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Conseil de sécurité : des tribunaux en manque de fonds et de coopération

Conseil de sécurité : des tribunaux en manque de fonds et de coopération

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Réuni ce matin pour examiner les rapports des Tribunaux spéciaux pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda, le Conseil de sécurité a entendu un appel semblable des deux présidents : la date butoir fixée à 2008 ne sera pas réalisable si les Etats Membres ne paient pas leurs contributions, et si certains Etats, notamment dans le cas de l'ex-Yougoslavie, continuent de refuser de coopérer.

« Vingt fugitifs restent en fuite et doivent être arrêtés, notamment Radovan Karadzic, Ratko Mladic et Ante Gotovina » a déclaré aujourd'hui le Président du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie ( TPIY ), Theodor Meron, dans le cadre d'une séance du Conseil de sécurité au cours de laquelle il a présenté le dernier rapport du Tribunal.

Répondant aux consignes du Conseil de sécurité qui presse le Tribunal de boucler ses travaux d'ici à 2008 (voir notre dépêche du 29 juin dernier) , le Président a estimé que le transfert des affaire aux juridictions nationales pouvait notablement alléger la charge du Tribunal mais a souligné que le TPIY devait maintenir sa compétence sur les affaires qui concernent les auteurs des crimes les plus graves et s'abstenir d'opérer un transfert vers une juridiction qui risquerait de ne pas accorder un jugement équitable ou qui pourrait prononcer une condamnation à mort.

La règle dite de « l'article 11 bis », qui permet de transférer un inculpé dans l'Etat où le crime a été commis, où l'inculpé a été arrêté ou dont la juridiction est prête à juger l'affaire, peut être très utile notamment pour intégrer la Bosnie-Herzégovine, la Croatie et la Serbie et Monténégro au processus, a déclaré le Président, qui la considère comme un moyen de favoriser la réconciliation et la justice dans la région, ainsi que le respect de l'état de droit.

Prenant peu après la parole devant le Conseil de sécurité, le Procureur du Tribunal, Carla del Ponte, a elle aussi estimé que cette mesure pouvait aussi contribuer à la bonne administration de la justice, dans l'intérêt des victimes.

Le Président Méron a toutefois noté que les Etats issus de l'ex-Yougoslavie n'étaient pas tous prêts. Si la Bosnie-Herzégovine paraît disposée à coopérer, notamment après la création d'un chambre spéciale auprès de la Cour d'Etat, et si les magistrats de la Cour suprême et des cours d'appel de la Croatie, qui ont bénéficié d'un séminaire de formation du Tribunal, ont impressionné le Président du TPIY par leur professionnalisme, il n'en est pas de même pour la Serbie et Monténégro et la République Srpska.

Or, a souligné le Président du TPIY, le deuxième facteur critique dans la capacité du Tribunal de terminer ses travaux d'ici à 2008 sera la coopération des Etats.

« Bien que la coopération avec la Bosnie-Herzégovine soit bonne dans tous les domaines, il n'y a pas de coopération de la part de la République Srpska », a réitéré le Président » (voir notre dépêche du 11 novembre 2004), alors que la coopération de la Croatie « est bonne dans tous les domaines sauf pour ce qui concerne l'arrestation d'Ante Gotovina, le seul fugitif de Croatie » qui reste à juger, a-t-il ajouté.

A cet égard, Carla del Ponte a souligné que d'un point de vue pratique, le report des arrestations et du transfert des inculpés « rendait la planification des jugements plus compliquée et risquait de saper l'efficacité du Tribunal ». Elle a évoqué à l'appui de ses dires, les cas d'Ante Gotovina qui aurait pu être jugé en même temps que ses acolytes Cermak et Markac.

Mme del Ponte a aussi attiré à nouveau l'attention sur le défaut de coopération de la Serbie et Monténégro lorsqu'il ne s'agit pas d'efforts de sa part pour prévenir les inculpés de leur arrestation imminente afin qu'il puissent s'enfuir (voir notre dépêche du 19 juillet 2004.)

« Une grande majorité [des fugitifs] vit en Serbie, a-t-elle souligné, ajoutant que le « Premier ministre Kostunica avait clairement fait savoir qu'il n'était pas disposé à arrêter les fugitifs, mais seulement à les convaincre de se rendre volontairement. »

Carla del Ponte a précisé que si la plupart des fugitifs avaient trouvé asile en Serbie, certains se trouvaient en Bosnie-Herzégovine où ils disposent de réseaux d'appui puissants. Le fait que la République Srpska n'ait toujours pas, neuf ans après les accords de Dayton, appréhendé un seul individu, jetait le doute sur leur volonté de coopérer et révélait des défauts structurels en matière juridique et sécuritaire.

Le Procureur du TPIY a aussi exprimé sa « grande frustration de voir partir la SFOR [la Force de l'OTAN en Bosnie-Herzégovine] », qui doit être remplacée par une force européenne, l'EUFOR, « en laissant courir Radovan Karadzic, alors que tous les commandants de la SFOR m'avaient promis qu'ils l'arrêteraient au cours de leur mandat ».

« On peut sérieusement se demander si un pays comme la Serbie, qui n'est pas disposée à arrêter les inculpés, sera soit intéressée soit capable de juger les personnes accusées de crimes de guerre sur leur territoire », a souligné Carla del Ponte, qui a posé la question des objectifs de la rhétorique agressive, tant en Serbie même qu'au Kosovo, et si elle avait pour but de souiller la réputation du Tribunal, sous le prétexte que « si les autorités coopèrent avec le TPIY, cela déstabilisera le pays ».

En l'état actuel des choses, a estimé le Président Meron, le Tribunal devrait être en mesure de terminer ses travaux d'ici à 2008 sauf si la capture de Radovan Karadzic et Ratko Mladic ainsi que de quatre généraux serbes inculpés en octobre 2003, intervenait entre-temps.

Le Président et le Procureur du Tribunal ont tout deux souligné que le manque de financement et le gel du recrutement, risquaient d'avoir des conséquences sur la qualité des travaux et sur la rapidité de jugement des affaires.

Le Président Meron a toutefois rendu hommage aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité, qui ont tous acquitté en totalité leurs contributions au Tribunal dont les travaux, a-t-il rappelé, ont une portée qui dépasse l'ex-Yougoslavie puisque sa jurisprudence en matière de droit pénal international, de droit humanitaire et de droits de l'homme a un rayonnement international et sera précieux pour la Cour pénale internationale.

Présentant les activités du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), le Président du TPIR, le Juge Eric Møse, a indiqué le TPIR est en bonne voie pour parvenir à terminer ses travaux à la date fixée par le Conseil de sécurité de 2008, précisant toutefois que les jugements en cours concernent des affaires volumineuses, qui appelleront de nombreux témoins à la barre.

Malgré l'arrivée de quatre nouveaux juges en septembre, le TPIR, comme le TPIY souffrira du gel des recrutements, a-t-il noté, d'autant que la construction d'une quatrième chambre d'audience, qui permettrait d'accélérer la procédure, ne pourra se faire sans contributions volontaires.

En outre, a noté le Juge Møse, « le TPIR ne pourra respecter les délais imposés par le Conseil de sécurité que s'il dispose des ressources suffisantes. » Or, pour le TPIY, ce n'est pas le cas.

« Il est paradoxal que les contributions financières indispensables ne soient pas versées alors que le Tribunal fait tout ce qu'il peut pour accomplir sa mission », a-t-il conclu.