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A l’ONU, le plaidoyer de deux intellectuels français pour le multilatéralisme

Anne-Cécile Robert (gauche) et Romuald Sciora (droite) présentent leur livre "Qui veut la mort de l’ONU ?" lors d’une rencontre à la librairie des Nations Unies à New York.
UN Publications/Steven Bornholtz
Anne-Cécile Robert (gauche) et Romuald Sciora (droite) présentent leur livre "Qui veut la mort de l’ONU ?" lors d’une rencontre à la librairie des Nations Unies à New York.

A l’ONU, le plaidoyer de deux intellectuels français pour le multilatéralisme

À l’ONU

Les Français Anne-Cécile Robert et Romuald Sciora ont présenté leur livre Qui veut la mort de l’ONU ? lors d’une rencontre à la librairie des Nations Unies à New York.

Au lendemain de la première Journée internationale pour le multilatéralisme et la diplomatie pour la paix (24 avril 2019), deux intellectuels français ont présenté au siège de l’ONU leur ouvrage plaidoyer en faveur des Nations Unies.

Qui veut la mort de l’ONU ? « Le titre est bien évidemment une provocation », explique la Française Anne-Cécile Robert. « La liste de ceux qui veulent la mort de l’ONU est malheureusement très longue, mais ce qui nous intéresse est de tracer des perspectives et de voir ce que nous pouvons faire pour rendre justice aux Nations Unies ».

Pour la journaliste du Monde diplomatique, il est très facile de critiquer les Nations Unies, « et trop de gens le font, mais remettre les choses à l’endroit et dans leurs proportions, c’est un peu plus compliqué. Et c’est ce que nous avons voulu faire : rendre hommage aux Nations Unies et au travail qu’elles font sans toutefois nier les difficultés, voir les limites ».

Pour Anne-Cécile Robert, « l’ONU sert très souvent de bouc émissaire aux faiblesses, aux échecs, voir aux lâchetés, de certains Etats membres et de ce que l’on veut appeler la communauté internationale ».

Des problèmes à l’ONU ? « Il y en a, oui, mais ils existaient et étaient déjà en gestation depuis le début de l’organisation », explique Romain Sciora.

Créées en 1945 après la Seconde guerre mondiale, les Nations Unies ont vu le jour sur les ruines de la Société des Nations (SDN). « On ne peut pas vraiment parler de précipitation, mais cela a été fait dans une dynamique qui exigeait une rapidité des faits », explique le Français qui a réalisé plusieurs documentaires sur l’ONU.

À l’époque, « beaucoup de choses étaient en chantier, en gestation et les créateurs de l’ONU savaient qu’ils devraient travailler sur ces réformes. », rappelle Romuald Sciora. Des réformes qui selon lui, ont été par la suite repoussées en raison de plusieurs décennies de Guerre froide qui ont a paralysé le système onusien pendant assez longtemps.

« L’ONU est une institution vivante »

L’ONU serait donc une institution piégée dans l’immobilisme ? Ce n’est pas l’avis d’Anne-Cécile Robert. « L’ONU est un organisme vivant. Les médias et les livres présentent souvent les Nations Unies comme quelque chose de figée depuis des années dans des procédures et des programmes parfois avec un côté un peu fantomatique alors qu’en fait c’est tout le contraire ! », souligne celle qui est également professeur à l’Université Paris 8.

« L’ONU est une institution vivante, de part ses fonctionnaires qui font un vrai travail au quotidien extrêmement important, et certains le payent de leurs vies sur des théâtres d’opérations, mais aussi par la dynamique même qui préside à la fondation de l’Organisation », dit-elle.

Anne-Cécile Robert rappelle que « contrairement à la Société des Nations », l’ONU repose sur deux principes : la souveraineté des Etats et l’idée que cette souveraineté n’est pas indépassable et que l’on peut tout de même construire la sécurité collective. « C’est-à-dire quelque chose qui va embarquer les Etats souverains dans un ordre supérieur – un ordre de paix, de progrès et de droits de l’homme. Et donc c’est vivant et c’est dynamique. Et cela progresse dans cette dynamique avec des moments de régressions, et des moments de très grands progrès ».

Pour Anne-Cécile Robert, l’une des clés pour que l’ONU aille dans le sens du progrès, c’est d’y croire. « Ce qui nous inquiète, et c’est pour cela que nous avons choisi un titre provocateur, c’est qu’il semblerait que la foi dans le multilatéralisme et l’ONU soit en train de déserter certains cercles médiatiques, dirigeants, diplomatiques, étatiques », dit-elle. « Or, une organisation comme les Nations Unies, ne peut pas vivre s’il n’y a pas un minimum d’enthousiasme et de foi. On a peut-être une ambition démesurée mais avons l’ambition de continuer à donner un peu d’envie et de foi autour de ce beau projet vivant et dynamique qu’est l’ONU ».

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Revenir à la Charte des Nations Unies

Les auteurs de Qui veut la mort de l’ONU ? proposent dans leur livre plusieurs solutions pour faire raviver la flamme des Nations Unies. L’une d’entre elles n’a rien d’exceptionnelle et propose tout simplement de revenir aux valeurs énoncées dans la Charte des Nations Unies.

« C’est un texte merveilleux, équilibré, intelligent, clair sur les valeurs. Il n’y a pas besoin de chercher midi à 14 heures. Il faut revenir sur l’application de la Charte et voir comment l’appliquer dans le contexte actuel de manière dynamique et constructive », explique Anne-Cécile Robert.

Dans la « grande famille » qu’est l’ONU, les difficultés existent comme dans toute grande famille. Mais « les P5 (cinq membres permanents du Conseil de sécurité à savoir la Chine, la France, le Royaume-Uni, la Russie et les Etats-Unis) ont une responsabilité particulière », souligne Anne-Cécile Robert. « C’est à eux de montrer l’exemple. Et malheureusement ce n’est pas le cas. Ils ne font pas toujours. Ils sont parfois les premiers à prendre quelques libertés avec la Charte des Nations Unies notamment avec les règles concernant le droit de vote et je dis bien les cinq ! ».

Les auteurs montrent également dans leur livre que certaines libertés ont également été prises dans la mise en œuvre des mandats. Anne-Cécile Robert explique aussi que le mandat du Conseil de sécurité a évolué notamment dans la lutte anti-terroriste. « Il y a eu une évolution dans le champ de compétence du Conseil de sécurité qui s’est étendu petit a petit en ayant une définition de plus en plus large de la notion de sécurité et de maintien de la paix », dit-elle.

« La paix est un phénomène global » avait dit l’ancien Secrétaire général de l’ONU (1992-1996), l’Egyptien Boutros Boutros-Ghali qui avait parlé de « continuum paix et développement » englobant la prévention, et suivi post-conflit afin de voir les choses dans leur ensemble.

« En même temps, il faut que chacun reste dans son rôle », souligne Anne-Cécile Robert, précisant que certaines fonctions ne peuvent appartenir qu’à l’Assemblée générale des Nations Unies. « En particulier tout ce qui est de nature législative doit rester entre les mains de l’Assemblée générale car c’est le forum le plus démocratique dans lequel tous les pays sont représentés », rappelle-t-elle. Alors que Conseil de sécurité ne comportent que certains pays seulement avec la situation particulière de ses cinq membres permanents.

« Or, on voit par le biais de la lutte contre le terrorisme que le Conseil de sécurité s’arroge des compétences quasi législatives qui à mon avis ne sont pas de son fait », estime Anne-Cécile Robert. « Et (le Conseil de sécurité) devrait avoir la sagesse de faire ce que font parfois les tribunaux en disant : 'là, je ne suis pas compétent, je transfère à l’organe compétent qui est l’Assemblée générale' ».

Romuald Sciora rappelle que ces problématiques d’équilibre entre les différents organes de l’ONU étaient déjà en germe au moment de la genèse de l’organisation en 1945. « On se posait déjà la question sous Dag Hammarskjöld (deuxième Secrétaire général de l’ONU (1953-1961) », rappelle-t-il.

Consolider le rôle du Secrétaire général

Anne-Cécile Robert et Romuald Sciora proposent dans leur livre de consolider le rôle du Secrétaire général des Nations Unies.

« Le Secrétaire général pourrait bénéficier d’un pouvoir exécutif plus important et pas seulement représentatif, d’un droit de regard plus important sur l’entièreté du système des Nations Unies », suggère Romuald Sciora.

Pour Romuald Sciora, la réforme du Conseil de sécurité – « véritable serpent de mer » – n’arrivera pas de sitôt mais en contrepartie, l’auteur estime important d’étendre les pouvoirs du Secrétaire général.

« Nous ne reformerons pas le Conseil de sécurité d’ici cinq ans ou probablement d’ici dix ans, nous le savons tous », reconnait-il. « Mais s’il y a des réformes politiques à faire, la revalorisation du rôle et de la fonction du Secrétaire général est aujourd’hui capitale si l’on veut pouvoir replacer l’ONU au centre du jeu international ».

Anne-Cécile Robert (gauche), co-auteure du livre "Qui veut la mort de l’ONU ?"
Photo : ONU/Evan Schneider
Anne-Cécile Robert (gauche), co-auteure du livre "Qui veut la mort de l’ONU ?"

Représentativité à l’ONU : accorder une plus grande place à l’Afrique

Sur la question de la représentativité à l’ONU, Anne-Cécile Robert souligne qu’une plus grande place doit être accordée au continent africain – « point aveugle » des réformes selon elle.

« Il me parait difficile de continuer avec une situation dans laquelle sept missions de maintien de la paix opèrent en Afrique et où le continent africain est représenté de manière rotative au Conseil de sécurité tous les deux ans seulement », explique la journaliste.

Anne-Cécile Robert a salué la coopération entre l’ONU et l’Union africaine (UA), notamment « les passerelles » existantes entre le Conseil de sécurité des Nations Unies et le Conseil de paix et de sécurité de l’organisation panafricaine. « Ce sont des choses qui doivent être approfondies », explique-t-elle.

Pour la journaliste, une coopération plus étroite avec l’Afrique est une question d’efficacité de l’organisation, « car il faut que les gens auxquels s’appliquent les normes soient concernés », mais aussi une question de crédibilité car « l’ONU sera plus crédible si elle accorde une place d’autant suffisante a un continent où elle intervient beaucoup », rappelant que les Nations Unies ont accompagné les pays africains lors de la décolonisation et que de nombreux programmes  de l’ONU concernent l’Afrique. Anne-Cécile Robert suggère également une meilleure prise en compte des conseils et des expertises africaines dans la rédaction des mandats des opérations de maintien de la paix en Afrique.

Lutter contre la « dépossession du rôle politique de l’ONU »

Après la naissance des Nations Unies, plusieurs enceintes multilatérales ont vu le jour en parallèle. Si les auteurs s’en félicitent, ils estiment toutefois qu’elles n’agissent pas toutes au même niveau et avec les mêmes intérêts.

Pour Romuald Sciora, « Il ne faut pas mettre dans le même sac, les organisations régionales et d’autres ensembles comme le G20 ou le G7 ».

« Aujourd’hui, les valeurs qui ont amené à la création des Nations Unies après la Seconde guerre mondiale ne sont plus partagées par tous les habitants de cette planète, y compris par les peuples des pays qui ont porté l’ONU, c’est-à-dire l’Occident », explique-t-il. « Aujourd’hui, plusieurs Etats membres et collectivités ne sont plus fidèles aux valeurs du multilatéralisme comme ils l’étaient par le passé ».

Romuald Sciora reconnait qu’il est plus facile de travailler au sein du G7 ou du G20 car ces enceintes facilitent les échanges. « Il est plus facile de s’entendre à sept ou à 20 qu’à 193 », dit-il. « Le problème dans tout cela est que l’ONU est la seule instance supranationale, un tant soit peu représentative et démocratique, et donc ce basculement vers le G7 et le G20 contribue à la perte de démocratie dans le monde », estime-t-il. « En revanche, les organisations régionales sont différentes car complémentaires du travail de l’ONU », précise-t-il.

Anne-Cécile Robert craint pour sa part que ne s’instaure « un partage des tâches où l’on voit des groupes comme le G20 qui s’arrogent les sujets qui l’intéressent qui sont « nobles » et laissent les sujets compliqués, plus engageants qui causent plus de problèmes. « La tentation est grande de le faire parce qu’à l’ONU, contrairement au G20, vous avez tout le monde sur une base d’égalité », souligne-t-elle, rappelant qu’à l’Assemblée générale, s’applique le principe d’un Etat, une voix. « C’est le seul forum avec des règles de discussion, d’expressions, il n’y en a pas d’autres », dit-elle.

Selon la journaliste, les grandes puissances ont la tentation de contourner l’ONU en créant « les forums qui les arrangent parce que du coup elles ont moins de précautions à prendre pour écouter les Etats plus faibles ou plus en difficulté ».

« Il faut absolument rappeler et maintenir l’autorité des Nations Unies et veiller à ce que chaque organisation régionale respecte cette autorité que ce soit l’Union européenne ou l’Union africaine », souligne-t-elle.

Anne-Cécile Robert plaide pour un partenariat et un équilibre « constructifs » entre l’ONU et les organisations régionales tout en permettant à ces dernières d’exprimer leur point de vue et d’être écoutées « parce que l’une des maladies du monde contemporain, c’est qu’on crée beaucoup de lieux d’écoute, mais qu’on n’écoute pas vraiment. On consulte et on n’écoute pas vraiment et on ne tient pas compte des paroles exprimées ».

« Il y a très peu d’intérêt à parler de l’ONU dans les médias sauf quand cela va mal  »

L’ONU a été, à maintes fois, critiquée pour sa communication, mais les auteurs rappellent que la faillite au sens large pour la communication du système onusien appartient aux Etats membres et à l’environnement extérieur aux Nations Unies.

« Nous sommes aujourd’hui en pleine crise du multilatéralisme. Elle n’est pas nouvelle mais nous sommes en plein dedans », rappelle Romuald Sciora, « et un échec de l’ONU, c’est un échec de la communauté internationale et donc des Etats membres ».

Romuald Sciora rappelle que le Département de la communication globale des Nations Unies rend des comptes aux Etats membres. « Oui, il peut y avoir des lacunes dans la communication mais il est difficile de mettre d’accord des ressortissants de 193 pays sur les bonnes voies à communiquer », rappelle-t-il.

Pour l’auteur, la responsabilité d’une mauvaise communication incombe surtout au milieu médiatique, académique et intellectuelle. « Il y a très peu d’intérêt à parler de l’ONU dans les médias sauf quand cela va mal, on en parle rarement quand cela va bien ».

Dans une anecdote, Romuald Sciora a expliqué avoir proposé au rédacteur-en-chef d’une prestigieux magazine spécialisé sur la politique étrangère la publication d’un numéro spécial sur les Nations Unies. « Oh, l’ONU ça n’intéresse personne ! », s’est-il vu répondre. « Malheureusement c’est quelque chose qu’on entend trop souvent dans les milieux intellectuels et médiatiques », déplore Romain Sciora qui estime que la responsabilité d’une meilleure communication sur l’ONU n’appartient pas qu’aux Nations Unies mais aussi aux acteurs autour de l’Organisation. « Et ça, c’est la société civile qui en est responsable ».

 

Qui veut la mort de l’ONU ? - Un livre d'Anne-Cécile Robert et de Romuald Sciora - Éditions Eyrolles, 192 pages