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Pas de protection de la sécurité sans protection des droits, selon Louise Arbour

Pas de protection de la sécurité sans protection des droits, selon Louise Arbour

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« Le terrorisme menace de nous priver d'une de nos plus précieuses valeurs : notre engagement envers l'état de droit » a déclaré le Haut Commissaire pour les droits de l'homme au cours d'un examen des politiques prises dans le monde au nom de l'impératif de sécurité qui menacent les libertés fondamentales, autorisent les détentions indéfinies, font disparaître les recours et autorisent la torture.

« Le droit, prémisse sur laquelle j'entends exercer mon mandat en tant que Haut Commissaire pour les droits de l'homme [...] est ce qui permet d'aplanir les divergences entre l'Etat et ses intérêts légitimes, notamment en matière de sécurité, et l'individu avec ses intérêts légitimes à la protection de la liberté et de la sécurité personnelle », a déclaré Louise Arbour, Haut Commissaire aux droits de l'homme, lors d'une allocution à la Conférence biennale de la Commission internationale des juristes, qui s'est tenue aujourd'hui à Berlin, sur le thème de la « sécurité dans l'état de droit ».

« Lorsque je parle de la loi, je ne veux pas dire n'importe quelle loi, bien sûr. La loi, comme toute autre institution, peut être objet d'abus » a-t-elle souligné.

« La loi qui doit nous guider est celle qui est capable de rendre justice et de remédier aux griefs exprimés », a précisé le Haut Commissaire pour les droits de l'homme, en prélude à un examen de l'état du droit international en matière de répression du terrorisme, de sa définition ainsi que du rôle du juge et du droit dans la protection des libertés individuelles, mises à mal par certaines évolutions dans la pratique des Etats, notamment après les attentats du 11 septembre 2001.

Première question à résoudre, selon Louise Arbour : ce qu'est le terrorisme. Si l'acception populaire en fait « un acte maléfique, un crime international », et que l'on se préoccupe souvent de l'absence d'une définition universellement acceptée, de nombreux éléments de cette définition existent déjà, notamment dans la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, qui a été ratifiée par 120 Etats, et qui vise tout « acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil [...] lorsque [...] cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement [...] à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte quelconque ».

Malgré le recours à cette définition, notamment par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), c'est l'absence d'une définition universelle du terrorisme qui a fondé la réticence de nombreux Etats à le voir entrer dans la compétence de la Cour pénale internationale, a rappelé Mme Arbour, qui a précisé que lors de la Conférence d'examen du Statut de Rome, en 2009, il aura été possible de parvenir à une définition acceptable.

Une fois cette définition établie, se pose encore la question de savoir comment s'articulent la protection de la sécurité publique et celle des libertés individuelles.

« Soyons tout à fait clairs : il ne fait pas de doute que les Etats sont obligés de protéger leurs citoyens contre les actes de terrorisme. Le droit le plus important est le droit à la vie. Les Etats ont non seulement le droit mais aussi le devoir de protéger ce droit en mettant en place des mesures efficaces pour prévenir et dissuader la perpétration d'actes de terrorisme » a rappelé Mme Arbour.

« Mais les mesures prises contre le terrorisme ne peuvent être prises à n'importe quel prix. C'est une des raisons pour lesquelles nous continuons de penser que le Comité contre le terrorisme [établi par le Conseil de sécurité] devrait considérer non seulement la mise en oeuvre des mesures de contre-terrorisme, mais aussi leur impact sur les droits de l'homme ».

« Bien que le terrorisme modifie nécessairement le contexte dans lequel doit opérer l'état de droit, il n'appelle pas d'abdication du droit » a réaffirmé Mme Arbour, citant un arrêt de la Cour Suprême canadienne rendu alors qu'elle y siégeait encore, avant d'assumer ses actuelles responsabilités de Haut Commissaire aux droits de l'homme.

« En termes clairs : le pouvoir judiciaire ne doit pas abandonner son analyse sobre, à long terme et fondée sur des principes des questions qui lui sont soumises parce qu'un appel lui est lancé par le pouvoir exécutif pour qu'ils prennent des mesures extraordinaires, fondées sur des informations qui ne peuvent être partagées, pour obtenir des résultats qui ne peuvent être mesurés », a-t-elle expliqué, rappelant qu'il revient aux juges, sans adopter une démarche obstructionniste, d'énoncer les critères de respect du droit et de les mettre en oeuvre lorsque les droits de l'homme sont menacés.

Pour Louise Arbour, cette analyse est fondée sur un objectif fondamental : « le soutien des droits de l'homme et de l'état de droit contribuent en fait à améliorer la sécurité ».

Le droit international humanitaire et notamment l'article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, prévoit déjà des mesures importantes contre le terrorisme, même dans les circonstances les plus graves, a-t-elle rappelé, notamment lorsque est mise en danger la « vie de la nation ». Dans ce cas, les Etats peuvent prendre des mesures d'urgence, si elles sont strictement requises par les circonstances et si elles sont conformes aux obligations internationales de l'Etat.

« Certains droits ne peuvent jamais faire l'objet de dérogations », a fermement rappelé la Haut Commissaire aux droits de l'homme.

Le Comité des droits de l'homme de l'ONU a souligné que l'existence d'une possibilité de recours est fondamentale : « personne ne devrait être détenu indéfiniment sans accès à un conseil et aux tribunaux », « seul un tribunal peut juger et condamner un individu pour une activité criminelle », et la présomption d'innocence doit être respectée.

Aux Etats-Unis, le principe d'accès aux tribunaux vient d'être réaffirmé par une récente décision de la Cour suprême dans l'affaire Hamdi c. Rumsfeld de 2004 qui rappelle que « l'histoire et le sens commun enseignent qu'un système de détention dépourvu de recours recèle le potentiel de devenir un moyen d'oppression et d'abus d'autres personnes qui ne présentent pas de danger ».

Comme l'a rappelé la Cour suprême des Etats-Unis, « l'état de guerre n'est pas un chèque en blanc attribué au Président quant aux droits des citoyens de la nation », a souligné Mme Arbour, qui a fait mention d'une autre décision de la Cour suprême dans l'affaire Rasul c. Bush à propos de la prison de Guantanamo, à Cuba, concernant le droit des Cours fédérales à connaître de la légalité de détentions potentiellement indéfinies d'individus clamant leur innocence.

« La présomption d'innocence est un droit auquel il ne peut être dérogé en droit international » a rappelé Louise Arbour, citant la Commission des droits de l'homme. La hâte en matière de jugement est toujours risquée, ainsi que le montrent plusieurs décisions prononçant des acquittements, comme dans l'affaire Mzoudi, en Allemagne, suspecté d'avoir collaboré avec les auteurs de l'attentat du 11 septembre 2001.