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ENTRETIEN : « Nos Casques bleus sauvent des vies tous les jours » - le chef du maintien de la paix

Le Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix, Jean-Pierre Lacroix.

Les opérations de paix sont à la croisée des chemins. Notre tâche est de faire en sorte qu’elles restent pertinentes

MINUSMA / Sylvain Liechti
Le Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix, Jean-Pierre Lacroix.

ENTRETIEN : « Nos Casques bleus sauvent des vies tous les jours » - le chef du maintien de la paix

Alors que les opérations de paix des Nations Unies se déroulent dans des environnements très complexes et sont confrontées à de multiples défis, le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a souligné récemment la nécessité d’adapter le maintien de la paix à « notre monde en mutation ».

Alors que les opérations de paix des Nations Unies se déroulent dans des environnements très complexes et sont confrontées à de multiples défis, le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a souligné récemment la nécessité d’adapter le maintien de la paix à « notre monde en mutation ».

« Les opérations de paix sont à la croisée des chemins. Notre tâche est de faire en sorte qu’elles restent pertinentes avec des mandats clairs et réalisables, ainsi que des stratégies et un soutien adéquats », a déclaré le chef de l’ONU lors d’une réunion du Conseil de sécurité le mois dernier sur la question du maintien de la paix. Il a également demandé aux 193 membres de l’Assemblée générale un soutien politique et aux pays fournisseurs de troupes et de policiers du personnel professionnel et engagé.

C’est dans ce contexte que Jean-Pierre Lacroix a pris ses fonctions de Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix début d’avril, en remplacement d’Hervé Ladsous, qui a occupé le poste pendant cinq ans et demi. Ce ressortissant français, qui a plus de 25 ans d’expérience politique et diplomatique, supervise 16 opérations de maintien de la paix des Nations Unies déployées sur quatre continents.

Les missions des Nations Unies sont invitées non seulement à maintenir la paix et la sécurité, mais aussi à faciliter le processus politique, à protéger les civils, à aider au désarmement, à soutenir la tenue des élections, à protéger et à promouvoir les droits de l’homme et à rétablir l’état de droit.

Les Casques bleus sont déployés dans des environnements difficiles, certains faisant le sacrifice ultime. Plus de 3.500 soldats de la paix ont perdu la vie au service de la paix depuis que les déploiements des opérations de maintien de la paix des Nations Unies ont commencé en 1948.

M. Lacroix s’est récemment rendu sur le terrain. Il a rendu visite aux opérations de l’ONU en République centrafricaine et au Mali, qui ont perdu plusieurs soldats de la paix rien que ce mois-ci.

Dans un entretien avec ONU Info, le chef du maintien de la paix discute d’un certain nombre d’aspects, y compris les défis auxquels sont confrontées les opérations de paix, ses projets pour les rendre plus efficaces et la lutte contre l’exploitation et les abus sexuels.

ONU Info : Le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a déclaré récemment que les opérations de paix de l’ONU se trouvaient à la croisée des chemins et faisaient face à de multiples défis. Pourriez-vous nous en dire plus sur ces défis?

Jean- Pierre Lacroix : Nos opérations de maintien de la paix, nos personnels civils, policiers, militaires, font tous les jours un travail extraordinaire pour sauver des vies, pour protéger des populations, pour les aider, pour faire en sorte que des processus politiques avancent, et ils le font souvent dans des conditions extrêmement difficiles. Il y a tout ce travail remarquable qui est fait et qui est la valeur ajoutée des opérations de maintien de la paix. C’est une valeur ajoutée qui a été reconnue par les membres du Conseil de sécurité notamment lorsque le Conseil de sécurité a eu un débat sur les opérations de maintien de la paix le 6 avril dernier

Les défis sont de plusieurs natures. D’abord, nos opérations ont besoin d’être soutenues et de soutenir des processus de paix, des processus politiques qui sont les seules solutions pour amener à des stabilisations durables, à des paix durables. Parfois, ces processus de paix ne sont pas suffisamment dynamiques, voire même dans un état de très grande faiblesse.

La première chose qui est fondamentale et que le Secrétaire général a souligné, c’est l’importance de faire en sorte que ces processus politiques soient actifs, soient soutenus. C’est la responsabilité des Nations Unies et le Secrétaire général est très engagé en ce sens et c’est évidemment la responsabilité du Conseil de sécurité également de soutenir les solutions politiques.

Nous avons d’autres défis : des relations parfois difficiles avec les Etats hôtes, une coopération qui parfois laisse à désirer, des environnements sécuritaires qui sont difficiles, souvent très difficiles, et qui nous obligent à faire le maximum à la fois pour mieux nous protéger et mieux protéger les populations dans ce genre d’environnement et c’est toute une gamme d’actions que nous devons poursuivre pour y arriver. Les défis sont importants mais la volonté de les surmonter est tout à fait là également et tout aussi importante.

Opération de maintien de la paix : La présence de personnels féminins est fondamentale.

ONU Info : Le Secrétaire général de l’ONU a mentionné neuf domaines de réforme pour le maintien de la paix des Nations Unies. Quel est votre plan dans les mois à venir pour rendre les opérations de maintien de la paix plus efficaces?

Jean-Pierre Lacroix : Il y a l’engagement sur le volet politique, sur les processus politiques, c’est fondamental. Il y a un engagement très clair du Secrétaire général mais cela dépend aussi de tous, du Conseil de sécurité, des Etats membres, des partenaires des processus politiques. C’est une priorité tout à fait importante.

Après, nous devons faire en sorte qu’en permanence nos déploiements soient les plus adaptés possibles aux besoins sur le terrain. Cela veut dire que nous avons besoin de mandats qui soient adaptés en permanence, qui soient évolutifs, des mandats qui aient des priorités claires et que nous soyons nous aussi en mesure de faire évoluer les formats de nos déploiements. Cela veut dire aussi que lorsque c’est possible, nous devons mettre fin à des opérations. C’est ce que nous avons fait dans certains cas, c’est ce que nous allons faire dans d’autres, transformer profondément des opérations pour faire en sorte qu’elles soient le plus adaptées possibles à leur environnement, en étant conscient du fait qu’il est important d’utiliser au mieux les ressources financières que nous avons. Les récentes clôtures et les clôtures à venir d’opérations, les diminutions d’effectifs que nous allons pouvoir opérer dans d’autres, vont pouvoir générer des économies.

Nous faisons aussi tous les efforts possibles pour faire en sorte que nos ressources financières soient mieux utilisées, optimiser ces ressources, faire des économies là où c’est possible en conservant l’importance prioritaire de l’efficacité opérationnelle et de la sécurité. Il y a également la poursuite de tous ces efforts qui ont été engagés pour moderniser les opérations de maintien de la paix, pour les rendre plus efficaces, plus réactives. Nous avons depuis 2015, davantage de contributions disponibles, un certain nombre d’Etats membres, assez nombreux, se sont engagés à nous apporter des contributions. C’est quelque chose de très important.

Il y a aussi les efforts d’éducation et de formation qui doivent être poursuivis, ainsi que les efforts de modernisation, de recours aux nouvelles technologies. C’est un processus qui doit être poursuivi de manière très résolue, en ayant aussi à l’esprit que nous avons toujours des besoins en capacités critiques, en capacités sophistiquées qui ne sont pas remplis. Nous faisons des efforts continus auprès des Etats membres, et notamment auprès de ceux qui peuvent nous fournir ces capacités, pour qu’ils s’engagent à le faire.

Un autre domaine très important et qui est un domaine d’efficacité opérationnelle, c’est la question de l’augmentation du nombre de personnels féminins dans les opérations. Ce n’est pas seulement une question de parité, qui est un objectif important et de long terme pour les forces militaires et de police. Ce qui est important, c’est de pouvoir engager des contacts avec les populations et là la présence de personnels féminins, civils, militaires et policiers, est vraiment fondamentale. Nous faisons aussi des efforts auprès des Etats membres pour développer cette contribution.

Dernier élément essentiel, ce sont les partenariats. Nous avons depuis l’arrivée du nouveau Secrétaire général un engagement très fort de sa part pour dynamiser la relation notamment avec l’Union africaine. Il y a eu en avril un sommet Union africaine – Nations Unies à New York qui a posé les bases d’un renforcement de notre coopération avec l’Union africaine. Il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire ensemble pour soutenir l’Union africaine, pour traiter ensemble les crises qui sont nombreuses en Afrique et pour lesquelles nous avons besoin de travailler main dans la main, mais aussi pour soutenir les opérations de paix tant de l’Union africaine que des organisations sous-régionales.

La coopération avec l’Union européenne qui apporte aussi un soutien important à l’Afrique dans ces domaines est tout aussi vitale. Le renforcement des partenariats est aussi une priorité essentielle.

Les Casques bleus sauvent des vies tous les jours

ONU Info : Quel soutien attendez-vous des États membres pour aider les opérations de maintien de la paix des Nations Unies sur le terrain?

Jean-Pierre Lacroix : D’abord un soutien politique. Nous avons besoin du soutien de tous les Etats membres individuellement, de l’Assemblée générale, du Conseil de sécurité. Cela est tout à fait essentiel.

Deuxièmement, un soutien en termes de ressources, à la fois ressources financières, tout en soulignant notre effort pour diminuer les dépenses, pour optimiser l’utilisation de nos ressources. Nous avons besoin de ce soutien.

Et un soutien en termes de contributions en personnels, en équipements. J’ai cité notamment les capacités critiques dont nous manquons parfois avec cet effort incessant de notre part pour faire en sorte que nos missions puissent bénéficier de toutes ces capacités.

C’est soutien dans plusieurs domaines, mais le maintien de la paix dépend vraiment du soutien des Etats membres.

ONU Info : Les Nations Unies ont une nouvelle stratégie pour lutter contre l’exploitation et les abus sexuels. Que fait le maintien de la paix de l’ONU pour prévenir ces abus?

Jean-Pierre Lacroix : D’abord, il y a une détermination très forte du Secrétaire général qui a fait de la lutte contre l’exploitation sexuelle et les abus sexuels une de ses priorités numéro un. L’engagement est clair, il est visible et il y a un certain nombre de décisions qui ont été prises et qui matérialisent cette détermination.

Nous devons à la fois être très fermes, nous devons être organisés, nous devons avoir les mécanismes qu’il faut pour que chaque cas soit traité à la fois avec fermeté, avec rapidité, et aussi que les victimes puissent être entendues et aidées. C’est un domaine sur lequel nous avons travaillé avec la mise en place, au niveau des opérations, de personnels qui seront chargés de traiter la situation des victimes et de faire en sorte qu’il leur soit porté assistance.

Du côté des Etats membres, notamment des Etats contributeurs de troupes, il y a une prise de conscience beaucoup plus forte et je crois chez beaucoup d’entre eux une volonté d’être réactifs aussi et de faire en sorte que lorsqu’il y a des cas les concernant, la réaction soit rapide et qu’elle soit forte. Il s’agit d’une évolution bienvenue mais nous devons rester très vigilants et très fermes.

ONU Info : Les Nations Unies célébreront le 29 mai la Journée internationale des Casques bleus des Nations Unies. Quel est votre message pour les soldats de la paix qui sacrifient leur vie sur le terrain et pour les communautés qu’ils protègent?

Jean-Pierre Lacroix : Pour nos personnels des opérations de maintien de la paix, c’est un message d’immense gratitude parce qu’ils font un travail qui est extraordinaire dans des conditions très souvent extrêmement difficiles et avec des risques immenses comme en témoigne le fait que l’année dernière 99 de nos hommes et de nos femmes ont perdu la vie parce qu’ils étaient engagés au service des populations et parce qu’ils ont pris les risques qui ont conduit à ces dénouements tragiques.

Il est aussi important de leur dire que nous avons un sentiment de responsabilité à leur égard. Nous sommes conscients des risques que prennent nos personnels sur le terrain. Dans l’équipe du Département des opérations de maintien de la paix, je constate à quel point ce sentiment de responsabilité à l’égard de nos collègues sur le terrain est fort. Il y a ce sentiment que nous devons faire tout ce qui est en nos moyens pour les aider à se protéger eux-mêmes davantage, pour les aider à mieux protéger les populations que nous servons.

Pour les communautés que nous appuyons à travers nos opérations, c’est un message d’engagement. Nous avons parfois des conditions difficiles qui rendent ardue, périlleuse la réalisation de nos missions de protection à leur égard, mais l’engagement pour protéger les civils, pour protéger les populations, pour leur porter assistance, y compris lorsque les circonstances sont difficiles, lorsque les environnements de sécurité sont compliqués, dangereux, cet engagement est total. Nous sommes déterminés à continuer de faire le maximum dans la mesure de nos moyens pour porter assistance à ces communautés.