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« Je ne vois pas d’avenir pour moi » : dans l’Iraq de l’après-Daech, 355.000 enfants ne vont pas à l’école

Deux fillettes dans les ruines de la ville de Mossoul, en Iraq.
©UNICEF/Anmar Anmar
Deux fillettes dans les ruines de la ville de Mossoul, en Iraq.

« Je ne vois pas d’avenir pour moi » : dans l’Iraq de l’après-Daech, 355.000 enfants ne vont pas à l’école

Droits de l'homme

Deux ans après la défaite du groupe extrémiste Daech en Iraq, plus de 350.000 enfants ne sont toujours pas scolarisés dans ce pays, alertent les Nations Unies dans un rapport publié lundi.

« De toute façon, il n'y a pas d'avenir dans le camp. Que vais-je faire ici ? Pourquoi ai-je besoin d'une éducation pour cette vie ? », demande un garçon vivant dans un camp pour personnes déplacées du gouvernorat de Ninive, dans le nord de l’Iraq.

« Cela fait si longtemps que nous ne sommes pas à l'école, nos esprits se sentent fermés à l'apprentissage, certains d'entre nous ne savent même plus lire et écrire. Nous n'avons aucun soutien pour surmonter ces choses. Même si je pouvais passer les examens, je ne les réussirais pas. Je ne vois pas d'avenir pour moi », a dit dépité le jeune enfant dans un témoignage recueilli par les fonctionnaires des droits de l’homme de la Mission d’assistance de l’ONU en Iraq (MANUI).

Entre novembre 2018 et janvier 2020, la division des droits de l’homme de la MANUI a mené 237 entretiens et consultations de groupe avec des enfants, des jeunes, des parents et des enseignants dans des zones anciennement contrôlées par le groupe extrémiste Daech, appelé aussi Etat islamique d'Iraq et du Levant (EIIL).

Restrictions imposées aux déplacements

Plusieurs de ces personnes sont toujours déplacées et ont déclaré à l’ONU qu'elles ne pouvaient pas entrer et sortir librement des camps où elles se trouvent en raison des restrictions imposées à leurs déplacements. Ces restrictions les empêchent de vaquer à leurs activités quotidiennes. Pour les enfants, cela veut dire qu’ils ne peuvent pas se rendre dans les écoles situées à l'extérieur des camps.

Mohammed, 16 ans, vit dans le camp de Ninive depuis que sa famille a fui les combats à Mossoul en 2017. Il a réussi l’examen de sixième année et a été placé dans une classe correspondant au niveau de son âge dans une école du camp. Quelques mois après, il a abandonné sa scolarité.

« L'école du camp n'est pas sérieuse. J'avais besoin d'obtenir mon certificat de 12e année. Mais j'ai arrêté d’y aller. J'ai essayé de rattraper mon retard, mais c'était impossible. Comment passer de la 6e à la 12e année sans rien entre les deux ? Je ne rattraperai jamais (le retard), donc j’ai arrêté (l’école). J'ai l'impression que mon avenir a été volé », a-t-il déclaré aux enquêteurs de l’ONU.

Deux années se sont écoulées depuis la défaite territoriale de Daech mais environ 1,4 million de personnes, dont 658.000 enfants, sont toujours déplacées. La moitié de ces enfants – 355.000 – sont toujours déscolarisés.

Le rapport de l’ONU affirme que certains enfants ne peuvent pas accéder aux écoles ou obtenir les documents d’état civil nécessaires pour leur inscription dans les établissements scolaires publics.

Droit à l'éducation

Pour la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Michelle Bachelet, l'importance du droit à l'éducation pour les enfants et les jeunes ne saurait être surestimée. « Lorsque la pleine jouissance de ce droit est compromise pour une raison quelconque, leur vie et leur avenir sont gravement touchés », a-t-elle déclaré.

« Une éducation inclusive et de qualité n'est pas seulement un droit en soi, mais elle est essentielle pour la pleine réalisation d'une série d'autres droits humains », a souligné Mme Bachelet qui est pédiatre de formation. « L'éducation a littéralement le pouvoir de transformer des vies et de réaliser des rêves ».

Tout en reconnaissant les mesures prises par le gouvernement iraquien pour garantir l'accès à l'éducation, le rapport identifie deux principaux défis.

Premièrement, l’absence de programmes appropriés visant à réintégrer les élèves dans le système d’enseignement public, en particulier compte tenu du fait que nombre d’entre eux ont subi un important retard dans leur scolarité.

Deuxièmement, l'accès limité aux documents d’état civil a un impact important sur la scolarisation des enfants.

Le rapport indique que ces problèmes ont été aggravés par le fait que de nombreux adolescents ont maintenant atteint un âge où l'enseignement primaire ou secondaire traditionnel peut ne plus être approprié, qu'il n'y a pas un nombre suffisant d'écoles ou de programmes d'apprentissage accéléré, que les heures d'enseignement sont inadéquates, et que ces enfants ne peuvent se déplacer librement.

Le rapport de l’ONU, transmis au gouvernement iraquien, appelle ce dernier à prendre des mesures pour surmonter les difficultés administratives et d'habilitation de sécurité que rencontrent ces enfants dans l’obtention de documents d’état civil. Il appelle également Bagdad à réviser les dispositions existantes concernant les formes d'éducation accessibles aux enfants qui ont manqué des années de scolarité en raison de Daech.

« L'accès à l'éducation doit être garanti pour chaque enfant iraquien », a déclaré Danielle Bell, cheffe du Bureau des droits de l'homme de la MANUI. « Il faut trouver des alternatives pour ceux qui ont raté leurs années de scolarité en raison du conflit ».

Au sud de Mossoul, Ayah vit également dans un camp pour personnes déplacées. A 54 ans, elle élève seule sa fille adulte et quatre jeunes enfants – son mari étant porté disparu. Aucun de ses jeunes enfants ne disposent des documents nécessaires pour obtenir des pièces d’identité, ce qui compromet leur inscription scolaire.

Assise sur le sol dans sa tente, elle a confié aux enquêteurs de l’ONU sa peur et sa frustration : « Quel espoir avons-nous ? », a-t-elle demandé. « Quand les enfants grandiront, ils ne seront pas autorisés à apprendre ou à faire partie de la société. Cela nous met bien sûr en colère. Mais surtout, cela nous fait nous sentir seuls ».