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Pétrole contre nourriture : la Commission Volcker a remis son rapport à Kofi Annan

Pétrole contre nourriture : la Commission Volcker a remis son rapport à Kofi Annan

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« Des conclusions guère agréables à lire pour tous ceux qui aiment l'ONU », a affirmé aujourd'hui Kofi Annan à la lecture du rapport intermédiaire de la Commission d'enquête sur le Programme « pétrole contre nourriture », qui relève de possibles malversations individuelles mais juge positivement l'administration du programme, tandis que le chef de Cabinet du Secrétaire général a rappelé que l'ONU jouait un rôle secondaire dans la saga du trafic de pétrole iraquien, largement hors de sa portée.

Les conclusions du rapport Volcker ne sont « guère agréables à lire », a déclaré aujourd'hui le Secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, dans un message transmis par son chef de Cabinet, Mark Malloch Brown, lors d'une conférence de presse qui s'est tenue au Siège de l'ONU, à New York.

Cette conférence de presse faisait suite à la diffusion publique du rapport intermédiaire (en anglais) de la Commission d'enquête indépendante , présidée par Paul Volcker et coprésidée par le Juge Richard Goldstone et le Professeur Mark Pieth, « trois hommes d'une réputation extraordinaire dans leurs domaines respectifs de la finance, du droit et de la criminologie – des hommes d'une intégrité et d'une compétence au-delà de tout soupçon », selon les termes du message du Secrétaire général.

« En effet, [ces conclusions] sont particulièrement pénibles à lire pour tous ceux d'entre nous qui aiment cette Organisation et qui l'ont servie de leur mieux au cours des ans », a-t-il précisé, indiquant deux raisons.

« Tout d'abord, des collègues aux côtés desquels nous avons travaillé font face à des accusations graves. J'ai clairement fait savoir, lorsque j'ai mis en place cette Commission d'enquête, que les mesures appropriées, dans le plein respect des droits de la défense, seraient prises contre les individus ou les entités dont il ressortira qu'elles ont violé les règles ou les procédures de l'ONU », a rappelé le Secrétaire général.

« En conséquence, j'ai lancé aujourd'hui des mesures disciplinaires contre Joseph Stephanides, la personne nommée dans le rapport qui est encore en poste, et contre Benon Sevan, l'ancien chef du Bureau chargé du Programme Iraq, à l'égard duquel le rapport contient des preuves extrêmement troublantes de malversations », a indiqué Kofi Annan, précisant que « M. Sevan avait pris sa retraite mais qu'il était resté sur le rôle du personnel, avec un salaire symbolique, afin de garantir sa disponibilité envers l'enquête ».

Le Secrétaire général a souligné qu'il maintiendrait sa promesse de ne protéger aucun individu ayant violé la loi, indiquant que « si les résultats d'une enquête donnaient lieu au prononcé d'accusations de nature pénale, l'ONU coopérerait avec les autorités judiciaires nationales », et que « dans l'intérêt de la justice », il « lèverait l'immunité diplomatique du membre du personnel concerné ».

Par ailleurs, a noté le Secrétaire général dans son message, « je suis très heureux de relever la conclusion selon laquelle l'administration, le budget et la comptabilité » du Programme par les Nations Unies ont été bien rempli leur rôle en affectant les fonds aux objectifs du Programme.

Mais le Secrétaire général relève également que « le processus d'attribution des marchés initiaux pour les sociétés exerçant des activités bancaires ou d'inspection » ne répondait pas « aux normes d'équité, d'objectivité et de transparence requis par la Charte des Nations Unies et ses procédures, et que les systèmes de contrôle et de gestion mis en place par le Programme étaient, en de nombreuses occasions, inadéquats ».

Ainsi qu'il l'avait annoncé hier (voir notre dépêche du 2 février 2005), Kofi Annan a rappelé qu'il avait déjà pris des mesures pour y remédier, et que d'autres mesures seraient annoncées bientôt. Il a aussi indiqué qu'il attendait, « la conscience tranquille », le rapport ultérieur devant aborder la question « liée au marché d'un contractant qui employait » son fils.

Kofi Annan a enfin remercié la Commission d'avoir jugé l'ONU « au regard des normes éthiques les plus élevées » et d'avoir reconnu que « peu d'institutions se sont librement soumises au genre d'examen approfondi qu'emporte les travaux de la Commission ».

Répondant aux questions des journalistes lors de la conférence de presse qui s'est tenue en fin d'après-midi, le chef de Cabinet du Secrétaire général, M. Mark Malloch Brown, a souhaité remettre en perspective les conclusions du rapport Volcker.

image• Retransmission de la conférence de presse de Mark Malloch Brown [44 mins]

Il a tout d'abord rappelé qu'aucun membre du personnel n'avait été « accusé d'un crime », même si le Secrétaire général s'était déclaré « terriblement choqué et consterné par les allégations d'une violation du code de conduite de l'ONU » et qu'il n'y verrait « aucune circonstance atténuante ».

« Il s'agit là de dysfonctionnement critiques des règles de l'ONU, commises par des individus et par les organes de gestion ». Les règles d'attribution des marchés publics existant en 1996 ont été ignorées ou irrégulièrement appliquées, « pour des raisons politiques » a-t-il souligné, rappelant que tout cela s'était produit avant l'entrée en fonctions de Kofi Annan.

« Mais il faudra réexaminer ces règles, afin de s'assurer qu'elle sont suffisantes pour éviter des abus à l'avenir », a précisé Mark Malloch Brown, ajoutant que le seul poste du budget de l'ONU ayant connu une croissance, dans une période marquée par la stagnation, avait été celui des audits et que depuis 1999 une règle de l'ONU imposait un rapport écrit lorsque l'on attribue un marché à un autre contractant qu'au moins-disant.

« Mais il s'agit d'un épisode d'un tableau bien plus large », a affirmé Mark Malloch Brown.

« Les milliards de dollars qui ont financé le régime de Saddam Hussein, mais qui ont principalement eu pour origine le trafic de pétrole, lequel, ainsi que l'on rappelé de nombreux journaux ce matin, se trouvent largement hors du champ de compétence de l'ONU ».

« C'est une vaste saga, dans laquelle l'ONU ne compte que pour une triste et courte histoire », a-t-il estimé.

« Deux messages très clairs émanent du rapport », a-t-il affirmé : « Du côté du Secrétaire général, il faut plus de transparence et de responsabilité. Du côté des Etats Membres : 'Desserrez l'étreinte' et 'laissez-nous gérer cette Organisation', et n'essayez pas, au nom de la micro-gestion, d'introduire des visées politiques dans les décisions prises ».

Mark Malloch Brown a précisé que le rapport montrait l'intervention de plusieurs Etats Membres, dont les Etats-Unis et le Royaume-Uni, qui avaient contribué à la politisation du processus, assistant au trafic de pétrole malgré les alertes lancées au Comité du Conseil de sécurité.

Interrogé sur le risque que pouvait entraîner la publication du rapport pour ce qui est de saper la confiance des gouvernements envers l'ONU, le chef de Cabinet du Secrétaire général a estimé qu'au contraire, le rapport donnait plutôt de « bons points » à l'ONU pour sa gestion du Programme. « La confiance qu'ils peuvent avoir dans une entreprise comme l'aide humanitaire au Tsunami est donc bonne », a-t-il affirmé.

Mark Malloch Brown a par ailleurs insisté sur la remise du programme dans son contexte : il existe une différence flagrante entre les sommes faramineuses, les 21 milliards de dollars ayant prétendument disparu et les conclusions du rapport qui visent des allégations de malversations portant sur « une somme de quelques 160.000 dollars », a-t-il rappelé.

Immédiatement après l'invasion du Koweït par l'Iraq en 1990, le Conseil de sécurité avait adopté une série de sanctions visant à isoler le régime de Bagdad. Pour pallier aux conséquences négatives de ces sanctions sur la population iraquienne, le Conseil de sécurité avait adopté la résolution 986 (1995), mettant en place le Programme "pétrole contre nourriture", qui autorisait l'Iraq à vendre son pétrole afin de consacrer la majeure partie des recettes à l'achat de denrées alimentaires et d'autres articles humanitaires de première nécessité.

Le Comité des sanctions contre l'Iraq, créée par la résolution 661 (1990) du Conseil de sécurité, dit « Comité 661 », assumait la pleine responsabilité du respect de l'application du Programme pétrole contre nourriture. Il incombait également au Comité, composé des représentants des États membres siégeant au Conseil de sécurité, d'approuver les contrats et de prendre les mesures nécessaires en cas d'irrégularités (un aperçu historique du programme).

- Dossier Iraq du site de l'ONU

- Dossier « pétrole contre nourriture » du site de l'ONU