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Myanmar : des enquêteurs de l’ONU dénoncent la brutalité de l’armée contre les Rohingyas

Marzuki Darusman, Président de la mission d'enquête internationale indépendante sur le Myanmar (archives)
Photo : ONU/Jean-Marc Ferré
Marzuki Darusman, Président de la mission d'enquête internationale indépendante sur le Myanmar (archives)

Myanmar : des enquêteurs de l’ONU dénoncent la brutalité de l’armée contre les Rohingyas

Droits de l'homme

« Nous avons découvert des crimes qui choquent la conscience humaine », a dénoncé le Président de la Mission d’établissement des faits sur le Myanmar. Ce mardi à Genève, Marzuki Darusman a invité le Conseil des droits de l’homme à agir et à être à la hauteur de la gravité des faits consécutifs aux attaques horribles lancées le 25 août 2017 contre les Rohingyas dans l’État de Rakhine.

Des violences qui ont mené à l’exode d’environ 750.000 d’entre eux au Bangladesh. L’ouest du Myanmar n’était plus que flammes, au moins 10.000 personnes ont été tuées et 37.000 maisons détruites, a dit M. Darusman.

Le Président de la mission internationale indépendante a ainsi souligné que l’extrême brutalité de l’armée, appelée Tatmadaw, était au cœur de chaque incident et chaque violation des droits de l’homme examinés. Les faits démontrent que ses opérations sont systématiquement disproportionnées par rapport à tout objectif militaire possible. Une armée qui met en pratique « la vision d’une nation régie par les bouddhistes de la majorité Bamar, dominant les 135 minorités ethniques reconnues mais parmi lesquelles il n’y a pas de place pour les Rohingyas ».

Dans son rapport final sur la crise des Rohingyas, l’ONU a identifié les hauts responsables de l’armée du Myanmar, demandant qu’ils soient poursuivis pour « génocide », « crimes contre l’humanité » et « crimes de guerre » envers la minorité musulmane « Nous avons conclu que les actes de Tatmadaw et d’autres forces de sécurité tombent dans quatre des cinq catégories d’actes génocidaires », a dit M. Darusman, assurant que tout conduit à conclure à « une intention génocidaire ».

Des hauts gradés de Tatmadaw nommément ciblés par les enquêteurs de l’ONU

La mission a identifié six individus qui ont dirigé et contrôlé les opérations, à la tête desquelles se trouve « le commandant en chef de Tatmadaw, le général Min Aung Hlaing », a ajouté M. Darusman.

Outre le général Min Aung Hlaing, les enquêteurs onusiens ciblent également le commandant en chef adjoint, Soe Win ; le lieutenant-général, Aung Kyaw Zaw, Maung Maung Soe, ancien chef du commandement de la Région Ouest ; et Aung Aung et Than Oo qui étaient respectivement à la tête de la 33ème et de la 99ème division d’infanterie légère, déployées sur le terrain et directement impliquées dans les exactions.

« Les membres de la mission estiment que ces six individus doivent faire l’objet de poursuites et être jugés », fait-il remarquer, tout en précisant que « d’autres auteurs allégués figurent sur une liste, plus longue et non exhaustive, que la mission compte conserver dans ses archives ». 

Le rapport publié mardi détaille une longue liste d’exactions commises à l’encontre des Rohingyas qui constituent « les crimes les plus graves au regard du droit international ». Les trois enquêteurs ont ainsi reconstitué en détail neuf incidents précis dans l’État de Rakhine la semaine du 25 août 2017. M. Darusman a confié son émotion s’agissant du village de Min Gyi (Tula Toli pour les Rohingyas) où les soldats ont fait irruption le 30 août 2017 et ont immédiatement tiré sur les villageois et incendié leurs maisons. Ceux qui n’ont pas été en mesure de fuir ont été encerclés et séparés par sexe.

Des réfugiés rohingyas dans un camp à Cox's Bazar, au Bangladesh.
Photo K M Asad/ONU
Des réfugiés rohingyas dans un camp à Cox's Bazar, au Bangladesh.

« Le meurtre de bébés ne saurait être considéré comme une opération antiterroriste »  

« Les hommes ont été tués. Les enfants ont été tués par balles, jetés dans la rivière ou dans le feu alors que les femmes ont été battues et violées après avoir confisqué leurs bijoux », a-t-il décrit. Environ 750 hommes, femmes et enfants sont morts ce jour-là.

« L’assassinat de personnes de tous âges, y compris des bébés, ne saurait être considéré comme une opération antiterroriste », a dénoncé M. Darusman. Et selon lui, il ne peut y avoir d’impératif militaire pour des personnes brûlées vives ou à violer des femmes et des filles. C’était une attaque délibérée et bien planifiée contre une population civile spécifique, a-t-il ajouté.

« L’étendue, la cruauté et la nature systématique (de la violence sexuelle) révèlent sans l’ombre d’un doute que le viol a été utilisé comme tactique de guerre », a déclaré M. Darusman.

Malgré la gravité des faits relatés, les enquêteurs de l’ONU indiquent n’avoir aucun espoir sur une reddition des comptes avec le système judiciaire officiel au Myanmar. « Quant à la Commission d’enquête nationale, son mandat consiste en réalité à combattre les soi-disant fausses informations de la communauté internationale », a regretté M. Darusman. 

Le Myanmar juge le rapport « partial »

En conséquence, la mission de l'ONU recommande la création d’un mécanisme judiciaire international ; d’un mécanisme indépendant pour mener des enquêtes pénales et préparer les poursuites ; d’un bureau spécial dûment financé pour appuyer le travail du Haut-Commissaire et du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Myanmar ; et d’un fonds d’affectation spéciale pour répondre aux besoins des victimes.

Face au sombre tableau décrit par la mission, le Représentant permanent du Myanmar auprès des Nations Unies à Genève estime que ce rapport sape les efforts de réconciliation nationale et de paix dans l’État de Rakhine.

D’autre part, M. Kyaw Moe Tun soutient que les enquêteurs manquent d’impartialité, d’indépendance et de sincérité. Il les accuse de saper les efforts du gouvernement pour une paix sur le long terme.

De façon générale, la délégation de Naypidaw considère que le rapport se fonde sur une perception unilatérale de l’histoire du Myanmar et n’a pas consulté suffisamment les études sur un conflit qui remonte au XVIIIe siècle, a aussi regretté le Représentant permanent. « Il faut concentrer les efforts pour résoudre la situation humanitaire et aider la jeune démocratie à construire une société paisible et prospère, y compris dans l’État de Rakhine », a conclu M. Kyaw Moe Tun.

La Procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, devant le Conseil de sécurité (archives).
Photo : ONU/Rick Bajornas
La Procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, devant le Conseil de sécurité (archives).

Examen préliminaire par la CPI

De son côté, la Procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, a annoncé mardi avoir ouvert un examen préliminaire concernant la déportation présumée de Rohingyas par le Myanmar vers le Bangladesh.

Il s’agit de la première étape d’un processus pouvant aboutir à une enquête formelle. Il y a deux semaines, la CPI s’est déclarée compétente pour enquêter sur la déportation de cette minorité musulmane, qui pourrait constituer un crime contre l’humanité.

« L’examen préliminaire pourra tenir compte d’un certain nombre d’actes coercitifs présumés ayant entraîné le déplacement forcé des Rohingyas, notamment la privation de droits fondamentaux, des meurtres, des violences sexuelles, des disparitions forcées ainsi que des actes de destruction et de pillage », a dit Mme Bensouda dans un communiqué de presse.

« Mon bureau cherchera également à déterminer si d’autres crimes visés à l’article 7 du statut de Rome, tels que des crimes de persécution et d’autres actes inhumains, ont été commis dans le cadre de la situation en cause », a-t-elle ajouté.