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Darfour : le nettoyage ethnique se poursuit dans toute son horreur, affirme Jan Egeland

Darfour : le nettoyage ethnique se poursuit dans toute son horreur, affirme Jan Egeland

Jan Egeland
A la veille d'un voyage au Soudan, le responsable des affaires humanitaire de l'ONU a une fois de plus aujourd'hui prévenu de la poursuite du nettoyage ethnique au Darfour, soulignant que l'on assiste à une escalade du carnage alors que les pays donateurs ont pratiquement cessé de financer les efforts humanitaires.

« Si nous voulons éviter des pertes en vies humaines massives et imminentes [au Darfour], il faut une action immédiate – du gouvernement du Soudan, des rebelles, des membres du Conseil de sécurité et des gouvernements donateurs », a déclaré aujourd'hui Jan Egeland, Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d'urgence de l'ONU, dans une tribune parue dans le quotidien américain « The Wall Street Journal ».

Jan Egeland se rendra au Soudan ce week-end, à Khartoum puis au Darfour, avant de partir le 10 mai pour une visite d'une journée au Tchad, a annoncé aujourd'hui la porte-parole du Secrétaire général. Sa dernière visite prévue au début du mois d'avril avait été annulée par le gouvernement soudanais (dépêche du 4.04.06), suscitant la condamnation du Secrétaire général et du Conseil de sécurité (dépêche du 4.04.06 et dépêche du 11.04.04).

« J'ai pris la parole sur la question du Darfour devant le Conseil de sécurité de l'ONU il y a deux ans, le qualifiant de nettoyage ethnique dans toute son horreur » (dépêche du 2.04.04). Aujourd'hui, je pourrais simplement repasser l'enregistrement de cet exposé qui commence à dater », a déclaré Jan Egeland dans sa tribune d'aujourd'hui.

« Le carnage au Darfour connaît une escalade, qui déborde sur le Tchad. Quelque 200 000 personnes supplémentaires ont fui pour sauver leur vie rien que ces quatre derniers mois. Des milices en maraude, appuyées par le gouvernement, sillonnent la campagne lors de virées où ils sèment la terreur, appliquant la politique de la terre brûlée, tuant et détruisant systématiquement les moyens de subsistance, en toute impunité. Les rebelles continuent leurs attaques contre les civils de même que contre les opérations humanitaires ».

Jan Egeland a rappelé que s'il y avait désormais 14 000 travailleurs humanitaires non armés au Darfour, pour la plupart soudanais, les troupes de l'Union africaine avaient des effectifs deux fois moins importants, pour mettre en ?uvre un cessez-le-feu non respecté sur un territoire de la taille du Texas ».

« En effet, comme en Bosnie il y a dix ans de cela, l'assistance humanitaire a été une des seules réponses efficaces que le monde ait mis en place contre la sauvagerie au Darfour. Au lieu de soigner la blessure, le monde a préféré mettre un sparadrap sur une hémorragie ouverte », a estimé le Secrétaire général adjoint.

Mais si les « humanitaires non armés peuvent maintenir les populations en vie aujourd'hui, ils ne peuvent pas les empêcher de ses faire assassiner, violer ou expulser de leurs foyers demain », a insisté Jan Egeland, appelant à « ne pas répéter l'erreur tragique des « zones de sécurité » de Bosnie, avant que n'intervienne [le massacre de] Srebrenica ».

Jan Egeland a dénoncé « l'accroissement de la violence de toutes les parties, et l'obstructionnisme croissant du gouvernement soudanais », qui menacent de mettre fin aux efforts d'assistance massifs mis en place au Darfour.

« Parallèlement, le financement de l'assistance a pratiquement cessé. Le soutien des donateurs européens et des pays du Golfe est gravement à la traîne », a-t-il affirmé, alors que l'appel à contributions des Nations Unies n'est financé qu'à hauteur de 20%.

Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), 648 millions de dollars sont nécessaires pour faire face aux besoins.

Jan Egeland a rappelé par ailleurs que la semaine dernière déjà, le Programme alimentaire mondial (PAM) a annoncé qu'il était contraint de réduire les rations alimentaires au Soudan (dépêche du 28.04.06).

Comme de nombreuses fois au cours des deux dernières années, le Coordonnateur des secours humanitaires des Nations Unies a plaidé pour un renforcement de la sécurité sur le terrain, en commençant par un renforcement des forces de l'Union africaine (UA).

Il a réclamé par ailleurs un accès à toutes les populations dans le besoin. « Ici encore, nous avons régressé sur les progrès accomplis l'année dernière ».

« L'accès humanitaire est désormais à son point le plus bas depuis le printemps 2004. Au Darfour Nord et Ouest, les humanitaires n'ont directement accès qu'à 40% de la population », a-t-il souligné.

Le Secrétaire général adjoint a cité « les menaces, les intimidations et le cauchemar orwellien des restrictions bureaucratiques sans fin qui entravent intentionnellement, et avec succès, la capacité à aider ceux qui sont dans le besoin ».

Il a notamment rappelé l'expulsion récente d'une ONG norvégienne, le Norwegian Refugee Council (NRC), qui gérait avec succès le camp de Kalma, le plus grand du Darfour avec 90.000 réfugiés.

« Le gouvernement va maintenant gérer le camp directement. A peine est-il besoin de rappeler qu'il y a de graves raisons d'être préoccupé quant à la sécurité des résidents, compte tenu de l'action gouvernementale passée pour la protection de ces propres citoyens », a souligné Jan Egeland.

La Mission des Nations Unies au Soudan (UNMIS selon son acronyme anglais) a rapporté hier que 2 500 réfugiés du camp de Kalma avaient protesté contre la montée de l'insécurité, dénoncé l'échec de l'Union africaine à protéger les populations civiles et appelé au déploiement d'une force des Nations Unies sur le terrain.

Le Conseil de sécurité avait demandé au Secrétaire général l'envoi d'une mission d'évaluation avant le 30 avril afin d'accélérer les préparatifs d'une mission de maintien de l'ONU au Darfour qui devrait remplacer définitivement celle de l'Union africaine d'ici au 30 septembre.

Mais le gouvernement du Soudan refuse pour l'instant à l'ONU l'envoi d'une mission préparatoire sur le terrain (dépêche du 26.04.06).

Au cours des deux dernières années, l'assistance humanitaire avait permis de faire d'énormes progrès sur le front humanitaire. Alors qu'en 2004 il n'y avait que 230 travailleurs humanitaires pour assister 350.000 personnes, il y en a à l'heure actuelle dix fois plus pour aider la moitié de la population du Darfour. Ces efforts, désormais menacés, ont permis de réduire des deux-tiers le taux de mortalité parmi les populations déplacées, en comparaison du niveau de 2004, tout en réduisant de moitié les taux de malnutrition en 2005.