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Guerre en Ukraine : de nombreux prisonniers de guerre ukrainiens et russes soumis à la torture, selon l’ONU

Des personnes à l'extérieur d'un bâtiment détruit par un bombardement à Marinka, en Ukraine. ( archive)
© UNICEF/Ashley Gilbertson VII
Des personnes à l'extérieur d'un bâtiment détruit par un bombardement à Marinka, en Ukraine. ( archive)

Guerre en Ukraine : de nombreux prisonniers de guerre ukrainiens et russes soumis à la torture, selon l’ONU

Droits de l'homme

De nombreux prisonniers de guerre capturés par les forces russes et ukrainiennes dans la guerre en Ukraine sont soumis à la torture et aux mauvais traitements, y compris des décharges électriques ou une nudité forcée, a alerté mardi le Bureau des droits de l’homme de l’ONU.

La « grande majorité » des prisonniers ukrainiens interrogés détenus par les forces russes ont fait état de torture et de mauvais traitements. Dès leur capture, certains prisonniers de guerre ukrainiens ont été battus ou ont vu leurs effets personnels pillés.

« Les prisonniers de guerre ont ensuite été transportés vers des lieux d’internement d’une manière qui suscite des inquiétudes », a déclaré la responsable de la Mission de surveillance des droits de l’homme en Ukraine, Matilda Bogner, lors d’une visioconférence depuis Kyïv.

Mme Bogner a donné des exemples d’attaques de décharges électriques avec des Tasers ou des téléphones militaires. Selon elle, ces traitements visaient à les intimider et à les humilier.

Un homme détenu dans une prison près d’Olenivka a raconté à l’équipe onusienne que des membres de groupes armés affiliés à la Russie « ont attaché des fils à (ses) parties génitales et au nez » et l’ont donné « des chocs ». « Ils se sont simplement amusés et ne se sont pas intéressés à mes réponses à leurs questions », a décrit la responsable du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme.

Passages à tabac lors de « procédures d’admission »

D’une manière générale, les prisonniers de guerre sont soumis à des « procédures d’admission » dès leur arrivée dans certains lieux d’internement, selon les témoignages recueillis par l’ONU. Durant ces « procédures », ils sont passés à tabac de façon prolongée, menacés, attaqués par des chiens ou déshabillés.

Des témoins leur ont parlé de la mort d’au moins un prisonnier de guerre au cours d’une « procédure d’admission » dans la colonie pénitentiaire près d’Olenivka à la mi-avril 2022. Les équipes de l’ONU indiquent avoir reçu des informations sur huit autres décès présumés de ce type survenus en avril 2022 et elles s’efforcent de les corroborer.

Au cours des derniers mois, la mission onusienne a interrogé 159 prisonniers de guerre détenus par la Russie et ses groupes armés affiliés et 175 prisonniers de guerre détenus par l’Ukraine. L’équipe a bénéficié d’un accès sans entrave aux lieux d’internement des prisonniers de guerre russes en Ukraine, mais l’ONU n’a toujours pas obtenu d’accès confidentiel aux prisonniers de guerre internés par la Russie.

Matilda Bogner, cheffe de la mission de surveillance des droits de l'homme en Ukraine, à l'ONU à Genève.
ONU Genève/Siyao Yang
Matilda Bogner, cheffe de la mission de surveillance des droits de l'homme en Ukraine, à l'ONU à Genève.

Des prisonnières de guerre ukrainiennes obligées de courir nues d’une pièce à l’autre

D’autres prisonniers ukrainiens ont décrit des formes de violences physiques, notamment des coups de couteau, des tirs de pistolet paralysant, des menaces de simulacre d’exécution, des pendaisons par les mains ou les jambes et des brûlures de cigarettes.

« Je ne supporte toujours pas le bruit du ruban adhésif. Les gardes l’utilisaient pour immobiliser leurs prisonniers et commencer à les torturer », a dit un témoin cité par l’équipe des Nations Unies. 

L’ONU a également documenté diverses formes de violence sexuelle, comme le fait de tirer une victime masculine par une corde attachée autour de ses organes génitaux, ou la nudité forcée associée à la menace de viol.

Plusieurs femmes ont raconté avoir été battues, électrocutées et menacées de violences sexuelles lors d’interrogatoires dans d’autres lieux. Elles ont également été soumises à des traitements dégradants assimilables à des violences sexuelles, comme le fait d’être obligées de courir nues d’une pièce à l’autre.

Des prisonniers de guerre russes poignardés ou victimes de décharges électriques

S’agissant du traitement des prisonniers de guerre russes, le rapport fait état d’« allégations crédibles d’exécutions sommaires de prisonniers de guerre russes capturés par les forces ukrainiennes et de plusieurs cas de torture et de mauvais traitements ». Selon l’ONU, plusieurs cas de torture et de mauvais traitements auraient été aussi commis par des membres des forces armées ukrainiennes.

« Nous avons documenté des cas de torture et de mauvais traitements, principalement lorsque des personnes étaient capturées, ou pendant qu’elles étaient soumises à un premier interrogatoire ou transférées dans des camps de transit et des lieux d’internement », a expliqué Mme Bogner.

Dans plusieurs cas, des prisonniers de guerre ont été poignardés ou ont reçu des décharges électriques avec le téléphone militaire « TAPik » par des agents des forces de l’ordre ou des militaires ukrainiens qui les gardaient.  « C’est le téléphone militaire qui nous faisait le plus peur. La sensation était affreuse. Tout votre corps se figeait et vous tombiez sur le côté », s’est souvenu un prisonnier de guerre russe interrogé par les équipes onusiennes.

La Russie et l’Ukraine sont des Etats parties de la troisième Convention de Genève

La mission a également documenté des cas de mauvais traitements infligés à des prisonniers de guerre russes dans une colonie pénitentiaire de la région de Dnipropetrovsk et dans plusieurs établissements de détention provisoire, notamment des « coups de bienvenue ».

Face à ce sombre sort des prisonniers dans les deux camps, l’Ukraine a ouvert un certain nombre d’enquêtes criminelles à la suite d’allégations d’abus de prisonniers de guerre par des membres de ses forces armées. « Nous attendons des progrès dans ces affaires », a dit la Représentante du HCDH en Ukraine, rappelant que « l’interdiction de la torture et des mauvais traitements est absolue, même – en fait surtout - en période de conflit armé ».

Plus largement, l’obligation de rendre des comptes est essentielle pour dissuader et prévenir d’autres violations. Pour l’ONU, les parties au conflit ont l’obligation juridique claire d’enquêter et de poursuivre toutes les allégations de violations du droit humanitaire international relatives au traitement des prisonniers de guerre sous leur contrôle, quelle que soit leur affiliation.

« Les deux parties doivent le faire de manière équitable, rapide et impartiale », a fait valoir Mme Bogner, relevant que Kyïv et Moscou sont parties à la troisième Convention de Genève, qui fixe les exigences relatives au traitement des prisonniers de guerre.