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Le meurtre du journaliste saoudien Khashoggi constitue « un crime international » (experte)

Agnès Callamard, Rapporteure spéciale des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires.
Photo : ONU/Manuel Elias
Agnès Callamard, Rapporteure spéciale des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires.

Le meurtre du journaliste saoudien Khashoggi constitue « un crime international » (experte)

Droits de l'homme

Les éléments de preuve rassemblés au cours de l’enquête sur l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi donnent à penser que cet assassinat constitue « une exécution extrajudiciaire » et peut-être un acte de torture pour lequel la responsabilité de l’Arabie saoudite est engagée, a souligné la Rapporteure spéciale des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires.

Présentant son rapport aux membres du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies ce mercredi à Genève, l’experte, Agnès Callamard, a indiqué qu’il existait « de nombreuses théories sur les circonstances de la mort de M. Khashoggi, mais aucune de ces théories ne conduit à une autre conclusion que celle de la responsabilité de l’État saoudien ».

Agnès Callamard est ainsi revenue sur le rôle des « 15 agents de l’État saoudien » agissant sous le sceau officiel de leur État qui ont participé à « l’exécution » de l’éditorialiste du Washington Post. « Son assassinat, résultat d’une planification minutieuse impliquant une coordination étendue et des ressources humaines et financières considérables, a été surveillé, planifié et approuvé par de hauts responsables », a-t-elle fait valoir.

Une façon pour l’experte indépendante onusienne d’insister sur la « préméditation » de ce crime et surtout pour souligner que cet assassinat ne pouvait pas être considéré uniquement comme une affaire nationale.

« Le meurtre a eu lieu de façon extraterritoriale et s’est déroulé dans un consulat en Turquie, motivé par le désir de faire taire un journaliste qui s’était exilé de lui-même aux États-Unis », a argumenté Mme Callamard. Selon elle, l’assassinat de M. Khashoggi constitue donc une violation de la Convention de Vienne sur les relations consulaires, mais aussi l’interdiction de l’emploi de la force hors des frontières en temps de paix.

En conséquence, le meurtre de M. Khashoggi constitue donc « un crime international ». La Rapporteure spéciale a appelé la Turquie et les États-Unis à prendre les mesures nécessaires pour exercer leur compétence universelle en droit international s’agissant de ce crime. D’autant que la responsabilité des États soulève la question de savoir qui est finalement responsable du meurtre, a-t-elle poursuivi.

Reste que l’enquête a apporté des preuves crédibles, justifiant un complément d’enquête, de la responsabilité individuelle de hauts responsables saoudiens, notamment celle présumée du prince héritier d’Arabie saoudite. L’enquête menée par les autorités saoudiennes n’a pas permis de s’attaquer à la chaîne de commandement. Toutefois, « il ne s’agit pas juste d’une question de qui a ordonné le meurtre ». « La responsabilité pénale peut découler d’une incitation directe ou indirecte ou de l’incapacité à prévenir ou à protéger, a fait remarquer Mme Callamard.

L’Arabie saoudite dénonce un rapport « partial » basé sur des préjugés

L’exécution de M. Khashoggi est emblématique d’un régime global d’assassinats ciblés de journalistes, de défenseurs des droits de l’homme et de militants politiques, a affirmé l'experte. Et face à ces assassinats ciblés de journalistes, elle a recommandé la mise en place de trois mécanismes pouvant fonctionner côte à côte. Dans un premier temps, elle plaide pour que l’ONU puisse entreprendre un examen des meilleures pratiques en matière d’enquête, d’évaluation et de réaction aux menaces en vue d’établir des normes.

Elle a demandé aussi au Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) d’établir un groupe de travail pour renforcer les mesures de prévention et de protection.

« Le troisième mécanisme, à mettre en place au sein des Nations Unies, pourrait être, un instrument permanent chargé de mener des enquêtes criminelles sur les allégations de meurtres ou de disparitions ciblés », a-t-elle ajouté. Cela permettrait d’accélérer des procédures pénales équitables et indépendantes devant tribunaux compétents existants. Un tel instrument pourrait être établi par une résolution de l’Assemblée générale ou du Conseil des droits de l’homme.

Plus largement, l’experte indépendante onusienne note que le droit à la vie est le droit au cœur de la protection internationale des droits de l’homme. Si la communauté internationale ignore les assassinats ciblés qui ont pour objectif de faire taire l’expression pacifique de l’indépendance d’esprit, elle met en péril les protections dont dépendent tous les droits humains. « Le silence et l’inaction ne feront qu’engendrer de nouvelles injustices et une instabilité globale. Il est temps d’agir », a-t-elle relevé.

Face à ces accusations, l’Arabie Saoudite a dénoncé un rapport « partial » qui s’est basé sur « des préjugés et des opinions pré-faites ».

« La Rapporteure spéciale a enfreint les procédures accordées aux Rapporteurs spéciaux de l’ONU. Ce qui a faussé les procédures entamées dans le procès en Arabie saoudite », a déclaré l’Ambassadeur Abdulaziz Alwasil, Représentant permanent de l’Arabie saoudite auprès de l’ONU à Genève.

Il reproche à Mme Callamard de n’avoir pas « respecté son mandat en toute intégrité » et d’avoir « lancé des accusations, des préjugés et elle s’est appuyée sur des informations non crédibles, notamment des articles de presse et des sources non crédibles ». « C’est pourquoi, nous refusons toute tentative de sortir cette question de la justice nationale saoudienne, quel qu’en soit la forme », a conclu M. Alwasil.