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La justice sociale et économique peut nous préserver des génocides, plaident des hauts responsables de l’ONU

Commémoration du génocide rwandais commis en 1994
UN Photo/Violaine Martin
Commémoration du génocide rwandais commis en 1994

La justice sociale et économique peut nous préserver des génocides, plaident des hauts responsables de l’ONU

Droit et prévention du crime

Les participants à une réunion du Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC) consacrée aux mesures économiques et sociales visant à prévenir le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité, ont tous rappelé que la justice sociale et économique, alliée à la reconnaissance de « la dignité et de la valeur de la personne humaine » sont essentielles pour éviter les crimes atroces.

« Le Programme 2030 (de développement durable), comme la responsabilité de protéger les populations contre les risques de génocide, adoptée en 2005, exigent que nous fassions tous ce qui est en notre pouvoir pour mettre en place un environnement favorable qui garantirait le respect et la reconnaissance de la dignité et de la valeur de chaque être humain », a déclaré Lachezara Stoeva, Présidente de l’ECOSOC. « Cela signifie répondre aux besoins économiques, sociaux, religieux, éducatifs et sanitaires des populations partout dans le monde, en cherchant à atteindre d’abord les plus défavorisés ».

L’engagement pour le développement durable n’est pas suffisant

La Présidente de l’ECOSOC a mentionné deux Objectifs de développement durable, l’un, l’ODD10 sur l’élimination des inégalités, l’autre l’ODD16 sur la promotion de l’accès à la justice et d’institutions efficaces, qui appellent, avec l’appui des droits de l’homme, « à des politiques visant la réduction de toutes les formes de violence, et contribuent à attaquer les causes profondes des conflits et à rendre les communautés plus inclusives et résilientes ».

Pourtant, cet engagement envers le Programme 2030 de l’ONU « n’est tout simplement pas suffisant », a-t-elle reconnu. Des défis mondiaux actuels comme la pandémie de COVID-19, la guerre en Ukraine, le changement climatique et les conflits prolongés dans le monde, effacent les progrès réalisés en matière de développement. Ils exigent en retour, selon elle, « un multilatéralisme revigoré et une Organisation des Nations Unies plus forte, un nouvel engagement pour promouvoir le progrès social, de meilleures conditions de vie et les droits de l’homme pour tous ».

Le Secrétaire général de l'ONU, António Guterres, rend hommage au mémorial aux victimes du régime des Khmers rouges au Musée du génocide de Tuol Sleng à Phnom Penh, au Cambodge.
Nick Sells
Le Secrétaire général de l'ONU, António Guterres, rend hommage au mémorial aux victimes du régime des Khmers rouges au Musée du génocide de Tuol Sleng à Phnom Penh, au Cambodge.

Les discours de haine sont les précurseurs de la violence génocidaire

Pour sa part, Csaba Kőrösi, Président de l’Assemblée générale des Nations Unies, n’a pas manqué de rappeler que l’ECOSOC a été le premier, en 1946, à rédiger un traité international sur le génocide, suivi en 1948 par l’adoption par l’Assemblée générale de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Il a souligné que cette même assemblée a réalisé aussi une grande première en 2022, en déclarant la Journée internationale contre les discours de haine. « Elle a pris position contre un accélérateur du génocide : l’appel incontrôlé à la haine, en particulier par le biais des réseaux sociaux ».

Le Président de l’Assemblée générale a souligné que le génocide est un processus graduel, « l’accomplissement tragique d’un programme d’intolérance », selon les termes de la déclaration de Nuremberg. S’il cite Simon Wiesenthal qui voit dans la destruction des peuples le résultat de « trop de pouvoir entre trop peu de mains », Csaba Kőrösi note que « les discours de haine, la déshumanisation des ‘autres’ et les violations récurrentes de leurs droits sont tous des précurseurs d’atrocités de masse ».

« Nous devrions savoir aujourd’hui que c’est généralement un mélange explosif de ressources limitées et de propagande ‘nous contre eux’ qui fait exploser les sociétés et que le germe du génocide prolifère lorsque l’Etat de droit s’effondre », a-t-il dit.

Le Président de l’Assemblée générale a confirmé que l’éducation est la clé d’un changement transformateur car elle favorise « un environnement de coexistence, de respect mutuel, de tolérance et de coopération ».

« Nous avons entendu ‘Plus jamais ça’ trop souvent, et nous mesurons notre échec en vies perdues », a-t-il déclaré, appelant à tirer les leçons de politiques qui ont fomenté les horreurs de l’Holocauste, les tragédies au Cambodge, en ex-Yougoslavie et au Rwanda. A ses yeux, il nous incombe à « tous – à travers l’ONU – de collaborer avec les dirigeants communautaires et religieux, les peuples autochtones, la société civile, le secteur privé, les universités, les médias et d’autres et de définir des solutions transformatrices ».

« Ce n’est pas par hasard ; il y a bien une raison pour laquelle le Programme 2030 inclut explicitement la réduction de toutes les formes de violence », a-t-il ajouté, non sans rappeler que « l’impunité nous éloigne tous de la perspective de sociétés pacifiques, justes et inclusives ».

Recueillement sur une tombe à Vitez, en Bosnie-Herzégovine. Le massacre de Srebrenica a été qualifié de génocide par la justice internantionale.
Photo ONU
Recueillement sur une tombe à Vitez, en Bosnie-Herzégovine. Le massacre de Srebrenica a été qualifié de génocide par la justice internantionale.

La prévention du génocide doit refléter les droits fondamentaux des populations

Alice Nderitu, Conseillère spéciale du Secrétaire général pour la prévention du génocide, s’est remémorée l’époque, au début des années 2000, où enseignante et impliquée dans la mise en place d’institutions des droits de l’homme en Afrique, elle travaillait au Kenya à établir un lien entre le développement fondé sur les droits humains et la prévention des conflits.

« Nous devons considérer les mesures sociales et économiques visant à prévenir le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité dans le prisme des droits fondamentaux », préconise-t-elle. « Le manque de nourriture adéquate, de logements adéquats, d’éducation, de santé, de sécurité sociale, de travail, d’eau et d’assainissement crée les conditions propices à la perpétration de crimes atroces. Les droits économiques et sociaux sont dans tous les sens interdépendants de la prévention des atrocités criminelles ».

La Conseillère spéciale a réitéré les propos du Secrétaire général António Guterres, qui soulignait que les inégalités socio-économiques « ne sont pas seulement une source de tension et de conflit en soi, mais entravent également la capacité d’une société à prévenir les atrocités criminelles ».

« Nous devons donc éliminer les vulnérabilités socioéconomiques en tant que cause profonde des atrocités criminelles », a-t-elle proposé. « Cela exige de donner la priorité aux politiques qui réduisent la pauvreté et les inégalités économiques, favorisent l’inclusion sociale, garantissent des conditions de vie adéquates, promeuvent l’éducation et créent des possibilités d’emploi ».