L'actualité mondiale Un regard humain

Au Soudan du Sud, les violences sexuelles se poursuivent à des niveaux élevés (experts de l’ONU)

Une femme sud-soudanaise avec ses enfants.
Photo : ONU / Isaac Billy
Une femme sud-soudanaise avec ses enfants.

Au Soudan du Sud, les violences sexuelles se poursuivent à des niveaux élevés (experts de l’ONU)

Droits de l'homme

La Commission des Nations Unies sur les droits de l’homme au Soudan du Sud a dénoncé lundi la poursuite des violences sexuelles dans ce pays d’Afrique de l’Est et est préoccupée de la lenteur dans la mise en place d’un tribunal spécial chargé de poursuivre ces violences.

« Les femmes à Bentiu, Yei et Wau signalent encore, en 2019, des niveaux élevés de violence sexuelle et sexiste », a alerté la Présidente de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies au Soudan du Sud. Selon Yasmin Sooka, « les viols n’ont pas cessé malheureusement ».

Devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, la Commission s’est préoccupée des lenteurs dans la mise en place d’un tribunal spécial chargé de poursuivre les violences sexuelles. Ce tribunal « n’a pas encore commencé à fonctionner correctement ».

En attendant, la plupart des affaires de viol et de violences sexuelles sont toujours renvoyées devant les tribunaux coutumiers, qui « continuent de prononcer des peines condamnant les violeurs à épouser leurs victimes afin de les exempter de poursuites pénales », a alerté Mme Sooka.

Recrutement d’enfants soldats à Juba et à Bahr el Ghazal occidental

Mme Sooka a expliqué que dans les tribunaux militaires qui tentent de poursuivre les auteurs de violences sexuelles, les juges doivent faire face à des problèmes de base. Ils n’ont même pas d’encre ni de papier pour imprimer leurs jugements et se rendent parfois sur les marchés pour payer de leur propre poche l’impression des documents de justice.  « C’est un gouvernement qui ne peut pas fournir de papeterie ni même de nourriture, mais n’a aucun problème à acheter des balles », a-t-elle regretté.

L’autre source d’inquiétude est le recrutement d’enfants soldats. Selon la Commission, des garçons de moins de 15 ans continuent d’être recrutés de force, notamment par des membres de l’Armée populaire de libération du Soudan dans l’opposition (SPLA-IO) et d’autres groupes d’opposition à Juba et à Bahr el Ghazal occidental, ainsi que par le gouvernement du Grand Bahr el Ghazal.

« Ironiquement, la perspective d’un accord de paix a accéléré le recrutement forcé d’enfants », a affirmé la Présidente de la Commission des droits de l’homme au Soudan du Sud.

Selon les experts indépendants onusiens, différents groupes armés cherchent maintenant à augmenter leur nombre avant de s’installer dans les sites de cantonnement. Or selon l’accord conclu récemment entre l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), une organisation régionale regroupant des pays d'Afrique de l'Est, et les parties au conflit, le gouvernement et les forces de l’opposition devraient disposer de 41.500 hommes prêts à être sélectionnés et formés pour l’armée unifiée d’ici la fin septembre, soit dans environ deux semaines.

Des enfants soldats sont libérés au Soudan du Sud en juillet 2019, alors que les efforts du pays en faveur de la paix se poursuivent.
MINUSS/Nektarios Markogiannis
Des enfants soldats sont libérés au Soudan du Sud en juillet 2019, alors que les efforts du pays en faveur de la paix se poursuivent.

Les groupes associés au général Paul Malong épinglés

Plus globalement, la Commission trouve que « les élites politiques du Soudan du Sud sont étrangement en mesure de vivre sans se soucier des souffrances intenses de millions de leurs compatriotes ». Pourtant ce pays représente toujours la plus grande crise de réfugiés en Afrique, avec près de 2 millions de déplacés internes et plus de 2 millions de Sud-Soudanais qui se sont réfugiés en Ouganda, en Éthiopie, au Kenya, en République centrafricaine et en République démocratique du Congo.

« Il s’agit de la troisième plus grande crise de réfugiés dans le monde, avec plus de 63% de ces réfugiés étant des enfants », a rappelé Mme Sooka.

Face à ce sombre tableau, la Commission mandatée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU appelle la communauté internationale à « traiter efficacement » avec des groupes tels que le Front de salut national (NAS) et les forces associées au général Paul Malong, ancien chef d’état-major de l’armée nationale, qui déstabilisent le processus de paix.

Bien que certains soutiennent que la violence politique intense du passé a disparu et que le Soudan du Sud ne connaît qu’une violence au niveau local et des conflits intercommunautaires ou des vols de bétail, la Commission trouve que « la réalité est bien plus complexe ». Les éleveurs de bétail, qui ont toujours été intégrés aux groupes armés, ne possèdent plus seulement des bâtons de bois, mais sont équipés d’AK-47 et d’armes lourdes, telles que des engins lanceurs de grenades et des mitrailleuses.

Plus de 60 auteurs de crimes identifiés

Dans certains cas, ces armes seraient fournies par les autorités locales et des hommes politiques utilisant des pasteurs comme éléments indirects. Leur motivation pour saisir du bétail peut également être de forcer d’autres groupes ethniques à quitter la terre, d’assassiner des dirigeants et d’enlever des femmes et des enfants tout en incendiant et pillant des villages et des vivres. Une stratégie qui pourrait donc être « beaucoup plus sinistre à long terme », mettent en garde les experts de l’ONU.

Face à cette situation, la Commission regrette les lenteurs notées dans la création du tribunal hybride. « Ce tribunal pourrait être créé demain si le gouvernement du Soudan du Sud signait le mémorandum d’accord et le statut de sa création a déjà été approuvé par le Conseil des ministres en 2017 », a fait valoir la Présidente de la Commission.

« Le gouvernement a déjà indiqué qu’il attendait la formation du gouvernement uni avant de créer la Cour, certains responsables ont laissé entendre que celle-ci pourrait ne jamais aboutir. C’est une grande préoccupation », a-t-elle ajouté, tout en indiquant que ce tribunal est « un test pour la crédibilité » de l’Union africaine et de la communauté internationale.

La Commission des droits de l’homme au Soudan du Sud a identifié 66 personnes pour lesquelles des poursuites pourraient être engagées en vertu du droit international, pour des crimes graves liés au conflit au Soudan du Sud. En l’absence du futur tribunal hybride, la Commission a défini un cadre juridique qui permettrait à d’autres États de poursuivre en justice les responsables de la torture et des disparitions forcées.