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La pandémie de Covid-19 révèle les inégalités mondiales, selon la numéro deux de l'ONU

Les personnes vulnérables dans les pays en développement comme le Bangladesh sont particulièrement touchées par la pandémie de Covid-19.
PNUD Bangladesh/Fahad Kaizer
Les personnes vulnérables dans les pays en développement comme le Bangladesh sont particulièrement touchées par la pandémie de Covid-19.

La pandémie de Covid-19 révèle les inégalités mondiales, selon la numéro deux de l'ONU

Développement durable (ODD)

La pandémie de Covid-19 qui balaie les pays développés et les pays en développement « expose les fragilités et les inégalités de nos sociétés », selon la Vice Secrétaire générale des Nations Unies, Amina Mohammed.

Dans un entretien accordé à ONU Info, Mme Mohammed déclare que la crise mondiale déclenchée par le virus pourrait et devrait relancer les efforts pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD), les 17 cibles convenues à l'échelle mondiale pour éliminer la pauvreté, créer un monde plus égalitaire et pacifique et protéger la planète.

ONU Info : Dans quelle mesure êtes-vous préoccupée par le fait que les inégalités mondiales vont s'aggraver à la suite de la pandémie de coronavirus?

Amina Mohammed : Je suis extrêmement préoccupée. Le Covid-19 est un multiplicateur de menaces. Nous avons une urgence sanitaire, une urgence humanitaire et maintenant une urgence de développement. Ces urgences aggravent les inégalités existantes. Dans les économies avancées, nous observons des taux de mortalité plus élevés parmi les groupes déjà marginalisés. Et dans les pays en développement, la crise frappera encore plus durement les populations vulnérables.

Les systèmes de santé faibles ne pourront pas faire face. Les systèmes de protection sociale incomplets risquent de voir des millions de personnes retomber dans la pauvreté. Et les gouvernements qui ont une faible puissance de feu économique ne pourront pas amortir les impacts ou se rétablir rapidement. Chaque personne sera touchée par cette pandémie.

Et personne ne pourra s'en sortir seul. Nous aurons besoin d'une solidarité extraordinaire pour que tous sortent de Covid-19 plus forts ou nous risquons de voir beaucoup de gens prendre encore plus de retard. Tout approfondissement des fractures risque de faire sombrer des gens dans la pauvreté, nous faisant perdre les gains durement gagnés et affaiblissant nos systèmes pour répondre à la prochaine crise.

La Vice-Secrétaire générale de l'ONU, Amina Mohammed, s'exprime à l'ouverture du 6e Forum régional africain sur le développement durable au Zimbabwe.
Photo ONU/Daniel Getachew
La Vice-Secrétaire générale de l'ONU, Amina Mohammed, s'exprime à l'ouverture du 6e Forum régional africain sur le développement durable au Zimbabwe.

ONU Info : Dans quelle mesure pensez-vous que le COVID-19 aggravera des niveaux de pauvreté déjà terribles dans le monde en développement?

Amina Mohammed : Nous apprenons à de nombreux niveaux comment cette pandémie expose les faiblesses et les inégalités de nos sociétés. Le Fonds monétaire international (FMI) prévoit que l'économie mondiale se contractera fortement, de 3% cette année. L'Organisation internationale du travail (OIT) prévient que 1,6 milliard de travailleurs de l'économie informelle - près de la moitié de la main-d'œuvre mondiale - risquent de voir leurs moyens de subsistance détruits. Et les envois de fonds vers les pays en développement ont déjà diminué de 20%.

Tout cela alimentera des taux de pauvreté plus élevés. En fait, la Banque mondiale estime que quelque 49 millions de personnes pourraient retomber dans l'extrême pauvreté.

Mais ce n'est pas une fatalité. Nous avons les outils disponibles à l'échelle mondiale pour fournir aux pays en développement l'espace budgétaire et les ressources nécessaires pour soutenir les revenus des plus pauvres; pour protéger leurs communautés contre les pires effets et être prêts pour la reprise.

Et sur cette base, nous pouvons mieux récupérer - en augmentant la couverture des services essentiels; en générant des emplois verts pour une reprise verte.

ONU Info : Vous attendez-vous à ce que les femmes soient touchées de manière disproportionnée par la pandémie?

Amina Mohammed : Les femmes sont en première ligne du Covid-19. Elles sauvent des vies en tant que premiers intervenants, trouvent des solutions en innovant, résistent à la pandémie en tant que dirigeants politiques.

Davantage d'hommes meurent du virus que de femmes, mais les femmes portent le poids de cette pandémie d'autres façons. Les femmes représentent près de 60% de l'économie informelle, elles gagnent moins et risquent davantage de sombrer dans la pauvreté. Elles représentent la majorité des personnes âgées dans le monde, plus susceptibles de vivre seules et moins susceptibles d'avoir accès à l’Internet ou aux téléphones portables, augmentant ainsi leur risque d'isolement.

Nous avons vu une augmentation terrifiante de la violence contre les femmes. Nous savons que rester à la maison favorise la violence domestique.

Nous savons que l’égalité des sexes et les droits des femmes sont essentiels pour construire un avenir meilleur pour tous. Et j’ai été inspirée par des femmes dirigeantes qui se sont mobilisées pour faire face à la pandémie et s’efforcent d’obtenir que tout le monde soit solidaire.

À Abyan, au Yémen, les familles déplacées par l'insécurité collectent des kits d'hygiène de base tout en pratiquant la distanciation sociale.
© UNICEF
À Abyan, au Yémen, les familles déplacées par l'insécurité collectent des kits d'hygiène de base tout en pratiquant la distanciation sociale.

ONU Info : Quelles sont vos préoccupations concernant la diminution du financement du développement par les pays riches alors que l'économie mondiale vacille?

Amina Mohammed : À l'heure actuelle, nous ne constatons pas de baisse du financement. L’ONU est parfaitement claire sur le fait que la réponse du monde est aussi forte que le système de santé le plus faible. Et les gouvernements reconnaissent que le virus ne respecte pas les frontières. Ils savent également que si le virus se propage rapidement dans des contextes touchés par des crises humanitaires ou dans un certain nombre de pays en développement, les risques d'instabilité politique, de conflit ou de déplacement sont bien réels. Personne ne s’en sortira gagnant.

ONU Info : Il peut y avoir des avantages à court terme pour le climat pendant cette crise, mais comment les actions visant à lutter contre le changement climatique, qui sont au cœur de la réduction de la pauvreté, seront-elles affectées à long terme?

Amina Mohammed : Les émissions mondiales devraient diminuer d'environ 6% pendant la pandémie de Covid-19. Cependant, nous savons que le ralentissement économique et industriel consécutif à la pandémie de coronavirus ne remplace pas une action climatique soutenue. Les économies peuvent croître et créer des emplois parallèlement à une action climatique ambitieuse, si les bons investissements sont faits dès maintenant pour accélérer la décarbonisation des économies mondiales. Nous avons besoin d'une action climatique soutenue pendant de nombreuses années pour atteindre les objectifs de l'Accord de Paris.

En Syrie, des travailleurs sociaux de proximité sont préoccupés par la vulnérabilité des femmes et des filles durant le couvre-feu.
© UNFPA Syria
En Syrie, des travailleurs sociaux de proximité sont préoccupés par la vulnérabilité des femmes et des filles durant le couvre-feu.

ONU Info : Est-il possible de transformer la crise en catalyseur pour atteindre les objectifs et réduire les inégalités?

Amina Mohammed : Absolument. Et à certains égards, il n'y a pas de choix ici. Nous ne pouvons pas nous permettre de retourner dans le monde que nous avions avant cette crise. 

Cela signifierait de laisser sans réponse les vulnérabilités et les fragilités que cette crise a mises en évidence : sous-investissement massif dans la santé et la protection sociale; des inégalités mondiales et locales massives; la marche en avant vers la destruction de la nature et la catastrophe climatique; l'érosion des normes démocratiques essentielles à la protection des droits et à la cohésion sociale.

Nous avons maintenant une occasion unique de tirer parti de cette crise pour lancer une décennie d'action pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD).

ONU Info : Le calendrier de réalisation des objectifs qui permettront de réduire les inégalités est-il désormais irréaliste?

Amina Mohammed : Cette crise a déjà démontré qu'un changement massif peut être opéré s'il y a une volonté politique et une unité d'objectifs. Les ODD ne sont plus un ensemble ambitieux d'objectifs pour un avenir lointain. Ils sont le minimum dont nous avons besoin pour assurer un monde plus sûr, plus juste et plus durable pour tous. Si les dirigeants de toute la société attachent le même niveau d'importance et d'urgence à la lutte contre la pauvreté, la faim et le changement climatique, nous réussirons pendant cette Décennie d'action sur les ODD.