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Volker Türk, Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, s'adressant à la 52ème session du Conseil des droits de l'homme à Genève.

L’instabilité au Mali et au Burkina Faso alarme le chef des droits de l’homme (ONU)

UN Photo/Violaine Martin
Volker Türk, Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, s'adressant à la 52ème session du Conseil des droits de l'homme à Genève.

L’instabilité au Mali et au Burkina Faso alarme le chef des droits de l’homme (ONU)

Droits de l'homme

L’ONU s’est inquiétée, mardi, de l’insécurité au Sahel central où sévissent de nombreux groupes armés djihadistes, qui profitent parfois de l’absence des autorités étatiques pour étendre leur influence et mener des attaques contre les civils.

Présentant son rapport annuel sur les activités de son bureau et les développements récents en matière de droits humains, le chef des droits de l’homme de l’ONU s’est notamment dit inquiet de la situation sécuritaire au Mali, qui est particulièrement « alarmante dans la partie centrale du pays et dans la zone frontalière entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger ».

« Dans cette zone, de nombreux groupes armés profitent de l’hostilité intercommunautaire et de l’absence des autorités étatiques pour étendre leur influence et mener des attaques contre les civils », a affirmé le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Volker Türk, devant le Conseil des droits de l’homme.

Sur le terrain, les groupes armés non étatiques ont commis la plupart des violations et des abus. Des violations graves ont également été commises par les forces armées maliennes, accompagnées dans certains cas par des agents militaires et de sécurité étrangers, a ajouté M. Türk, sans nommer les paramilitaires de Wagner.

La violence et les menaces des groupes armés continuent de déplacer des réfugiés et des civils au Mali.
© HCR/Abdoulatif Halidou
La violence et les menaces des groupes armés continuent de déplacer des réfugiés et des civils au Mali.

Des discours de haine fondés sur des motifs ethniques

Toujours sur le Mali, M. Türk est vivement préoccupé par ces « discours de haine fondés sur des motifs ethniques » ainsi que par les menaces, intimidations et attaques contre la société civile et les médias par des acteurs étatiques et non étatiques, qui entraînent une peur grandissante de dénoncer les abus.

« Cette situation est d’autant plus préoccupante que le pays s’engage dans un processus électoral où un libre débat d’idées devrait prendre son essor », a mis en garde le Haut-Commissaire.

S’agissant du Burkina Faso, la perspective d’une aggravation de l’instabilité dans ce pays sahelien est pour lui une source d’inquiétude.

Au cours des six derniers mois de 2022, le Bureau des droits de l’homme de l’ONU a recensé plus d’un millier de victimes de violations et d’abus. Selon lui, le nombre de victimes a presque doublé entre octobre et décembre, par rapport au trimestre précédent.

« Les groupes armés sont responsables de la plupart de ces incidents, mais les opérations militaires font de plus en plus de victimes parmi les civils », a signalé M. Türk. 

« J’ai exhorté les autorités à écouter les revendications de la population relatives à toute forme d’impunité et à enquêter sur de telles allégations », a-t-il fait valoir, relevant qu’il est essentiel « d’inverser la tendance à la montée incessante de la violence et de permettre à la société civile et aux partis politiques de se développer ».

Un bâtiment endommagé dans le centre de Kharkiv, en Ukraine.
© UNOCHA/Matteo Minasi
Un bâtiment endommagé dans le centre de Kharkiv, en Ukraine.

La guerre en Ukraine est une « trahison » de la Charte de l’ONU

Dans la Corne de l’Afrique, malgré des progrès en Éthiopie, l’ONU indique avoir reçu des informations faisant état de la présence continue dans le Tigré des forces régionales d’Amhara et de la milice Fano, ainsi que des forces de défense érythréennes, qui auraient commis de très graves violations.

« Il y a un besoin évident de surveillance et de rapports continus », a détaillé M. Türk, soulignant que des progrès tangibles doivent également être accomplis en matière de reddition des comptes concernant les violations et les abus liés aux conflits.

En plus de la présence militaire continue de l’Érythrée au Tigré, le Haut-Commissariat a reçu des informations selon lesquelles l’Érythrée accroît encore son recours à la conscription forcée et prolongée. Selon lui, cette pratique, qui s’apparente à l’esclavage, est le principal moteur de l’exode des réfugiés.

Ce rapport annuel s’est également penché sur la guerre en Ukraine, qui a fait des victimes civiles et des destructions d’une ampleur choquante.

« Les droits des Ukrainiens seront lésés pour les générations à venir, et l’impact de la guerre sur les prix du carburant et des denrées alimentaires, ainsi que les tensions géopolitiques, ont un impact négatif sur les populations de toutes les régions du monde », a-t-il fustigé.

« Que de tels dommages puissent à nouveau être causés à travers le monde par la guerre en Europe est une trahison des promesses de changement transformateur faites à l’acte fondateur de la Charte de l’ONU, il y a plus de 75 ans. J’en parlerai en détail le 31 mars », a ajouté le chef des droits de l’homme de l’ONU.

Les homicides et les enlèvements connaissent une augmentation spectaculaire en Haiti
© UNICEF/U.S. CDC/Roger LeMoyne
Les homicides et les enlèvements connaissent une augmentation spectaculaire en Haiti

La population haïtienne subit une « violence cauchemardesque »

Au Moyen-Orient, douze longues années d’effroyables effusions de sang continuent de laisser une marque indélébile à la Syrie, pays considéré comme « un microcosme des blessures infligées par le plus grand mépris des droits de l’homme », a estimé M. Türk.

Le Haut-Commissaire a exhorté les différentes parties au Yémen à tenir compte des appels d’une population épuisée par huit années de guerre brutale et à avancer de manière décisive vers un processus de paix dirigé par l’ONU.

Dans les Caraïbes, la population d’Haïti continuer d’affronter « une violence cauchemardesque ». Dans ce pays, les gangs lourdement armés contrôlent les services et l’accès à de vastes pans de la capitale et du pays. Ils commettent fréquemment des meurtres, des enlèvements, des tirs isolés et des violences sexuelles à un degré effroyable.

Selon l’ONU, la situation exige un éventail de réponses, notamment de dynamiser le processus politique en vue d’élections libres et transparentes. Il s’agit aussi d’appliquer pleinement l’embargo sur les armes et d'imposer des sanctions efficaces envers ceux qui parrainent et dirigent les bandes armées.

Le Haut-Commissariat plaide pour un soutien international pour renforcer la capacité de la police et du système judiciaire haïtiens à lutter contre l’impunité et la corruption omniprésentes, mais aussi « le déploiement d’une force d’appui spécialisée, limitée dans le temps, avec des garanties en matière de droits de l’homme ».

« Nous devons rester vigilants en ce qui concerne Haïti, notamment en soutenant le travail mené par mon Bureau sur le terrain », a fait remarquer M. Türk.

Les discours de haine sont en hausse à travers le monde, selon l'UNESCO.
Unsplash/Jon Tyson
Les discours de haine sont en hausse à travers le monde, selon l'UNESCO.

Des discours de haine contre les personnes d’ascendance africaine, juives, musulmanes ou LGBTIQ+

La présentation du rapport annuel a aussi été l’occasion pour dénoncer ces « discours de haine vicieux dirigés non seulement contre les femmes et les filles, mais aussi contre les personnes d’ascendance africaine, les Juifs, les musulmans, les personnes LGBTIQ+, réfugiés, migrants et de nombreuses autres personnes issues de groupes minoritaires ».

« Les provocations délibérées, telles que les incidents récents d’incendier le Coran, visent à créer des divisions entre les communautés. C’est profondément dangereux », a fustigé M. Türk.

Sous ce chapitre, il a attiré l’attention sur « la violence infligée de manière si disproportionnée aux personnes d’ascendance africaine par les forces de l’ordre ». Celle-ci est un exemple « du préjudice structurel profond enraciné dans la discrimination raciale ».

A ce sujet, il a rappelé que ses services et les mécanismes des droits de l’homme des Nations Unies ont souligné à plusieurs reprises le recours excessif à la force, le profilage racial et les pratiques discriminatoires de la police, plus récemment en Australie, en France, en Irlande et au Royaume-Uni.

Au Brésil, le nombre total de décès lors de rencontres avec la police a chuté en 2021 pour la première fois en 9 ans, avec une baisse de 31% pour les « blancs », selon une source – mais une augmentation de près de 6% du nombre de décès d’afro-descendants.

Aux États-Unis, les personnes d’ascendance africaine seraient presque trois fois plus susceptibles d’être tuées par la police que les personnes « blanches ».

« La mort brutale de Tire Nichols à Memphis il y a deux mois s’est démarquée non seulement par la gravité de la violence filmée, mais aussi parce qu’elle a été suivie d’une action immédiate pour poursuivre les agents impliqués, alors que généralement seule une fraction de ces cas aboutit à une reddition des comptes devant la justice », a-t-il dénoncé.

Des milliers de travailleurs migrants, principalement d'Egypte et de Tunisie, attendent de passer la frontière entre la Tunisie et la Libye. (archives)
Photo ONU/HCR/A Duclos
Des milliers de travailleurs migrants, principalement d'Egypte et de Tunisie, attendent de passer la frontière entre la Tunisie et la Libye. (archives)

Une enquête approfondie sur les attaques contre les migrants subsahariens en Tunisie

Le Haut-Commissaire aux droits de l’homme a également fustigé « la récente vague d’arrestations et d’attaques, couplée à une rhétorique déshumanisante et raciste en Tunisie ». Une politique qui a ciblé des migrants, pour la plupart originaires du sud du Sahara.

« Je prends acte de l’annonce faite il y a deux jours par les autorités de certaines mesures de soutien aux migrants », a-t-il dit, appelant toutefois à « une enquête approfondie sur toutes les attaques, ainsi qu’à l’arrêt des discours de haine xénophobes ».

En ce qui concerne la Chine et la région du Xinjiang, son Bureau a documenté de graves préoccupations – notamment des détentions arbitraires à grande échelle et des séparations familiales en cours – et a formulé d’importantes recommandations qui nécessitent un suivi concret. M. Türk s’est également préoccupé par la restriction sévère de l’espace civique de manière plus générale, y compris la détention arbitraire de défenseurs des droits humains et d’avocats ; et l’impact de la loi sur la sécurité nationale à Hong Kong.

Une femme sans abri fait la manche dans le centre de Londres, au Royaume-Uni.
Unsplash/Tom Parsons
Une femme sans abri fait la manche dans le centre de Londres, au Royaume-Uni.

Une crise du coût de la vie même dans des pays riches comme le Royaume-Uni

Plus globalement, les injustices structurelles, la pauvreté abjecte et la montée en flèche des inégalités constituent des manquements omniprésents aux droits de l’homme, a souligné le chef des droits de l'homme de l'ONU. Il a ainsi évoqué la situation au Liban, qui est en proie à « l’une des pires crises économiques de l’histoire moderne, avec plus de la moitié de la population qui vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté et deux millions de personnes confrontées à l’insécurité alimentaire ».

De nombreux pays d’Afrique australe ont été durement touchés par des coups économiques successifs, notamment de la pandémie de Covid-19 ; la hausse des prix des denrées alimentaires, du carburant et des engrais due à la guerre en Ukraine ; et la spirale du remboursement de la dette.

« Dans une région qui est la plus inégalitaire du monde, ces chocs plongent des millions de personnes supplémentaires dans la pauvreté », a-t-il regretté.

Alors que de nombreux pays du Nord connaissent également la pauvreté, les habitants du Royaume-Uni connaissent actuellement une crise du coût de la vie qui pourrait entraîner la plus forte baisse du niveau de vie jamais enregistrée. Les groupes de minorités raciales et ethniques sont touchés de manière disproportionnée.