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Au Nicaragua, les violations des droits de l’homme persistent (ONU)

Des manifestants dans les rues de Managua, au Nicaragua, demandent justice pour les victimes de la répression (photo d'archives).
Photo bureau régional HCDH
Des manifestants dans les rues de Managua, au Nicaragua, demandent justice pour les victimes de la répression (photo d'archives).

Au Nicaragua, les violations des droits de l’homme persistent (ONU)

Droits de l'homme

Malgré la reprise du dialogue politique entre le gouvernement et la société civile en février, de graves préoccupations sur les droits de l’homme au Nicaragua persistent, a alerté une haute responsable de l’ONU.

« Entre août 2018 et juillet 2019, des violations des droits de l'homme ont continué à se produire au Nicaragua », a déclaré mardi la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, devant le Conseil des droits de l’homme réuni à Genève.

Depuis février 2019, date à laquelle le gouvernement et la société civile ont repris le dialogue - le nombre de violations de la vie et de l'intégrité personnelle a toutefois diminué, a dit Mme Bachelet, preuve selon elle, « que le dialogue est un moyen possible et pacifique de surmonter la crise ».

Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) ne dispose plus de présence au Nicaragua depuis août 2018 mais a pu documenter son dernier rapport sur le pays grâce à 187 entretiens menés avec des victimes et des témoins et à l’analyse de nombreux documents provenant de sources gouvernementales et d’ONG. Dans ce rapport, la Haut-Commissaire est revenue sur 10 graves préoccupations en matière de droits de l’homme au Nicaragua.

1/ Les manifestants, toujours cibles d’homicides

Le HCDH a reçu des informations corroborées concernant des homicides et tentatives d'homicide perpétrés entre juin et juillet 2019, principalement dans le département de Jinotega et la région frontalière entre le Nicaragua et le Honduras. Dans au moins trois cas (dont deux dans la municipalité de Trojes, au Honduras), les victimes avaient activement participé aux manifestations de 2018. Mme Bachelet exhorte les autorités à enquêter immédiatement sur ces crimes et à punir les responsables.

2/ Torture et mauvais traitements se poursuivent

Les manifestants détenus continuent de subir des actes de torture et sont soumis à de mauvais traitements. Les conditions se sont améliorées début 2019 lorsque le Comité international de la Croix-Rouge a commencé à se rendre dans les centres de détention. Depuis le 11 juin, date à laquelle le gouvernement a libéré la quasi-totalité des personnes arrêtées dans le cadre des manifestations, les plaintes pour violation de l'intégrité personnelle dans les centres de détention sont sporadiques, a indiqué la Haut-Commissaire.

3/ Restriction à la liberté d'expression

A ce jour, l’espace civique au Nicaragua a été considérablement réduit. « La liberté d'expression a été restreinte », a dit Mme Bachelet, citant la fermeture de médias indépendants, la confiscation de leurs biens, l'emprisonnement de journalistes pendant plusieurs mois. Des personnes ont également été arbitrairement arrêtées « simplement pour avoir brandi un drapeau nicaraguayen ou chanté l'hymne national dans des espaces publics ». Des étudiants ayant critiqué le gouvernement ont été arbitrairement expulsés de leurs universités. Des médecins ayant soigné des blessés lors des manifestations ainsi que des professeurs non alignés sur les positions du gouvernement ont subi des licenciements abusifs.

4/ Entrave au droit de réunion pacifique

L'exercice du droit de réunion pacifique a été entravé au Nicaragua. Depuis septembre 2018, la police a commencé à exiger des autorisations pour organiser des rassemblements publics. « Elle a refusé des autorisations aux individus et aux organisations qui avaient l'intention d'exprimer publiquement leur désaccord avec la position du gouvernement », a déploré la Haut-Commissaire. Ceux qui ont tenté d'organiser des manifestations pacifiques, malgré les interdictions, ont été arrêtés et libérés dans la plupart des cas dans les 48 heures.

5/ Atteinte à la liberté d'association

La liberté d'association s'est également détériorée au Nicaragua. L'enregistrement légal de neuf organisations de la société civile, dont d'importants groupes de défense des droits de l'homme, a été annulé après avoir été accusé de soutien à des « actions terroristes » lors des manifestations de 2018. À ce jour, aucune de ces organisations n’a eu son enregistrement légal rétabli, ni ses biens et équipements n’ont été restitués, a indiqué la cheffe des droits de l’homme de l’ONU.

6/ Harcèlements, stigmatisation et menaces

Les défenseurs des droits de l’homme et les leaders communautaires, autochtones et d’ascendance africaine qui ont adopté des positions critiques contre le gouvernement continuent d’être harcelés, stigmatisés et menacés par la police ou des éléments pro-gouvernementaux. « Anibal Toruño, journaliste et propriétaire de Radio Dario, récemment rentré d'exil, a été menacé par des graffitis sur les murs de sa maison, tandis que trois dirigeants de l'Alliance civique et un autre journaliste ont été attaqués par des éléments progouvernementaux, avec le consentement de la police », a dénoncé Mme Bachelet.

7/ Manque d’indépendance du pouvoir judiciaire

La Haut-Commissaire s’est dit préoccupée par le manque d’indépendance du pouvoir judiciaire et du bureau du procureur pendant les 17 mois de crise au Nicaragua. « La réponse institutionnelle aux nombreuses violations des droits de l'homme a été insuffisante », estime-t-elle. Les personnes qui ont fait l’objet d’enquêtes ou de poursuites et qui ont été condamnées pour des événements survenus dans le cadre des manifestations n’ont pas bénéficié d’une procédure régulière. « À l’exception d’une seule personne bénéficiant de l’amnistie récente, mon bureau n’a connaissance d’aucune autre enquête, poursuite ou condamnation à l’encontre de membres des forces de sécurité ou d’éléments armés pro-gouvernementaux », a dit Mme Bachelet, ajoutant « qu’à ce jour, le système judiciaire nicaraguayen ne garantit pas la responsabilité des auteurs de violations graves des droits de l’homme ».

8/ Plus de 100 manifestants toujours emprisonnés

La reprise du dialogue national en février 2019 était louable, a reconnu la Haut-Commissaire, rappelant que l'accord signé entre le gouvernement et l’Alliance civique a permis la libération de 492 personnes (452 ​​hommes et 40 femmes) détenues en lien aux manifestations de 2018, selon des sources officielles. Des organisations de la société civile ont toutefois indiqué que plus de 100 personnes privées de liberté dans le cadre des manifestations étaient toujours en prison, la plupart d'entre elles étant en détention depuis février 2019.

« Le deuxième accord sur le renforcement des droits et des garanties des citoyens n’a apparemment pas été respecté ; et le gouvernement considère que les négociations sont terminées », a dit Mme Bachelet.

9/ Les droits des victimes non pris en compte

La Haut-Commissaire a indiqué que les lois d’amnistie et sur la prise en charge intégrale des victimes devraient être réexaminées « afin de garantir le droit des victimes à la vérité, à la justice et à une réparation adéquate ». Selon l’ONU, les mesures législatives adoptées par l’Assemblée nationale à la demande du gouvernement l’ont été sans consultation des victimes et sont incompatibles avec les normes internationales.

10/ Impact négatif sur l’emploi et les biens et services de base

Le Nicaragua est un pays qui a connu un développement important au cours des années précédant la crise. Cependant, la crise sociopolitique a eu un impact négatif sur les indicateurs de développement et la jouissance des droits économiques et sociaux. Selon l'Institut nicaraguayen de la sécurité sociale, entre mars 2018 et février 2019, plus de 140.000 emplois formels ont été perdus, ce qui représente 15,7% du marché du travail.

En avril 2019, le ministère des finances du pays a indiqué que les prix des biens de consommation de base avaient augmenté en moyenne de 2%, tandis que ceux des services publics d'eau et d'électricité avaient augmenté respectivement de 8,9% et 3,7%.