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Guantanamo : 5 experts de l'ONU dénoncent la torture et demandent la fermeture du centre de détention

Guantanamo : 5 experts de l'ONU dénoncent la torture et demandent la fermeture du centre de détention

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Dénonçant des actes de torture et des violations des droits à la santé et à la dignité humaine, cinq experts indépendants de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies ont appelé aujourd'hui les Etats-Unis à fermer immédiatement le centre de détention de Guantanamo Bay et à traduire tous les détenus devant un tribunal compétent indépendant ou à les libérer.

« L'appel intervient alors qu'est publié aujourd'hui un rapport qui présente les conclusions d'une étude menée conjointement par les experts, au cours des six derniers mois, sur la situation des détenus à la base navale des Etats-Unis », située sur l'île de Cuba, indique un communiqué publié aujourd'hui à Genève.

Dans leur déclaration conjointe, « les cinq experts parviennent à la conclusion que les personnes détenues à Guantanamo Bay ont le droit de contester la légalité de leur détention devant un organe judiciaire et d'obtenir leur libération si leur détention s'avère manquer de base légale », ajoute le communiqué.

« Leur maintien en détention équivaut à une détention arbitraire », affirment les experts, soulignant que « dans les cas où une procédure pénale a été lancée contre un détenu, la branche exécutive du gouvernement américain remplit les rôles de juge, de procureur et d'avocat de la défense, en violation des principes qui garantissent le droit à un jugement équitable ».

Outre la détention arbitraire, les experts ont manifesté leur préoccupation à l'égard des pratiques de torture et autres traitements dégradants.

« Les tentatives de l'administration américaine visant à redéfinir la 'torture', dans le cadre de la lutte contre le terrorisme afin de permettre certaines techniques d'interrogation qui seraient autrement interdites au regard de la définition internationale de la torture, sont extrêmement préoccupantes », déclarent les experts.

« La confusion entretenue au regard des techniques autorisées ou non autorisées ces dernières années est particulièrement alarmante », affirment-ils.

« Les techniques d'interrogations utilisées par le département de la Défense, en particulier si elles sont utilisées de façon simultanée, constituent des traitements dégradants », déplorent-ils.

« Si dans certains cas individuels, décrits lors des entretiens, une 'douleur ou des souffrances aiguës' ont été infligées aux victimes, ces actes constituent des actes de torture au regard de l'article 1er de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (CAT) » du 10 décembre 1984, rappellent-ils.

« De plus, les conditions générales de détention, en particulier l'incertitude relative à la durée de la détention et la mise au secret solitaire, représentent des traitements inhumains et dégradants et constituent une violation du droit à la santé et du droit des détenus à bénéficier d'un traitement humain et respectueux de la dignité inhérente de la personne humaine », font-ils observer.

Les experts ajoutent que « l'alimentation forcée de détenus capables » viole le droit à la santé ainsi que les obligations éthiques des professionnels de la santé impliqués.

Les conclusions du rapport sont fondées sur des informations transmises par le gouvernement des Etats-Unis, des entretiens menés auprès d'anciens détenus de Guantanamo Bay résidant à l'heure actuelle en France, en Espagne et au Royaume-Uni et des réponses données par les avocats de certaines personnes détenues à l'heure actuelle, indique le communiqué.

Il repose aussi sur les informations disponibles dans le domaine public, notamment des documents déclassés par les Etats-Unis, des rapports des organisations non gouvernementales (ONG) et des informations parues dans la presse.

« Les experts ont exprimé le regret que le gouvernement des Etats-Unis ne leur ait pas accordé un libre accès aux détenus à Guantanamo Bay et ne leur ait pas permis de mener des entretiens privés, comme le prévoient les termes de référence acceptés par tous les pays qu'ils visitent », précise la déclaration (voir notre dépêche du 18 novembre 2005 et notre dépêche du 23 juin 2005).

Les conclusions du rapport préconisent que les suspects d'actes de terrorisme soient détenus conformément à la procédure pénale, qui respecte les garanties consacrées en droit international.

« Le gouvernement des Etats-Unis devrait soit rapidement traduire en justice les détenus de Guantanamo Bay soit les relâcher sans tarder. Il devrait aussi fermer le centre de détention de Guantanamo Bay, s'abstenir d'actes de torture et de traitements dégradants, de discrimination fondée sur la religion et de violations des droits à la santé et à la liberté de religion », concluent les experts, qui évoquent aussi la possibilité d'un jugement devant un tribunal international compétent.

Ils réclament aussi un « accès sans entraves aux locaux de Guantanamo Bay, comprenant des entretiens privés avec les détenus ».

Les experts sont : le président du groupe de travail sur les détentions arbitraires, Leila Zerrougui, le rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats, Leandro Despouy, le rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Manfred Nowak, le rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction, Asma Jahangir, et le rapporteur spécial sur le droit qu'a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible, Paul Hunt.

Interrogé, aujourd'hui à New York, sur la réaction de Kofi Annan, son porte-parole a rappelé que les rédacteurs du rapport étaient indépendants et qu'il ne rentrait pas dans les fonctions du Secrétaire général d'« approuver ou non » le rapport, mais qu'il était actuellement examiné.

« Le Secrétaire général a souvent rappelé qu'il fallait parvenir à un équilibre entre la lutte contre le terrorisme et le respect des droits de l'homme », a fait observer le porte-parole.

« Si la menace du terrorisme est bel est bien réelle, elle ne justifie jamais que l'on utilise ses méthodes », avait rappelé le Secrétaire général, dans un message prononcé à l'occasion de la Journée internationale des droits de l'Homme (voir notre dépêche du 8 décembre 2005).

Le Secrétaire général avait rappelé l'impératif catégorique de l'interdiction absolue de la torture, elle-même instrument de terreur.

La Haut Commissaire aux droits de l'Homme, Louise Arbour, avait exprimé sa préoccupation sur le risque de « dilution » de la notion de torture et sur la menace qu'elle fait peser sur les libertés, condamnant la pratique des détentions secrètes et des « garanties diplomatiques » préalables au renvoi d'un individu vers un pays où il risque d'être soumis à la torture (voir notre dépêche du 7 décembre 2005).