mensuelle de 613 incidents. Ces abus ont encore augmenté en juin et juillet 2020, avec une moyenne mensuelle de 704 violations.

« La conséquence directe de ce climat de violence, de destruction et de peur, quelque 5,5 millions de Congolais ont été déplacés à l’intérieur du pays, et au moins 922.000 personnes ont fui vers d’autres pays africains », a détaillé Mme Bachelet. 

« Comme le montre le rapport, l’impact des conflits armés sur la population de la RDC est profond et ne cesse de croître », a-t-elle ajouté. 

La situation au Kasaï a peu évolué sur le terrain

Plus largement, plusieurs rapports signalent « des incidents qui peuvent constituer des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité ». 

Les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et de l’Ituri sont particulièrement touchées par les conflits, mais la violence a également continué au Maniema, au Kasaï, au Kasaï central et au Tanganyika.

De son côté, le Président de l’Équipe d’experts internationaux sur la situation au Kasaï a déclaré que la situation avait peu évolué sur le terrain. 

Selon Bacre Waly Ndiaye, la région continue de subir des crises socio-politiques avec en plus, des crises entre les communautés qui font de nombreuses victimes et d’importants mouvements de déplacés. A ces crises, viennent s’ajouter les milliers de congolais contraints de quitter l’Angola. Cette crise humanitaire est un risque pour la sécurité et la jouissance des droits de l’homme au Kasaï, a prévenu M. Ndiaye.

L’Expert a noté des améliorations dans la lutte contre l’impunité. Le procès pour les assassinats des deux employés de l’ONU ne risque pas de se terminer tant il subsiste de nombreuses zones d’ombres. 

« Pour clôturer ce chapitre, le procès des présumés assassins des deux Experts des Nations Unies Zaida Catalan et Michael Sharp ne semble pas prêt de se terminer tant plusieurs zones d’ombres persistent et la disparition des accompagnateurs congolais reste toujours non élucidée », a fait valoir M. Ndiaye.

A Mbuji-Mayi, dans la province du Kasaï-Oriental, en République démocratique du Congo, trois générations de Congolais touchés par l'instabilité : Ndaya Monique, 60 ans, avec sa fille Mujinga Chantal, 32 ans, et son petit-fils, Karumbu Léonard, 10 mois
UNICEF / Tremeau
A Mbuji-Mayi, dans la province du Kasaï-Oriental, en République démocratique du Congo, trois générations de Congolais touchés par l'instabilité : Ndaya Monique, 60 ans, avec sa fille Mujinga Chantal, 32 ans, et son petit-fils, Karumbu Léonard, 10 mois

L’Etat congolais entend poursuivre le combat contre l’impunité

D’une manière générale, « le chantier reste vaste au Kasaï où nous sommes loin de la mise en œuvre des recommandations formulées par le Conseil ».

 L’expert indépendant onusien a ainsi rappelé que ce chantier est aussi vaste ailleurs au Congo et notamment à l’Est du pays qui mérite aussi un suivi et un accompagnement, comme envisagé sur le plan de l’expertise en science et technique anthropo-légale.

Dans ces conditions, le défi de la lutte contre l’impunité ne pourra pas être relevé sans une aide substantielle de l’aide international. Une aide qui ne pourra pas se faire sans la coopération des Congolais, a-t-il conclu.

Présent à Genève, le Ministre congolais des droits humains a détaillé les mesures prises par Kinshasa sur le plan de lutte contre l’impunité, contre les crimes graves. 

Selon Andre Lite Asebea, l’Etat congolais entend poursuivre ce combat jusqu’à réduire « drastiquement le taux de ce genre de travers avec le renforcement du rôle du pouvoir judiciaire et l’amélioration des conditions de travail de son personnel ». 

« Il sied de mentionner le fait que sur le premier aspect, la justice militaire continue à marquer des points avec des condamnations exemplaires », a affirmé le ministre. 

S’agissant de la situation au Kasaï, il a évoqué « une évolution positive ». « Nombreux des présumés coupables ont été appréhendés à la suite des commissions rogatoires exécutées par la justice militaire dans le cadre des enquêtes sur l’assassinat des experts de l’ONU et leurs accompagnateurs congolais dont on n’a pas toujours des nouvelles », a-t-il déclaré. 

Sur ces aspects, la justice congolaise a émis le vœu de continuer à bénéficier de l’assistance de l’expertise de l’ONU conformément à la résolution 2641 du Conseil des droits de l’homme.