L'actualité mondiale Un regard humain

Soudan : le Conseil de sécurité saisit la Cour pénale internationale de la situation au Darfour

Soudan : le Conseil de sécurité saisit la Cour pénale internationale de la situation au Darfour

media:entermedia_image:a9b95f5d-921b-410e-8424-670280cfd41f
Dans sa première référence à la Cour pénale internationale (CPI), le Conseil de sécurité a voté dans la soirée du jeudi 31 mars une résolution saisissant la CPI des crimes contre l'humanité commis au Darfour. Le Secrétaire général a félicité les membres du Conseil pour avoir surmonté leurs divergences, alors que la résolution a été votée à onze voix pour et quatre abstentions, celles de l'Algérie, du Brésil, de la Chine et des Etats-Unis, qui ont renoncé à leur droit de veto.

Dans une résolution votée tard dans la soirée du jeudi 31 mars, le Conseil de sécurité a voté une résolution (S/2005/1593) adoptée à onze voix pour, avec l'abstention de l'Algérie, du Brésil, de la Chine et des Etats-Unis, dans laquelle il « décide de déférer au Procureur de la Cour pénale internationale la situation au Darfour depuis le 1er juillet 2002 ».

A cet effet, le Conseil de sécurité « décide que le Gouvernement soudanais et toutes les autres parties au conflit du Darfour doivent coopérer pleinement avec la Cour et le Procureur et leur apporter toute l'assistance nécessaire conformément à la présente résolution ».

« Tout en reconnaissant que le Statut de Rome n'impose aucune obligation aux États qui n'y sont pas parties » la résolution étend cette obligation « à tous les États et à toutes les organisations régionales et internationales concernées », qui sont appelés à « coopérer pleinement ».

Dans sa résolution, le Conseil de sécurité souligne par ailleurs l'importance de promouvoir « l'apaisement et la réconciliation et, à cet égard, encourage la création d'institutions auxquelles soient associées toutes les composantes de la société soudanaise, par exemple des commissions vérité et/ou réconciliation, qui serviraient de complément à l'action de la justice ».

A cet égard, l'Union africaine est étroitement associée à la mise en ?uvre de cette résolution, comme dans celle adoptée cette semaine sur la création de la Mission de l'ONU (voir notre dépêche du 30 mars 2005) et celle qui met en place des sanctions contre les parties qui entravent le processus de paix (voir notre dépêche du 24 mars 2005).

Concession aux Etats qui ne font par partie du Statut de Rome et qui étaient réticents à voir le Conseil de sécurité y faire référence - notamment les Etats-Unis - la résolution prend soin de souligner que « les ressortissants, responsables ou personnels en activité ou anciens responsables ou personnels d'un État contributeur qui n'est pas partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale sont soumis à la compétence exclusive dudit État pour toute allégation d'actes ou d'omissions découlant des opérations au Soudan établies ou autorisées par le Conseil ou l'Union africaine ou s'y rattachant, à moins d'une dérogation formelle de l'État contributeur ».

Au plan financier, la résolution prévoit également « qu'aucun des coûts afférents à la saisine de la Cour [?] ne sera pris en charge par l'Organisation des Nations Unies et que ces coûts seront supportés par les parties au Statut de Rome et les États qui voudraient contribuer à leur financement à titre facultatif ».

Dans une déclaration diffusée à l'annonce du vote, le Secrétaire général s'est félicité de l'adoption de la résolution.

Kofi Annan « félicite le Conseil de sécurité pour avoir fait usage de son autorité aux termes du Statut de Rome pour fournir un mécanisme approprié afin de lever l'impunité qui a permis aux crimes et aux violations des droits de l'homme de se poursuivre sans frein au Darfour ».

Le Secrétaire général félicite également « tous les membres d'avoir surmonté leurs désaccords afin de permettre au Conseil d'agir afin de garantir que les responsables d'atrocités au Darfour soient tenus pour responsables de leurs actes ».

Le 16 février dernier, le Secrétaire général avait instamment appelé les membres du Conseil de sécurité à agir (voir notre dépêche du 16 février), les encourageant à suivre les conclusions de la Commission d'enquête internationale qui, constatant la commission de crimes pouvant être qualifiés de crimes contre l'humanité au Darfour, recommandait dans son rapport la saisine de la CPI (voir notre dépêche du 1er février 2005).

A l'issue de la réunion, l'ambassadeur de la France, Jean-Marc de la Sablière et celui du Royaume-Uni, Emyr Jones Parry, ont fait une déclaration commune à la presse.

"La décision de ce soir est bonne pour la population du Darfour, pour le Conseil de sécurité, pour la communauté internationale et pour la CPI", a déclaré Emyr Jones Parry.

"Elle fait partie d'une stratégie d'ensemble pour le Soudan, qui comprend déjà une Mission des Nations Unies, des mesures contre ceux qui font échouer le processus politique et un soutien crucial à l'Union africaine. Enfin, nous avons mis fin ce soir à l'impunité", a-t-il ajouté, estimant que ces quatre décisions seraient cruciales pour rétablir la sécurité dans ce pays et pour faire appliquer les accords de paix.

Pour sa part, Jean-Marc de la Sablière a déclaré : "Ce soir, il n'y a qu'un seul gagnant : ceux qui luttent contre la terreur. Il n'y qu'un seul perdant : ceux qui commettent des crimes et qui entendent les poursuivre".

« Nous continuerons à agir pour sauver des vies et pour rendre justice aux victimes et à leurs familles », a-t-il ajouté, estimant que c'était aussi un « succès pour le Conseil de sécurité ».

« Certains ont prévenu que le Conseil serait divisé sur la question. En réalité, le Conseil est parvenu à une solution qui accommode les intérêts de chacun », a-t-il déclaré.

« C'est enfin une victoire pour la CPI, puisque c'est la première fois que le Conseil de sécurité fait référence à la Cour ».

L'ambassadeur de la France a rendu hommage à ce qu'il a qualifié de coopération exemplaire entre le Royaume-Uni et la France et de travail commun de l'Europe.

Parmi les co-parrains des différents projets de résolution, figuraient ainsi le Danemark, la France, la Grèce, la Roumanie et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord.

« Je voudrais aussi saluer notre partenaire, les Etats-Unis. Nous comprenons qu'ils ont fait des efforts considérables pour y parvenir, malgré leurs réserves envers la Cour", a ajouté l'ambassadeur de la France.

Ce dernier a rappelé que tous les membres étaient « unis sur un seul objectif, combattre l'impunité » et qu'il était « confiant dès le départ ». « Tous les membres du Conseil se sont rassemblés pour parvenir » à ce vote, a ajouté Emyr Jones Parry.

Interrogé sur la coopération du Gouvernement soudanais avec la CPI, l'Ambassadeur de la France a estimé "qu'ils coopèreraient", compte tenu du fait que « la résolution avait été prise dans le cadre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies », qui prévoit le recours à la force en cas de menace à la paix et à la sécurité internationales.

Pour sa part, le Représentant du Soudan, prenant la parole à son tour devant les membres de la presse, s'est interrogé sur l'identité des suspects cités par la Commission d'enquête internationale qui s'est rendu au Soudan « pour trois semaines seulement ».

Il a ajouté que si le Conseil de sécurité entendait régler les problèmes de façon authentique, il se féliciterait de cette décision, mais que s'il agissait de façon sélective et suivant une politique de « deux poids, deux mesures », il la regrettait.