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Côte d'Ivoire : l'ONU appelle à juger tous les responsables de crimes

Côte d'Ivoire : l'ONU appelle à juger tous les responsables de crimes

Des familles réfugiées à la mission catholique de Duékoué, dans l'ouest de la Côte d'Ivoire, lors de la crise post-électorale.
La Commission d'enquête internationale indépendante sur la Côte d'Ivoire, chargée d'enquêter sur les faits et les circonstances relatifs aux allégations de violations graves des droits de l'homme dans le pays à la suite de l'élection présidentielle du 28 novembre 2010, a présenté mercredi son rapport devant le Conseil des droits de l'homme de l'ONU.

Soumis le 10 juin dernier au Conseil, le rapport de la Commission conclut que des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre auraient été perpétrés par les deux camps rivaux. Parmi les priorités, la Commission recommande aux autorités ivoiriennes de mettre en place des mécanismes de lutte contre l'impunité et de justice transitionnelle.

« L'impunité est à l'origine de la crise que vient de connaître la Côte d'Ivoire. La lutte contre ce fléau doit donc être au cœur des efforts de normalisation. La plupart des acteurs que la Commission considère comme étant les principaux responsables des violations n'en sont pas à leur coup d'essai. Certains sont déjà sur les listes des sanctions du Conseil de sécurité. Pour prévenir la répétition de ces actes et mettre fin au cycle de violence et l'impunité, justice doit être faite et les responsables sanctionnés », a déclaré le Président de la Commission d'enquête, Vitit Muntabhorn, devant le Conseil des droits de l'homme à l'occasion de sa 17e session.

Créée par le Conseil des droits de l'homme, la Commission d'enquête est aussi composée de Suliman Baldo, du Soudan, et de Reine Alapini Gansou, du Bénin.

La Commission s'est rendue en Côte d'Ivoire du 4 au 28 mai 2011. Outre Abidjan, elle est allée dans l'ouest, le nord et le sud du pays et a visité en particulier les villes de Duékoué, Guiglo, Korogho, Odienné et San Pedro. Elle s'est aussi rendue au Libéria où elle s'est entretenue avec un grand nombre de réfugiés ivoiriens, des membres du gouvernement et des représentants du système des Nations Unies.

« Certaines de ces violations pourraient constituer des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre. Ces violations ont été commises par les Forces de défense et de sécurité et leurs alliés (milices et mercenaires) puis, lors de leur contre-offensive et, depuis leur contrôle du pays, par les Forces républicaines de Côte d'Ivoire », a expliqué la Commission dans son rapport. Les Forces de défense et de sécurité étaient loyales à l'ancien Président Laurent Gbagbo et les Forces républicaines de Côte d'Ivoire à son rival Alassane Ouattara.

La Commission estime aussi que « l'instrumentalisation de la question de l'ethnicité, la manipulation de la jeunesse ivoirienne pour en faire des instruments de violence par les acteurs politiques ainsi que les questions non-résolues du foncier rural » constituent les causes profondes des violations graves et massives des droits de l'homme. Les élections auraient servi de « catalyseur à la violence », soulignent les experts dans le document.

Dans sa présentation Vitit Muntabhorn a souligné que les responsables des violations des droits de l'homme, qu'il appelle « les gros poissons », doivent être traduits en justice autant que « les acteurs qui peuvent apparaître comme de menus fretins ».

« Afin d'accompagner les autorités ivoiriennes dans la lutte contre l'impunité, la Commission recommande au Conseil des droits de l'homme d'établir un mécanisme indépendant sur la situation des droits de l'homme en Côte d'Ivoire », a souligné Vitit Muntabhorn.

Les experts préconisent aux autorités ivoiriennes de répondre aux cause profondes de la crise, c'est- à-dire « à la discrimination, au chômage et à la violence des jeunes générations et à la crise économique plus généralement ».

Le président de la Commission considère que la réconciliation entre les communautés et la résolution de la crise humanitaire sont essentielles à l'instauration de la paix et de la stabilité.

La Haut commissaire aux droits de l'homme, Navi Pillay, a pour sa part souligné devant le Conseil des droits de l'homme que « malgré le relatif calme qui règne à Abidjan et dans la plupart du pays sous le contrôle du gouvernement de M. Ouattara, des confrontations entre l'armée et des milices pro-Gbagbo et des mercenaires ont provoqué la mort, la destruction et le pillage de propriétés ».

Elle a souligné le manque de discipline de la nouvelle armée ivoirienne « qui est composée de différents groupes sans une structure claire de commandement ».

« J'appelle le gouvernement de Côte d'Ivoire et la communauté internationale à examiner et à mettre en œuvre les recommandations de la Commission d'enquête internationale », a conclu Navi Pillay.

Le Représentant de la Mission permanente de la Côte d'Ivoire auprès des Nations Unies à Genève a souligné que son gouvernement « a fait bon accueil de ces recommandations dont la mise en œuvre pour certaines, a déjà été anticipé » ce qui traduit la volonté des autorités « d'établir un nouvel ordre social, leur détermination à mettre fin à l'impunité et à garantir la promotion et la protection des droits de l'homme ».

Le gouvernement ivoirien « a posé des actes pour donner une réponse proactive à la situation », a-t-il ajouté, citant la création d'une Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation, la saisine de la Cour pénale internationale et le lancement de procédures judiciaires et militaires au plan national contre certains suspects.

Le second tour de l'élection présidentielle en Côte d'Ivoire en novembre 2010 a été remporté par Alassane Ouattara face au Président sortant Laurent Gbagbo mais ce dernier a refusé de reconnaître sa défaite et de quitter le pouvoir, déclenchant une crise politique et humanitaire qui a duré plusieurs mois. Laurent Gbagbo s'est finalement rendu aux forces loyales à Ouattara en avril 2011 et Alassane Ouattara a été officiellement investi Président de Côte d'Ivoire le 21 mai 2011.