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Les espaces publics sont cruciaux pour l’exercice des droits culturels, selon l’experte Karima Bennoune

La Rapporteure spéciale des Nations Unies dans le domaine des droits culturels, Karima Bennoune.
Photo : ONU/Jean-Marc Ferré
La Rapporteure spéciale des Nations Unies dans le domaine des droits culturels, Karima Bennoune.

Les espaces publics sont cruciaux pour l’exercice des droits culturels, selon l’experte Karima Bennoune

Droits de l'homme

Karima Bennoune, est Rapporteure spéciale des Nations Unies dans le domaine des droits culturels depuis 2015. Dans son dernier rapport, présenté à l’Assemblée générale des Nations Unies, elle s’est concentrée sur l’importance des espaces publics pour l’exercice des droits culturels.

Cet article fait partie d'une série sur les Rapporteurs spéciaux des Nations Unies

Karima Bennoune a grandi en Algérie et aux Etats-Unis. Elle est Professeure de droit et chercheuse pour le programme Martin Luther King, Jr. Hall à la faculté de droit Davis de l’Université de Californie, où elle enseigne les droits humains et le droit international.

Elle s’intéresse à l’importance des initiatives artistiques et culturelles comme facteur d'émancipation déterminant pour la construction et le respect des droits humains.

Elle était à New York pour présenter son rapport annuel devant l’Assemblée générale. Dans un entretien accordé à ONU Info, Karima Bennoune explique l’importance des espaces publics « comme espaces dans lesquels la vie culturelle se forme, se développe et s’exprime et où les idées peuvent être confrontées et où la diversité culturelle d’une société devrait être visible et appréciée ». 

En quoi consiste les droits culturels ?

Les droits culturels sont énoncés dans plusieurs instruments internationaux et en particulier dans l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Comme l’explique Karima Bennoune, « ils protègent notamment la créativité humaine dans toute sa diversité, la liberté de choisir, de s’exprimer et de développer son identité. Ils comprennent ainsi le droit de choisir de faire partie d’un collectif particulier ou de le quitter et d’y participer dans des conditions d’égalité ».

« Les droits culturels donnent aussi le droit aux individus et aux groupes de participer ou non à la vie culturelle de leur choix et le droit d’interagir et d’avoir des échanges indépendamment de l’appartenance à un groupe », ajoute-t-elle. « C’est aussi le droit d’apprécier des arts, des connaissances de son propre patrimoine et de celui d’autrui et d’y avoir accès. C’est enfin le droit de participer à la définition et à l’exécution de politiques et de décisions qui influent sur l’exercice des droits culturels d’une personne ».

« C’est dans les espaces publics que la vie culturelle prend forme »

L’importance des espaces publics pour l’exercice des droits culturels

Pour l’experte onusienne, les espaces publics ouverts et sûrs sont des conditions nécessaires pour l’exercice de nombreux droits humains.

« Les libertés d’expression artistique et de création de même que les droits culturels des personnes appartenant à certains groupes souvent marginalisés tels que les femmes ou les personnes en situation d’handicap ne peuvent être réalisés sans espaces publics adéquats ou sans des accès égaux à tous ces espaces », explique-t-elle.

De plus, ajoute-t-elle, l’objectif 11.7 du Programme de développement durable à l’horizon 2030 affirme l’importance d’assurer l’accès de tous, en particulier des femmes et des enfants, des personnes âgées et des personnes handicapées à des espaces verts et à des espaces publics sûrs.

« J’insiste, dans mon rapport, sur la responsabilité des États et le rôle de tous les acteurs pour assurer que les espaces publics sont et demeurent des sphères de délibération, d’échanges et de jouissance des droits humains universels », dit-elle.

Mais certains obstacles doivent être surmontés pour que la population puisse avoir accès aux espaces publics et en bénéficier, explique Karima Bennoune. « Premièrement des politiques publiques, des normes sociales et des pratiques exclusivistes. Deuxièmement, le manque d’information par rapport aux lieux publics existants et à leur utilisation. Troisièmement les risques de menaces, violence ou harcèlement dans les espaces publics ».

L’architecture des espaces publics peuvent contribuer à rendre ces espaces accueillants ou non pour un certain nombre de personnes et de pratiques, explique-t-elle. « De même, divers éléments historiques, mémoriaux et symboliques peuvent avoir un impact sur qui se sent légitime pour investir les espaces publics et qui au contraire peut s’en sentir exclu », ajoute-elle.

Comment s’assurer que ces espaces restent une sphère de délibération, d’échanges, de cohésion sociale sans discrimination ?

La priorité pour Karima Bennoune est que ces espaces publics soient sûrs pour que chacun puisse les utiliser. « Il est également important qu’une diversité de points de vue, évènements et manifestations puissent se dérouler dans les espaces publics afin de permettre un contact avec les idées et pratiques différentes et une rencontre entre les personnes qui contribue à la cohésion sociale », dit-elle.

Par ailleurs, elle explique qu’il faut que les œuvres d’art présentées dans les espaces publics représentent des apports significatifs aux paysages culturels et contribuent à la rencontre et au débat sur la société. Il est donc important, pour Karima Bennoune, « que les autorités publiques promeuvent la présence de l’art dans les espaces publics qui contribue au droit d’avoir accès à une vaste palette de moyens d’expression artistique et consultent les populations locales lors des processus décisionnels concernant les œuvres à proposer ».

Est-ce que les espaces virtuels remplacent les espaces publics ou peuvent-ils cohabités ?

L’augmentation des espaces virtuels n’amoindrit aucunement l’importance des espaces réels ou les êtres humains peuvent interagir, explique Karima Bennoune. « Ils ajoutent une nouvelle dimension puisqu’ils complètent les lieux concrets sans pour autant les remplacer ».

En ce sens ils présentent beaucoup de défis communs aux autres espaces publics. Les garanties des droits humains sont donc toujours valables en ligne et sont sujette aux mêmes restrictions autorisées par le droit international des droits humains, a ajouté la Rapporteuse spéciale. Des mesures doivent être prises pour assurer l’accès et la participation de toutes et de tous au cyberspace.

Mais, elle met en garde sur le fait que « si les espaces virtuels ouvrent des nouvelles perspectives intéressantes pour exercer ces droits culturels et nouer des relations à l’échelon mondial et local, ils soulèvent également des questions pressantes sur les droits fondamentaux et menacent d’ébranler des lieux concrets, encourageant les personnes à accorder la priorité aux échanges virtuels par rapport aux interactions en présence de leurs semblables ».

La pleine participation des femmes doit être encouragée dans les espaces publics

« Dans la pratique, les femmes ont souvent des obstacles considérables à accéder aux espaces publics en raison des risques pour leur sécurité et des normes sociales et culturelles. Elles sont souvent complètement exclues d’espaces de vie culturelle tels que les stades, les salles de concert mixtes, les cafés, les lieux de culte ou les sites patrimoniaux, en effraction du droit international des droits humains », souligne Karima Bennoune.

« Assurer la pleine participation des femmes aux espaces publics est une garantie importante de diversité culturelle et de la réalisation de leur droit culturel et de leurs droits humains. Les impliquer dans l’élaboration de politiques aux arts ou encore à la programmation d’évènements peut leur permettre de se réapproprier mentalement et physiquement ces lieux et de revendiquer leur droit à les fréquenter et à les utiliser pour elles-mêmes et pour d’autres », ajoute-t-elle.

De plus, une perspective sensible au genre dans l’aménagement, la conception et la gestion même des espaces publics garantit que les espaces publics sont plus inclusifs et que certains préjugés conscients ou inconscients sont déconstruits, explique la Rapporteure spéciale.

Comment les droits culturels jouent un rôle central dans la lutte contre le fondamentalisme et l’extrémisme ?

« Ce que les fondamentalismes et extrémismes de toutes sortes ont en commun c’est leur volonté d’anéantir l’expression de la diversité culturelle et de toute forme de contestation, d’imposer une vision monolithique du monde, une seule manière d’interagir et une division nette entre des groupes culturels qui seraient figés dans le temps », dit Karima Bennoune.

« C’est naturellement dans les espaces publics que la pression de ces idéologies se fait sentir en premier par le fait que les personnes s’auto-censurent ou limitent leurs expressions culturelles ou bien par la formulation de restrictions et régulations visant à réduire l’espace pour l’expression culturelle », ajoute-t-elle.

Elle souligne que « l’art, l’éducation et les ressources culturelles sont parmi les meilleures armes que nous avons pour combattre les fondamentalistes et les extrémistes ».

 

NOTE

Les Rapporteurs spéciaux font partie de ce que l’on appelle les Procédures spéciales du Conseil des droits de l'homme. Les procédures spéciales, le plus grand groupe d'experts indépendants du système des droits de l'homme de l'ONU, représentent un ensemble de mécanismes d’enquête et de suivi indépendants établis par le Conseil des droits de l’homme et qui traitent soit de situations nationales spécifiques soit de questions thématiques au niveau mondial. Les experts des procédures spéciales travaillent sur la base du volontariat ; ils ne font pas partie du personnel de l'ONU et ne reçoivent pas de salaire pour leur travail. Ils sont indépendants de tout gouvernement ou organisme et siègent à titre personnel.