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Une experte de l'ONU dénonce le manque de transparence sur l’utilisation des drones armés

Un drone survole le mont Tamalpais aux États-Unis.
Unsplash/Ian Usher
Un drone survole le mont Tamalpais aux États-Unis.

Une experte de l'ONU dénonce le manque de transparence sur l’utilisation des drones armés

Droits de l'homme

Devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies à Genève, une experte indépendante de l’ONU a regretté, jeudi, que la simple existence de drones armés ne justifie pas leur déploiement sans discernement, dénonçant le manque de transparence sur leur utilisation.

« La simple existence de drones armés ne justifie pas leur déploiement sans discernement », a déclaré Agnès Callamard, Rapporteure spéciale des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires. « Toutefois, à ce jour, il n’existe pas de normes solides régissant le développement, la prolifération, l’exportation ou la capacité d’utilisation de la force des drones », a-t-elle ajouté devant le Conseil des droits de l’homme.

Il n’y a actuellement « aucune transparence », « aucune surveillance efficace » et « pas de responsabilité », a déploré l’experte indépendante onusienne.

Selon Mme Callamard, un petit nombre d’États plutôt influents ont cherché, dans le contexte de l’utilisation des drones, à « réinterpréter le droit de la légitime défense en vertu de l’art. 51 de la Charte des Nations Unies ». Cela a favorisé « les distorsions du droit applicable, qui font ressortir les conflits de faible intensité, avec peu ou pas de frontières géographiques ou temporelles ».

Mme Callamard a par ailleurs indiqué que les assassinats ciblés commis par des drones avaient visé jusqu’à présent des acteurs non étatiques. « Jusqu’à ce que, pour la première fois, en janvier 2020, un drone armé par un Etat ait pris pour cible un haut fonctionnaire d’un Etat étranger et l’ait fait sur le territoire d’un Etat tiers », a-t-elle dit.

Pour l’experte indépendante onusienne, cela met en évidence les graves risques que ces distorsions juridiques et l’expansion de la doctrine de la « guerre contre le terrorisme » font peser sur la paix et la sécurité internationales.

Des drones pulvérisent un désinfectant à Tamil Nadu, en Inde
Garuda Aerospace/Inde
Des drones pulvérisent un désinfectant à Tamil Nadu, en Inde

Environ 40 pays disposent ou sont en train de se procurer des drones armés

Dans ces conditions, la communauté internationale doit maintenant faire face à la perspective très réelle que des États puissent choisir d’éliminer « stratégiquement » des responsables militaires de haut niveau. Des éliminations en dehors du contexte d’une guerre « connue », et chercher à justifier le meurtre par la nécessité, et non l’imminence, et la classification de la cible comme « terroriste qui représente une menace potentielle, non définie, pour l’avenir ».

Le monde est, à ses yeux, entré dans une nouvelle « ère des drones » dans laquelle un « large éventail d’acteurs étatiques et non étatiques déploient des drones toujours plus avancés » sur le plan technologique.

Mme Callamard a souligné qu’un nombre croissant de pays sont « impatients » d’entrer dans le « club des pays utilisateurs de drones ».

Elle estime qu’au moins 102 pays utilisent actuellement des drones militaires, et environ 40 disposent déjà ou sont en train de se procurer des drones armés. 35 d’entre eux sont dotés des drones armés considérés comme les plus meurtriers. Depuis 2015, au moins 11 pays (Israël, l’Iraq, l’Iran, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, la Turquie, les Emirats arabes unis, l’Arabie saoudite, l’Egypte, le Nigéria et le Pakistan) auraient déployé des drones armés, y compris pour recourir à la force en commettant des assassinats ciblés, selon Mme Callamard.

Elle estime par ailleurs qu’une vingtaine d’acteurs non étatiques disposeraient de systèmes de drones armés et non armés. Il s’agit notamment de « l’Armée nationale libyenne », du « Harakat Tahrir al-Sham », du « Djihad islamique palestinien », des transfuges militaires vénézuéliens, du « Partiya Karkerên Kurdistanê », du groupe « Maute », du cartel de « Jalisco Nueva Generación », des rebelles houthis et du groupe « Etat islamique ».

Lee silence de la communauté internationale

A Genève, Mme Callarmard a donc déploré le « silence » de la communauté internationale, en particulier du Conseil de sécurité. La Rapporteure spéciale demande la création d’un groupe de travail, incluant notamment les Etats et des militaires, chargé d’élaborer des normes sur leur utilisation et ventes à l’international.

D’autant qu’une réponse internationale adéquate à ces graves menaces à la paix et à la sécurité mondiales a été entravée par premièrement, par « la mauvaise qualité des rapports soumis au Conseil de sécurité par les États qui affirment qu’un assassinat ciblé a été commis en légitime défense ».

Deuxièmement, elle déplore « l’inefficacité » du processus des Nations Unies qui signifie que les États membres ne sont souvent pas correctement informés, de manière systématique, que des rapports au titre de l’article 51 ont été déposés. « Ce qui entraîne un troisième problème, à savoir leur silence.  Il n’y a pas que les États qui ont été largement silencieux », a-t-elle déploré, ajoutant que le Conseil de sécurité l’est aussi.

Pour être légale, une frappe de drone doit satisfaire à des exigences spécifiques dans le cadre de tous les régimes juridiques applicables, a donc recommandé la Rapporteure spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires. Il s’agit de la loi régissant l’usage interétatique de la force (jus ad bellum), le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme, qui sont complémentaires dans les situations de conflit armé.  

En outre, le Conseil de sécurité de l’ONU devrait se réunir en session formelle pour examiner et débattre de toutes les demandes reçues au titre de l’article 51. Et le Haut-Commissaire devrait produire un rapport annuel sur les victimes des frappes de drones pour discussion par le Conseil des droits de l’homme.  

Mme Callarmard a appelé les États à soutenir la proposition du Mexique de créer un forum de discussion sur l’article 51, pour échanger sur le fonctionnement, la portée et les limites du droit à l’autodéfense. Un tel soutien à Mexico permettrait d’établir « un processus multilatéral transparent entre les parties prenantes pour le développement de normes solides et de mécanismes de responsabilité pour l’utilisation et l’exportation de drones armés ».

NOTE :

Les Rapporteurs spéciaux font partie de ce que l'on appelle les procédures spéciales du Conseil des droits de l'homme. Les procédures spéciales, le plus grand organe d'experts indépendants du système des droits de l'homme des Nations unies, est le nom général des mécanismes indépendants d'enquête et de surveillance du Conseil qui s'occupent soit de situations de pays spécifiques soit de questions thématiques dans toutes les régions du monde. Les experts des procédures spéciales travaillent sur une base volontaire ; ils ne font pas partie du personnel des Nations unies et ne reçoivent pas de salaire pour leur travail. Ils sont indépendants de tout gouvernement ou organisation et travaillent à titre individuel.