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Sierra Leone : comment une nation pacifique a plongé dans l'horreur

Sierra Leone : comment une nation pacifique a plongé dans l'horreur

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Comment une nation pacifique plonge-t-elle dans l'horreur ? La Commission vérité et réconciliation en Sierra Leone tente de répondre à cette question dans un rapport final présenté à l'ONU, qui prévient que les causes de ce conflit complexe n'ont pas disparu et qui propose, pour l'avenir, un programme de réparations.

Comment une nation pacifique plonge-t-elle dans l'horreur ? La Commission vérité et réconciliation en Sierra Leone tente de répondre à cette question dans un rapport dont la version finale a été présentée à l'ONU, qui prévient que les causes de ce conflit complexe n'ont pas disparu et qui propose, pour l'avenir, un programme de réparations.

La Commission vérité et réconciliation en Sierra Leone a publié hier son rapport final, dressant un large tableau, des origines du conflit aux activités de réconciliation menées pour tenter d'apaiser les conséquences d'une guerre émaillée d'atrocités, qui a couvert toute la décennie de 1991 à 1999.

La publication de ce document de 5 000 pages et de 7 000 témoignages a été accompagnée hier d'une cérémonie solennelle , au Siège de l'ONU, à New York, à l'occasion de laquelle le Vice-Ministre sierra-léonais des affaires étrangères a souligné la difficulté à présent de mettre en oeuvre les recommandations de la Commission, et a demandé à la communauté internationale, de « faire plus encore pour que les énormes sacrifices consentis n'aient pas été vains ».

L'agence de l'ONU pour l'enfance (UNICEF) propose sur son site une page consacrée au rapport avec une version pour enfants (en anglais).

« Comment une nation pacifique s'est-elle engouffrée, apparemment du jour au lendemain, dans l'horreur. Quels sont les événements sous-jacents [...] qui ont rendu possible le conflit ? » interroge la Commission en ouverture de son rapport.

De la « mauvaise gouvernance » à « l'histoire de la période post-coloniale » aux rôles du « Libéria et de son ancien président Charles Taylor » et à « la Libye », c'est la complexité qui caractérise un conflit initialement qualifié par la communauté internationale « d'exemple supplémentaire de conflit tribal en Afrique », implosant sous la pression d'une crise économique.

A la base de l'analyse du rapport se trouvent « la nature et l'étendue de l'interaction sociale et politique entre les divers groupes qui composent la Sierra Leone [...] sapant le sens de l'identité nationale ».

De la période coloniale, vient l'héritage d'un double système de Protectorat et de Colonie, avec des lois différentes, créant des disparités en matière de citoyenneté, de propriété terrienne, et leurs conséquences en matière d'éducation et de développement politique et social, et nourrisant un ressentiment ethnique et régional.

Mais l'après-colonialisme a montré que dès1962, ethnicité et népotisme ont servi à l'élite politique du Sierra Leone Peoples Party à maintenir ses privilèges, attitude figée par le maintien au pouvoir du « All Peoples Congress » (APC).

« La corruption, le népotisme, et le pillage des ressources de l'Etat devinrent des méthodes de gouvernement normales » dans un système de clientèle à tous les niveaux, souligne la Commission vérité et réconciliation qui souligne que, « tragiquement, ces caractéristiques persistent aujourd'hui en Sierra Leone ».

Au premier rang des racines du conflit, la Commission relève « une gouvernance et des processus institutionnels dysfonctionnels », autrement dit l'absence de mesures qui incombent normalement à un gouvernement : l'adoption de lois, d'institutions, de procédures et de pratiques humaines, qui conduisent aux objectifs de justice, d'amélioration des conditions de vie, et de participation.

Aujourd'hui, souligne le rapport de la Commission, « la bonne gouvernance demeure un défi urgent à relever en Sierra Leone. La corruption est endémique et il n'y a toujours pas de tolérance dans le discours politique ». « De nombreux ex-combattants ont témoigné que les conditions présidant au conflit persistent et que, s'ils en avaient l'occasion, ils reprendraient les armes », souligne la Commission.

Retraçant l'histoire du conflit, la Commission souligne que ses différentes phases comprennent toutes un point commun accablant : « de graves violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire par toutes les factions ».

A l'origine des premières escarmouches, en mars 1991, décrit la Commission, un pacte conclu entre Foday Sankoh, fondateur du RUF, le Revolutionnary United Front (Front révolutionnaire uni) parti en Libye s'entraîner à « l'autodéfense » armé d'un programme révolutionnaire et Charles Taylor, intéressé à « libérer » le Libéria.

Pas de moins de seize cas spécifiques de violations des droits fondamentaux ont été recensés par la Commission, des amputations au cannibalisme forcé, des enlèvements au travail forcé, de la torture physique au viol.

« Pour comprendre les abus commis pendant la guerre, il faut comprendre les auteurs de ces crimes », note le rapport, qui souligne que le RUF est derrière la majorité d'entre eux, « inaugurant le concept de recrutement forcé au cours du conflit, y compris celui des enfants soldats, et responsable en majorité de l'usage de drogues par ses combattants ».

Les bandes du CRFA, le Conseil révolutionnaire des forces armées devinrent tristement célèbres pour leur spécialisation dans l'amputation, entre 1998 et 1999, tandis que les Forces de défense civile (CDF) étaient connues pour leur cérémonie d'initiation imposant la commission de violations des droits de l'homme, y compris contre les proches des « initiés », alors que les Kamajors ont l'exclusivité du cannibalisme forcé.

Point notable souligné par la Commission, la « fluidité étonnante » entre les différentes milices et groupes armés pratiquement interchangeables.

Quant aux femmes et aux jeunes filles, leur vulnérabilité a été délibérément exploitée afin de les déshumaniser, par le viol, le rapt, l'esclavage sexuel, et d'autres actes de violence sexuel tels que mutilation, torture et une kyrielle d'actes cruels et inhumains, note le rapport. Ces pratiques et le déplacement forcé, souvent sanctionnés par la mort en cas de refus, a conduit des jeunes filles à monnayer une assistance par des relations sexuelles, « y compris dans les camps d'assistance humanitaire », rappelle la Commission vérité et réconciliation.

Cherchant à savoir pourquoi un tel prix payé par les femmes, la Commission indique qu'elles ont souvent joué le rôle d'auteur de crime et de collaborateur, souvent par conviction et/ou par la nécessité de survivre. D'autres causes sont à chercher dans la question de l'honneur et la destruction du tissu traditionnel de la famille africaine étendue.

Les femmes continuent de porter les cicatrices de leur terrible expérience, puisque nombre d'entre elles ont eu des enfants des conséquences de viols, et sont exclues de la société pour avoir porté les enfants des « rebelles ».

« La Commission estime que ce n'est que lorsque le système juridique, social et politique traite les femmes à l'égal des hommes, leur donnant un plein accès aux opportunités économiques afin de leur permettre de participer à la vie publique comme privée, qu'elle pourront réaliser pleinement leur potentiel », souligne le rapport.

Quant aux enfants, on estime que près de 15 000 d'entre eux ont été séparés de leur famille pendant les dix ans de guerre. Privés de leur enfance et de leur jeunesse, et « soutien de famille » de fait, ils connaissent pour l'heure de grandes difficultés à se réinsérer, tant dans la société que dans leurs propres familles, indique la Commission, pour qui le programme de désarmement et de réinsertion souffre de l'état économique du pays qui offre peu d'opportunités, et qui les forme de façon inadéquate.

Quant au « moteur » du conflit, la Commission vérité et réconciliation remet en cause une notion largement répandue, selon laquelle les diamants seraient à l'origine de la guerre.

« C'est une version simpliste du conflit », indique la Commission. « S'il est vrai que le RUF a en partie financé ses efforts grâce au trafic de diamants, ce dernier n'a pas représenté des revenus significatifs » avant 1997, mais il est certain qu'en tant que première ressource minière du pays, les diamants ont créé une mono-économie, entraînant des disparités considérables dans la population.

« L'industrie internationale du diamant est restée largement indifférente à ce fait, même après que les médias aient rapporté les atrocités du conflit », et le prolongeant d'autant, souligne-t-elle.

Bien que le processus de certification de Kimberley ait amélioré la situation, « le trafic est loin d'être éradiqué », note la Commission qui signale deux faiblesses majeures : l'absence de suivi global des systèmes de certification nationaux, et l'admission de pays sans ressources diamantifères.

Concluant sur son propre rôle de réconciliation, la Commission note la délicate coordination entre ses activités et celles du Tribunal spécial pour la Sierra Leone : si « les deux cherchent la vérité à propos du conflit » c'est par des formes différentes. Un organe juridique a un objectif punitif et rétributif, alors que celui chargé de la réconciliation et de la vérité a un rôle largement réparateur et de cicatrisation.

Pour parvenir à la réconciliation, il faut passer par le rétablissement des relations entre les auteurs de crimes et les communautés auxquelles ils appartiennent, entre les victimes et les auteurs de crime. C'est un processus à long terme, souligne la Commission, qui comporte la responsabilité effective pour les actes commis, la reconnaissance, l'établissement de la vérité et la réparation.

Selon la Commission, il est crucial à présent de mettre en place un programme de réparation, pour éviter la répétition des abus, répondre aux besoins des victimes et favoriser la guérison des plaies de la guerre, en priorité en faveur des amputés et autres blessés de guerre, des victimes de violence sexuelle, des enfants et des veuves de guerre.