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Deux femmes marchent le long d'une route à l'extérieur de Keren, une ville de la région d'Anseba en Érythrée.

Érythrée : « aucun signe d’amélioration » des droits humains, regrette l’ONU

© UNICEF/Giacomo Pirozzi
Deux femmes marchent le long d'une route à l'extérieur de Keren, une ville de la région d'Anseba en Érythrée.

Érythrée : « aucun signe d’amélioration » des droits humains, regrette l’ONU

Droits de l'homme

La situation des droits de l’homme en Érythrée reste « désastreuse et ne montre aucun signe d’amélioration », a indiqué lundi la cheffe adjointe des droits de l’homme de l’ONU.

« Notre bureau continue de recevoir des rapports crédibles faisant état de torture, de détention arbitraire, de conditions de détention inhumaines, de disparitions forcées, de restrictions des droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique », a déclaré devant le Conseil des droits de l’homme à Genève, Nada Al-Nashif, la Haute-Commissaire adjointe de l’ONU aux droits de l’homme.

Selon les services du Haut-commissaire Volker Türk, des milliers de prisonniers politiques et de prisonniers d’opinion seraient derrière les barreaux depuis des décennies. En outre, le harcèlement et la détention arbitraire de personnes en raison de leur foi se poursuivent sans relâche, des centaines de chefs religieux et de fidèles étant concernés.

En outre, les Érythréens continuent d’être soumis à un service militaire/national de durée indéterminée, qui s’est intensifié après le conflit du Tigré. Les conscrits continuent d’être enrôlés pour une durée de service illimitée, au-delà des 18 mois prévus par la loi, souvent dans des conditions abusives, pouvant inclure le recours à la torture, aux violences sexuelles et au travail forcé. Les personnes qui tentent de déserter le service militaire sont détenues et punies.

Un retrait « très lent et largement incomplet » des forces érythréennes au Tigré

« Je voudrais rappeler l’histoire d’un jeune homme dont le frère a été contraint de s’enfuir dans la forêt pour éviter la conscription forcée et qui a passé les huit dernières années de sa vie à s’y cacher, entrant occasionnellement dans la ville la nuit, pour trouver de la nourriture et de l’eau », a ajouté Mme Al-Nashif.

L’Érythrée n’a pris aucune mesure démontrable pour garantir l’obligation de rendre des comptes pour les violations passées et présentes

En fait, le service national reste la principale raison pour laquelle les Érythréens fuient le pays. Selon l’Agence de l’ONU pour les réfugiés (HCR), il y avait respectivement à la fin de l’année 2022, plus de 160.000 et 130.000 demandeurs d’asile et réfugiés en Éthiopie et au Soudan, une légère augmentation par rapport aux années précédentes, principalement dans la tranche d’âge des 18-49 ans.

« Récemment, des rapports ont fait état de retours forcés de demandeurs d’asile érythréens par certains autres pays, ce qui expose les rapatriés à de graves violations des droits de l’homme dans le pays », a fait valoir Mme Al-Nashif, exhortant les États de mettre fin au retour forcé des demandeurs d’asile en Érythrée.

Sur un autre plan, des rapports montrent que si Asmara a commencé à se retirer du Tigré, comme le demande l’Accord de paix durable par une cessation permanente des hostilités signé à Pretoria, en Afrique du Sud, en novembre 2022, « ce retrait reste très lent et largement incomplet » et « nécessite un suivi et un compte rendu continus de la situation ».

Plus largement, il est alarmant de constater que toutes ces violations des droits humains sont commises dans un contexte d’impunité totale.

Selon le Haut-Commissariat, l’Érythrée n’a pris aucune mesure démontrable pour garantir l’obligation de rendre des comptes pour les violations passées et présentes.

Un expert indépendant s’inquiète des détentions arbitraires

« Personne n’a été tenu responsable des violations des droits de l’homme documentées par la Commission d’enquête sur les droits de l’homme en Érythrée en 2016 (A/HRC/32/47) et en 2017 (A/HRC/29/42), qui a constaté que l’Érythrée avait commis des crimes contre l’humanité, notamment l’esclavage, l’emprisonnement, la disparition forcée, la torture et d’autres actes inhumains, la persécution, le viol et le meurtre », a-t-elle dit, regrettant qu’il n’y ait aucune perspective réelle de reddition des comptes.

Lors de l’examen du rapport, le Haut-Commissariat a réitéré son appel pour « un dialogue complet et franc » avec les autorités d’Asmara.

« Nous restons prêts à nous appuyer sur nos missions en Érythrée en 2022 pour commencer à répondre à certaines des préoccupations les plus graves en matière de droits de l’homme, notamment en fournissant un soutien technique », a conclu la Haut-Commissaire adjointe.

De son côté, un expert indépendant onusien s’est vivement préoccupé par la situation de nombreux Érythréens qui sont détenus arbitrairement depuis plus de deux décennies dans des prisons secrètes, dont certains auraient disparu.

« Il s’agit d’un sujet de grave préoccupation », a affirmé Mohamed Abdelsalam Babiker, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme en Érythrée, relevant qu’il n’y a « aucun élément qui indique un quelconque progrès dans la situation des droits de l’homme » dans ce pays du nord-est de l’Afrique.

Une quinzaine de journalistes disparus depuis plus de 20 ans

Au moins une quinzaine de journalistes, dont le journaliste et écrivain suédo-érythréen Dawit Isaak, ont maintenant disparu depuis plus de 20 ans, ce qui en fait les journalistes détenus depuis le plus longtemps au monde.

« Il n’y a pas non plus d’informations concernant les 11 anciens membres du gouvernement connus sous le nom de « G-15 », détenus depuis 2001 », a ajouté l’expert indépendant onusien.

Face à cette « pratique généralisée ou systématique de la disparition forcée, qui constitue un crime contre l’humanité », il a donc demandé instamment au Conseil d’exercer « une pression maximale sur l’Érythrée, pour qu’il s’attaque à la disparition systématique et généralisée de nombreux Érythréens, depuis des décennies.

« Il est inacceptable que les Erythréens considèrent la disparition de personnes comme un mode de vie dans leur pays », a-t-il fait remarquer.

M. Babiker a rappelé que la situation dans ce pays continue de pousser des milliers d’Erythréens à fuir.

« Toutefois, et malgré cette situation lamentable en matière de droits de l’homme, les réfugiés et les demandeurs d’asile érythréens continuent de se heurter à des systèmes d’asile restrictifs, tant dans les pays de transit que dans les pays de destination », a regretté Abdelsalam Babiker.

Il a ainsi appelé les pays de la région et au-delà, à réviser leurs politiques d’asile afin de garantir le respect de leurs obligations juridiques internationales et de protéger efficacement les réfugiés érythréens sans discrimination.