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Reconstruction post-conflit : rendre irréversibles la paix, la sécurité et le développement

Le Président de la Côte d'Ivoire, Alassane Ouattara (à gauche), au Conseil de sécurité. Son pays préside le Conseil en décembre.
Photo : ONU/Eskinder Debebe
Le Président de la Côte d'Ivoire, Alassane Ouattara (à gauche), au Conseil de sécurité. Son pays préside le Conseil en décembre.

Reconstruction post-conflit : rendre irréversibles la paix, la sécurité et le développement

Paix et sécurité

A l'occasion d'un débat au Conseil de sécurité sur la reconstruction post-conflit, le Président de la Côte d'Ivoire, Alassane Ouatarra, dont le pays préside le Conseil en décembre, a estimé mercredi que ce débat lui permettait de partager son expérience et d’évoquer les priorités de son pays pour rendre irréversibles la paix, la sécurité et le développement. 

« La Côte d'Ivoire a bénéficié, pendant plus d'une décennie, d'un engagement sans précédent de la communauté internationale, en particulier de l’Organisation des Nations Unies et du Conseil de sécurité », a déclaré le Président ivoirien en présence du Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, et du Président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat.

« Je peux m'exprimer devant vous, aujourd'hui, grâce à la détermination du peuple ivoirien, à l'engagement remarquable de la CEDEAO, et de l’Union africaine (...) et de celui des Nations Unies, à travers l’ONUCI », a-t-il ajouté en ouvrant le débat sur la 'Reconstruction post-conflit, et la paix, la sécurité et la stabilité'. 

Alassane Ouatarra a rappelé qu’en 2011 son pays est sorti d’une décennie de crise, fragilisé aux plans économique, social, humain et sécuritaire. Une situation qui aurait pu compromettre le retour à une paix et à une sécurité durables, si des mesures urgentes et une stratégie globale de reconstruction et de développement n’avaient pas été mise en œuvre dès la fin des affrontements. 

Il a réitéré sa « foi » dans un système multilatéral équilibré qui permet à tous de faire entendre leur voix et de voir leurs aspirations prises en considération, notamment dans une période marquée par des bouleversements sur le plan international, avec une redéfinition de certains équilibres.

Grâce à cette approche, les Ivoiriens vivent ensemble dans la paix et la tolérance - Alassane Ouatarra, Président de la Côte d'Ivoire

Alassane Ouatarra a souhaité que les leçons tirées de l'expérience post-électorale de son pays contribuent modestement à enrichir la pratique du Conseil dans le domaine de la consolidation de la paix, qu’il a su faire évoluer au cours de ces dernières années. L’expérience de son pays pourra également être utile, a-t-il poursuivi, aux pays qui sont confrontés à des situations similaires à celle que la Côte d’Ivoire a connues. 

Notant que la reprise en main a été rendue possible grâce à la restauration de l’autorité de l’Etat, Alassane Ouatarra a estimé que la reconstruction post-crise, la paix et la stabilité sont fortement tributaires de l’existence de structures étatiques et d’institutions capables de remplir pleinement leurs fonctions.

« Dès 2011, la Côte d’Ivoire a fondé sa stratégie de reconstruction post-crise, de paix et de stabilité sur la relance de son économie, le désarmement, la démobilisation et la réintégration ainsi que sur la réforme du secteur de la sécurité et la réconciliation », a-t-il détaillé. « Grâce à cette approche, s’est-il félicité, les Ivoiriens vivent ensemble dans la paix et la tolérance ». D'après lui, le cas de son pays devrait inspirer l’action du Conseil et celle de la communauté internationale dans des situations post-conflit autrement plus complexes.

Pour M. Ouattara, la reconstruction post-conflit, la paix et la stabilité durables nécessitent  l’existence d’un gouvernement qui tire sa légitimité d’élections démocratiques et transparentes, la mise en place et le redéploiement d’une administration fiable, la réforme du secteur de la sécurité et un plan d’investissement d’urgence pour la fourniture équitable de services sociaux de base. Un processus qui requiert, selon lui, un accompagnement politique et technique soutenu ainsi que d’importantes ressources financières qui ne sont pas disponibles dans les pays qui sortent de conflit. 

« C’est pourquoi, a-t-il conclu, il est important que dans de tels pays, la communauté internationale, notamment l’ONU, reste engagée de façon décisive et résolue, tout en évaluant les conditions d’un retrait ordonné », comme ce fut le cas pour son pays.

Des Casques bleus de l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI).
Photo ONU/Basile Zoma
Des Casques bleus de l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI).

Consolidation de la paix et développement

De son côté le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a estimé que l’expérience de la Côte d’Ivoire elle-même, qui avance sur le chemin de la consolidation de la paix et du développement, montre que l’une et l’autre sont indissociables.  

« Après avoir accueilli sur son sol une opération de maintien de la paix de l’ONU, ce pays peut en effet apporter une contribution précieuse et partager son expérience avec d’autres opérations semblables actuellement déployées à travers le monde », a déclaré le Secrétaire général.

Car, à la lumière des crises aiguës et prolongées qui secouent le monde aujourd’hui, il est clair que la méthode consistant essentiellement à y réagir à un coût humain et financier trop élevé.  

« C’est pourquoi, je tiens tant à recentrer nos activités sur la prévention, à rééquilibrer notre action dans les domaines de la paix et de la sécurité, et à coordonner nos activités entre les trois piliers que sont la paix, le développement durable et les droits de l’homme », a expliqué, le chef de l’Organisation. Selon lui, la paix ne peut être pérenne sans développement et une paix durable est indispensable à la préservation des acquis du développement.

À partir de ce constat, le Secrétaire général a préconisé une approche holistique, qui suppose essentiellement de combattre les facteurs potentiels d’instabilité tels que les inégalités, les changements climatiques, la rivalité pour les ressources, la corruption et la criminalité transfrontalière.

Nous avons besoin de plus de partenariats - António Guterres, Secrétaire général de l’ONU

Une telle approche suppose également, a ajouté M. Guterres, une prise de conscience réelle qu’investir dans les services de base, le développement durable et la cohésion sociale, « c’est investir dans la paix ».  Elle suppose enfin de mieux adapter la présence de l’ONU à l’évolution des besoins dans les pays qui, au lendemain d’un conflit violent, cherchent à instaurer une paix durable.  

« Pour y parvenir, nous devons nous efforcer en priorité de répondre aux besoins du pays hôte et de mobiliser autour de ces besoins l’ensemble du système des Nations Unies, toutes les opérations de paix, tous les acteurs humanitaires et du développement, conformément aux éléments fondamentaux des réformes que j’ai engagées », a-t-il souligné.   

Le Secrétaire général s’est aussi montré favorable à des approches plus inclusives, en soulignant que les activités de paix et de développement soient prises en main, dirigées et menées par les acteurs nationaux et locaux. Pour cela, il faut mobiliser les citoyens en premier lieu ainsi que le secteur privé.  

« Nous devons aussi associer à nos efforts les couches sociales trop souvent marginalisées et exclues, comme les femmes et les filles, les personnes âgées, les jeunes, les personnes handicapées et les membres des groupes minoritaires. La participation des femmes, notamment, est un moyen sûr d’améliorer l’efficacité et la pérennité de la consolidation de la paix. Leur contribution est en effet cruciale au redressement économique, à la légitimité politique et à la cohésion sociale », a expliqué M. Guterres.

Troisièmement, a-t-il dit, « nous avons besoin de plus de partenariats ». Le Secrétaire général s’est engagé à renforcer davantage les liens avec les organisations régionales et sous-régionales et les institutions financières internationales afin de préserver les acquis du développement, de renforcer la résilience et de renforcer les capacités locales pour prévenir les conflits et y faire face. Cela est particulièrement important dans les contextes de transition, une fois que la mission a quitté son poste et que l’attention et les ressources internationales commencent généralement à décliner.  

Il a ainsi mis en valeur le partenariat avec l’Union africaine, qui continue de se renforcer, avec la signature de cadres conjoints sur la paix et la sécurité et sur la mise en œuvre de l’Agenda 2063 et du Programme de développement durable à l’horizon 2030.  « Et nous avons mené des missions conjointes axées sur les femmes, démontrant ainsi l’importance capitale de l’égalité des sexes », a-t-il dit 

Plus tôt cette année, le Secrétaire général a signé un cadre de partenariat stratégique avec la Banque mondiale. Selon lui, la Commission de consolidation de la paix a elle aussi un rôle de rassemblement et de relais utile à jouer en tant que plate-forme où divers acteurs et parties prenantes favorisent la cohérence entre les objectifs politiques et soutiennent le développement durable dans les pays touchés par un conflit.  

« Quatrièmement, nous avons besoin de ressources adéquates et prévisibles pour la consolidation de la paix et le développement tout au long du cycle du conflit », a poursuivi M. Guterres. Il a recommandé d’aider les États Membres à renforcer la mobilisation des ressources nationales et à attirer les investissements extérieurs.  À cet égard, le Fonds pour la consolidation de la paix mérite un soutien accru. En tant que « véhicule catalytique », rapide et flexible, le Fonds encourage la participation locale et, surtout, fournit un soutien dans les zones reculées, y compris les frontières, souvent négligées. Le Fonds a également alloué plus de 30 % de ses ressources annuelles au soutien des droits des femmes et de l’égalité des sexes afin de maintenir la paix. 

Le Secrétaire général a réitéré son appel pour que les opérations de paix dirigées par l’Afrique et placées sous l’autorité du Conseil de sécurité bénéficient d’un financement prévisible, durable et flexible, y compris, le cas échéant, au moyen de contributions de l’ONU.

A Addis-Abeba, en Ethiopie, le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, avec Moussa Faki Mahamat, Président de la Commission de l'Union africaine, en janvier 2018.
Photo : ONU/Antonio Fiorente
A Addis-Abeba, en Ethiopie, le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, avec Moussa Faki Mahamat, Président de la Commission de l'Union africaine, en janvier 2018.

La quête de la paix est un long processus

Intervenant ensuite, le Président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a déclaré que la quête de la paix était un long processus. Elle exige un engagement de tous les instants de la part des parties prenantes nationales et un soutien continu de la communauté internationale.  Car sans accompagnement international, les efforts nationaux ne peuvent surmonter les innombrables obstacles qui se dressent sur le chemin de la paix. Sans volonté politique nationale forte, aucune assistance internationale ne peut produire des résultats durables.  

Selon le président de la Commission de l’Union africaine, la Côte d’Ivoire est une claire démonstration de ce que « la paix est une entreprise à portée de main dès lors que la volonté de la réaliser existe ».  Sur le plan politique, « la main tendue aux ennemis d’hier » a permis de franchir des pas décisifs sur la voie de la réconciliation.  

M. Mahamat a également déclaré que dans tout conflit, réduire les armes au silence n’est que la première étape d’une longue marche, d’autant que 40% des pays en phase post-conflit rechutent dans la violence dix ans après en être sortis. Consciente de ce fait, l’Union africaine a adopté dès 2006, un document-cadre sur la reconstruction et le développement post-conflit pour servir de guide aux efforts visant à s’attaquer aux causes profondes des conflits et à prévenir le retour de la violence. Celui-ci a été suivi en 2010 de l’Initiative de solidarité africaine, qui repose sur le principe de l’entraide continentale. 

L’Union africaine apporte par ailleurs une contribution tangible à nombre d’États en situation post-conflit, à travers divers de projets à impact rapides. 

Il faut aussi promouvoir des solutions adaptées aux réalités de chaque pays, en particulier en matière de justice post-conflit - Moussa Faki Mahamat, Président de la Commission de l'UA

M. Mahamat a aussi dit que le retour à la paix de la Côte d’Ivoire est une « victoire » à mettre à l’actif du partenariat entre l’ONU, l’Union africaine, et la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). 

Tirant les leçons de ce succès, les partenariats entre l’Union africaine, l’ONU, le Conseil de sécurité, la Commission de l’Union africaine, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine et la Commission de consolidation de la paix se sont significativement renforcés ces dernières années. Mais pour pérenniser cette démarche, trois principes doivent guider cette action commune. Il faut, avant tout, une appropriation nationale des processus.  Rien de durable ne peut être réalisé si les acteurs nationaux n’assurent pas la direction du processus de consolidation de la paix, a-t-il dit.  

Selon le Président de la Commission de l’UA, il faut aussi promouvoir des solutions adaptées aux réalités de chaque pays, en particulier en matière de justice post-conflit.  Toute autre approche risque de perpétuer les divisions et recréer les conditions de la violence. 

Enfin, il faut un accompagnement international qui s’inscrit dans la durée. Or souvent, a-t-il déploré, la mobilisation internationale s’émousse dès qu’une crise cesse de faire la Une des journaux, alors que c’est le moment même où commence le processus délicat de promotion de la paix.