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Haïti : la Représentante de l’ONU réitère sa demande d’envoi d’une force armée internationale

La violence des gangs à Port-au-Prince, la capitale d'Haïti, a forcé des milliers de femmes et d'enfants à fuir leurs domiciles (photo d'archives).
BINUH/Boulet-Groulx
La violence des gangs à Port-au-Prince, la capitale d'Haïti, a forcé des milliers de femmes et d'enfants à fuir leurs domiciles (photo d'archives).

Haïti : la Représentante de l’ONU réitère sa demande d’envoi d’une force armée internationale

Paix et sécurité

Face à l’épidémie de choléra aggravée par l’insécurité en Haïti, la Représentante spéciale du Secrétaire général dans ce pays juge qu’une solution n’est possible qu’après une action décisive contre la violence et la corruption. 

Il y a trois semaines, Helen La Lime, l’envoyée de l’ONU en Haïti, avait décrit les trois crises croisées - économique, sécuritaire et politique -, qui affectaient alors ce pays. 

Ce lundi, devant les membres du Conseil de sécurité, elle a déclaré qu’une « urgence humanitaire est maintenant à nos portes ». 

En quelques semaines, des dizaines de cas de choléra ont été confirmés, dont plus de la moitié ont entrainé la mort et des centaines d’autres sont suspectés dans les départements de l’Ouest et du Centre. 25 décès ont eu lieu dans la prison de la capitale de Port-au-Prince, et des cas sont également suspectés à la prison de Croix-de-Bouquet.

Le terminal de Varreux toujours bloqué

La Représentante spéciale s’est alarmée qu’au moment où l’épidémie ravage certains quartiers de la capitale, en particulier Cité Soleil, les gangs continuent de  bloquer le terminal de Varreux où est stockée la majeure partie du carburant du pays.  

Les conséquences pour les infrastructures de base d’Haïti sont graves, a-t-elle déclaré, comme pour les opérations dans les hôpitaux et les approvisionnements d’eau, ce qui enraye la réponse sanitaire. Faute de carburant, les ordures ne sont plus ramassées dans les quartiers, alors que les pluies torrentielles favorisent les inondations, qui créent des conditions insalubres propices à la propagation des maladies.   

« Comme toujours, ce sont les citoyens les plus pauvres et les plus vulnérables  d’Haïti qui sont les plus touchés », a déploré Mme La Lime, rappelant que sans la libre circulation du carburant, « Haïti ne sera pas en mesure de surmonter la crise actuelle ».  

La pénurie d’essence affecte maintenant la mobilité de la police, et les propositions diplomatiques, y compris de l’ONU, en faveur d’un couloir humanitaire pour garantir le passage du carburant sont, dit-elle, restées lettre morte. 

Quant à la violence, elle tourmente terriblement le pays. Près d’un millier d’enlèvements ont été signalés depuis le début de l’année, et l’insécurité est telle qu’elle empêche des millions d’enfants de se rendre à l’école.

« Des quartiers entiers sont isolés, des familles sont victimes d’extorsions ou brûlées vives dans l’incendie de leurs maisons », a rapporté la Représentante spéciale, disant son espoir que d’importants équipements tactiques achetés et livrés ce week-end par le Canada et les Etats-Unis aideront la police à reprendre le contrôle de la situation.

Port-au-Prince, la capitale d'Haïti.
PNUD Haiti/Borja Lopetegui Gonzalez
Port-au-Prince, la capitale d'Haïti.

Echec de pourparlers politiques

Abordant la situation politique, Mme La Lime a reconnu que la résolution 2645 adoptée en août par le Conseil de sécurité avait suscité un sentiment d’urgence, car pour la première fois elle demandait au gouvernement haïtien de rendre compte de ses efforts pour créer un cadre durable, consensuel et assorti de délais en vue d’un processus politique dirigé par les Haïtiens eux-mêmes. 

« J’ai intensifié mes efforts pour rassembler les principaux acteurs autour de la table et maintenir leur dynamique en vue d’un nouveau processus politique », a-t-elle déclaré, non sans reconnaitre l’échec d’une initiative de pourparlers engagés depuis août entre les représentants de la société civile et les différents blocs politiques. 

« L’esprit de compromis a reculé, et une fois de plus, les intérêts particuliers l’ont emporté et se sont approprié le débat », a-t-elle regretté, notant que les bons offices des Nations Unies restent plus nécessaires que jamais pour offrir une plateforme de discussion aux différents acteurs, en particulier aux membres du secteur privé.  

Face à la violence et à la crise humanitaire, la Représentante spéciale a rappelé la demande du gouvernement haïtien, relayée par le Secrétaire général de l’ONU, d’une force armée internationale spécialisée qui assurerait la libre circulation de l’eau, du carburant et des équipements médicaux. 

Mentionnant les manifestations qui demandent l’éviction du Premier ministre, Mme La Lime a évoqué l’influence de groupes d’intérêts économiques et politiques hostiles aux efforts du gouvernement pour étoffer les recettes fiscales et douanières dans l’intérêt du pays et confirmé le soutien exprimé par nombre d’Haïtiens sur les réseaux sociaux et dans les médias aux projets de sanctions dirigées contre les instigateurs de la violence, à ses yeux hostiles à des réformes qui réduiraient la corruption. 

La Représentante spéciale a déploré que dans un climat de tels troubles civils, les droits fondamentaux soient bafoués de manière flagrante dans tout le pays. Mentionnant particulièrement les exactions des gangs et leur usage systématique du viol comme arme de contrôle et de terreur, elle a préconisé un soutien au système judiciaire afin qu’il crée des unités spécialisées dans le jugement des membres de bandes armées et des crimes financiers. 

« Le dénuement économique rend la population plus vulnérable qu’elle ne l’a jamais été depuis des années », a déclaré Mme La Lime. 

Alors que la violence entrave la réponse humanitaire au choléra et à l’insécurité alimentaire qui menace 4,7 millions de personnes, elle a assuré qu’une solution politique reste hors d’atteinte tant qu’une action décisive n’est pas entreprise par le Conseil de sécurité pour lutter contre l’insécurité et la corruption en Haïti.  

Port-au-Prince, la capitale d'Haïti.
PNUD Haiti/Borja Lopetegui Gonzalez
Port-au-Prince, la capitale d'Haïti.

Un couloir humanitaire doit être établi par la force – Guterres 

De son côté, le chef de l'ONU a également déclaré lundi que le blocus des fournitures humanitaires et civiles vitales dans la capitale haïtienne Port-au-Prince par des gangs lourdement armés et le risque croissant posé par le choléra nécessitaient une « action armée » pour créer un couloir humanitaire. 

Le manque de carburant a déclenché une crise de l'eau qui alimente l’épidémie de choléra ayant déjà fait des dizaines de morts, a expliqué le Secrétaire général, António Guterres, en réponse à des questions de journalistes lors d’un point de presse consacré initialement à la situation en Ethiopie, au siège de l’ONU à New York. 

« Vous savez que le traitement du choléra, le traitement le plus important, c'est l'hydratation, et il n'y a pas d'eau disponible dans la ville. Donc, c'est une situation absolument cauchemardesque pour la population d'Haïti, en particulier de Port-au-Prince », a-t-il ajouté. 

M. Guterres a déclaré que c'était la raison pour laquelle il avait exhorté le Conseil de sécurité à agir, à renforcer la police nationale avec une formation et des équipements. Mais la crise actuelle signifie qu'il faut faire plus.

« Dans les circonstances actuelles, nous avons besoin d'une action armée pour libérer le port et permettre l'établissement d'un couloir humanitaire… Je parle de quelque chose à faire sur la base de critères humanitaires stricts, indépendamment des dimensions politiques du problème qui doivent être résolues par les Haïtiens eux-mêmes », a-t-il dit.