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Afghanistan : un expert de l'ONU dénonce les abus commis dans les prisons et les possibles tortures

Afghanistan : un expert de l'ONU dénonce les abus commis dans les prisons et les possibles tortures

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« Le Gouvernement afghan soutient les droits de l'homme et l'Etat de droit, mais il y a une différence entre ce qu'il dit et ce qu'il fait », selon l'Expert sur les droits de l'homme de l'ONU pour l'Afghanistan, dans un rapport qui met en lumière la situation dramatique des prisonniers, notamment celle des femmes, et les abus des forces gouvernementales spéciales et des Forces étrangères de la Coalition qui agissent hors de tout cadre légal.

Le Rapporteur indépendant de la Commission des Droits de l'homme de l'ONU pour l'Afghanistan, Cherif Bassiouni, en visite dans le pays depuis le 31 janvier, a dénoncé, lors d'une conférence de presse qui s'est tenue samedi 5 février 2005 à Kaboul, les faiblesses du système judiciaire afghan, les abus commis dans les prisons et la tendance inquiétante à la multiplication des « forces spéciales » qui disposent de pouvoirs extraordinaires.

« Le système judiciaire, sa capacité à fonctionner et son efficacité », ainsi que les « faiblesses du système carcéral » et le respect des normes minima pour le traitement des prévenus, font partie des principales préoccupations soulevées par Cherif Bassiouni, qui souligne que le développement du trafic de drogues fait peser à cet égard un risque considérable pour la société afghane, si les anciens seigneurs de guerre venaient à se convertir en narcotrafiquants.

Lors de sa conférence de presse, Cherif Bassiouni a souligné les « terribles conditions dans les prisons », après sa visite à Kaboul et à Logar, où la prison consiste en un container de métal, enterré dans le sol, où les prisonniers sont enchaînés 24h sur 24h - pour certains d'entre eux depuis des semaines.

« C'est une pratique inhumaine, qui est illégale et qui ne devrait pas être tolérée », a souligné l'Expert des droits de l'homme, qui explique que ce phénomène est aggravé parce que les gardiens de prisons ne sont pas payés pendant plusieurs mois d'affilée et que leurs seules ressources proviennent du paiement qu'ils reçoivent en échange du retrait des chaînes et entraves.

Cherif Bassiouni a par ailleurs déploré l'absence de services médicaux dans les prisons, où il n'y a « ni médecin, ni équipement médical » et quasiment aucun médicament, et s'est inquiété du sort des femmes en prison, qui sont tenues de garder leurs enfants.

« Si vous allez dans une prison pour femmes, il y a plus d'enfants que de femmes », de sorte que « les crimes des mères sont reportés sur les enfants qui en paient le prix », a-t-il déploré, soulignant qu'en outre « les autorités carcérales ne fournissent pas de nourriture aux enfants ». « Les mères doivent partager les rations et la nourriture avec les enfants, de même que l'espace et les couvertures » ce qui conduit à des conditions inhumaines non seulement pour les mères mais aussi pour les enfants innocents.

L'Expert de l'ONU estime à cet égard que la situation des femmes, ainsi que des groupes minoritaires et des pauvres quant à l'accès à la justice, reste très difficile en raison du poids du droit coutumier et des traditions. Il s'est toutefois félicité de la fatwa [décret religieux] adoptée à la veille des élections, qui exhortait les maris à laisser leurs femmes voter.

« Le Gouvernement exprime, de toutes les façons possibles, son soutien envers les droits de l'homme, l'Etat de droit et son engagement à l'appuyer », a-t-il déclaré, « mais il existe une différence entre ce que le Gouvernement dit et ce que le Gouvernement fait ».

« Parfois cela est lié au manque de ressources, mais souvent il manque un système de suivi au sein du Gouvernement pour s'assurer que ses obligations sont mises en oeuvre ».

Par ailleurs, a souligné Cherif Bassiouni, « je voudrais attirer l'attention des médias » sur une pratique inhabituelle qui s'est enracinée en Afghanistan, à savoir que « des forces étrangères se sont arrogées le droit, hors de toute procédure légale, d'arrêter des gens, de les détenir, de les maltraiter et peut-être même de les torturer ».

« Les Forces de la Coalition ne peuvent se prévaloir d'aucune base juridique pour détenir des gens », a-t-il affirmé. « S'ils sont détenus en tant que prisonniers de guerre, elles doivent respecter les Conventions de Genève. S'ils sont détenus en tant que prisonniers de droit commun, elles doivent se conformer au droit afghan et à la Constitution afghane », a-t-il déclaré, soulignant que ce n'était pas le cas et qu'il était très préoccupé de s'être vu refuser l'accès à Bagram et à Kandahar.

Enfin, l'Expert de la Commission des droits de l'homme s'est inquiété d'une tendance du Gouvernement afghan, « peut-être sous l'influence des Forces de la Coalition », à multiplier les forces spéciales de police, qui « semblent agir hors du cadre légal », citant notamment « les Forces spéciales de sécurité, les Forces spéciales anti-stupéfiants, les Forces spéciales d'action rapide et maintenant une force très secrète nommée Forces spéciales ».

« Ma préoccupation n'est pas l'existence de ces forces » a-t-il souligné, « il peut y avoir des raisons très valables pour la création de forces spéciales », mais elles semblent pouvoir « arrêter des gens hors du cadre légal » et la loi n'est pas en mesure de protéger la population contre ces violations, a affirmé Cherif Bassiouni.