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Lutter différemment contre le terrorisme nucléaire, propose le directeur de l'AIEA

Lutter différemment contre le terrorisme nucléaire, propose le directeur de l'AIEA

Mohamed ElBaradei, directeur de l'AIEA
« La menace du terrorisme nucléaire réelle et présente » doit être combattue en contrôlant mieux la production d'uranium enrichi et le retraitement du plutonium et en réagissant rapidement au non-respect des engagements pris, à l'inverse de ce qui a été fait à l'égard de la Corée du Nord, a souligné aujourd'hui le directeur de l'agence de l'ONU pour l'énergie atomique lors de la Conférence Asie-Pacifique sur la sécurité et la protection nucléaires de Sydney.

« Alors que, pendant des siècles, les stratégies en matière de sécurité ont été fondées sur les frontières, le facteur déterminant de la modification drastique de la sécurité internationale a été la mondialisation », a déclaré le directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Mohamed El Baradei, aujourd'hui à Sydney, en Australie, lors d'une allocution prononcée à la Conférence Asie-Pacifique sur la sécurité et la protection nucléaires.

« Nos approches en matière de sécurité nationale et internationale doivent tenir compte de cette réalité », a-t-il précisé, citant l'interdépendance de la société moderne et de la montée du terrorisme international en parallèle au mouvement incessant de personnes, d'idées et de biens.

« L'existence d'une menace nucléaire est une menace partout et, en tant que communauté globale, nous gagnerons ou perdrons cette bataille ensemble », a déclaré Mohamed El Baradei.

Pierre angulaire des efforts en la matière, le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), en dépit des failles dans le système, continue d'apporter des assurances importantes en matière de sécurité, en garantissant que, dans la grande majorité des Etats qui ne disposent pas de l'arme nucléaire, l'énergie nucléaire n'est pas détournée à des fins militaires, a souligné le directeur de l'AIEA.

« Bien que le TNP soit parfois perçu comme un projet du monde industrialisé, il profite à tous, en dehors des clivages géopolitiques », a-t-il indiqué, soulignant que des enseignements devaient être tirés de l'expérience en Iraq, en Iran et en Libye, ainsi qu'en Corée du Nord.

« La leçon la plus importante est sans doute que la vérification et la diplomatie, utilisées de concert, peuvent être efficaces » a répété Mohamed El Baradei (voir notre dépêche du 1er novembre).

« L'expérience en Iraq a démontré que le processus d'inspection nucléaire – bien qu'il demande du temps et de la patience – peut être efficace même lorsque le pays objet de l'inspection fournit une coopération moins qu'active », a de nouveau souligné le chef de l'AIEA.

« Le système fonctionne », à condition que les inspecteurs internationaux reçoivent une autorité adéquate, qu'ils aient accès à toutes les informations disponibles, qu'ils soient soutenus par un mécanisme de mise en oeuvre crédible et par un consensus international, a-t-il ajouté, faisant observer que le rapport publié récemment par le Groupe d'investigation en Iraq avait confirmé les conclusions communiquées au Conseil de sécurité avant la guerre.

S'il n'est pas toujours possible de bénéficier d'un appui total du Conseil de sécurité pour mener des inspections « partout et en tout temps », comme en Iraq, le protocole additionnel au TNP fournit une autorité supplémentaire notable pour mener des inspections, et cela a été démontré dans le cas de l'Iran.

Quant aux leçons « les plus troublantes » à tirer des travaux avec l'Iran et la Libye, elles résident d'abord pour Mohamed El Baradei, dans la mise en évidence de « l'existence d'un marché illicite de fourniture de matériel nucléaire, attisé par la demande » et de l'inadaptation du système actuel de contrôles à l'exportation.

En conséquence, poursuit le directeur de l'agence nucléaire de l'ONU, le contrôle de la technologie n'est pas suffisant. Quant au sentiment de sécurité apportée par l'adhésion de certains pays à des engagements de non-prolifération, a-t-il déclaré, « les perceptions en matière de sécurité peuvent rapidement évoluer ».

La conclusion est qu'il faut trouver des moyens pour mieux contrôler les phases sensibles du cycle du combustible - à savoir la production d'uranium enrichi et le retraitement du plutonium - thème qui doit faire l'objet d'un rapport qui sera rendu en mars prochain.

L'évolution de la Corée du Nord ces 18 derniers mois fournit également une leçon importante : « la communauté internationale ne peut se permettre de ne pas agir rapidement en cas de non-respect, et avant que ne disparaissent les alternatives possibles », a déclaré Mohamed ElBaradei.

Il a rappelé qu'il avait fallu 7 ans à ce pays pour remplir ses obligations aux termes du TNP, qu'en 1992, malgré les alertes lancées par l'AIEA pour non signalement de sa production de plutonium, la Corée du Nord avait été en perpétuelle violation de ses engagements et qu'à la fin de 2002, elle s'était retirée du TNP en expulsant les inspecteurs.

« Naturellement, tous ces actes ont été rapidement signalés au Conseil de sécurité – mais ont suscité peu ou pas de réactions » a-t-il précisé, soulignant que le message de cette inaction pourrait avoir été qu'il est possible de violer ses engagements de non prolifération, ou pire, que l'acquisition d'une arme de dissuasion peut conférer un traitement spécial.

La leçon finale, a-t-il déclaré, est que « de l'insécurité naît la prolifération. Pratiquement toutes les situations de prolifération concernent des régions où existent depuis longtemps des tensions. En d'autres termes, la prolifération nucléaire est un symptôme, et le patient ne peut être soigné si l'on ne remédie pas aux causes sous jacentes de l'insécurité et de l'instabilité.

Par ailleurs, dans le domaine de la sécurité nucléaire contre le terrorisme, Mohamed El Baradei a indiqué que la coopération internationale était devenue la marque principale des efforts en la matière, mais que certains pays manquaient encore des moyens de lutter contre le terrorisme nucléaire et radiologique.

« La menace du terrorisme nucléaire est réelle et présente », a-t-il souligné, rappelant que l'AIEA distinguait quatre menaces principales : l'acquisition par le vol d'armes nucléaires, la création de dispositifs nucléaires utilisant des matériaux volés, l'utilisation de sources radioactives dans des engins à dispersion radiologiques, et les dommages radiologiques causés par une attaque ou le sabotage d'un site ou d'un véhicule de transport.

Selon le directeur de l'AIEA, si certains experts partagent l'avis du directeur général du Service de sécurité du Royaume-Uni, pour qui « le lancement d'une attaque rudimentaire chimique, biologique, radiologique ou nucléaire sur une grande ville occidentale n'est qu'une question de temps », pour sa part, l'agence a enregistré 630 incidents de trafic depuis 1993 dont 60 pour l'année 2003.

Le directeur de l'AIEA a souligné à cet égard l'importance de la prévention, de la détection et d'une réponse rapide et coordonnée.