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Ukraine : les inquiétudes de la Conseillère de l’ONU pour la prévention du génocide

À Palanca, en Moldavie, à la frontière avec l'Ukraine, un garçon repose sa tête.
© UNICEF/Vincent Tremeau
À Palanca, en Moldavie, à la frontière avec l'Ukraine, un garçon repose sa tête.

Ukraine : les inquiétudes de la Conseillère de l’ONU pour la prévention du génocide

Paix et sécurité

La Conseillère spéciale de l’ONU pour la prévention du génocide, Alice Nderitu, a plaidé en faveur « d'efforts de prévention » et « d'établissement de responsabilités », lors d’une réunion du Conseil de sécurité sur le maintien de la paix et de la sécurité en Ukraine, ce mardi matin.

Alice Nderitu a appelé à ces efforts de prévention et d'établissement des responsabilités, « comme déjà fait en public, en privé et lors de [ses] rencontres avec de nombreux États Membres », dans un exposé sur l'incitation à la violence menant à des atrocités criminelles prononcé devant les membres du Conseil.

Elle s’est aussi fait l’écho d’une mesure de la Cour internationale de justice (CIJ) du 16 mars 2022 concernant les allégations de génocide sur le territoire ukrainien.

Reprenant les mots de la Cour, à savoir que « les États parties doivent s'acquitter de leurs obligations de prévenir et de réprimer le crime des génocide en toute bonne foi et dans le respect du droit international », Mme Nderitu a aussi souligné que le Conseil des droits de l'homme avait clos les travaux de sa 49e session en créant une commission d'enquête sur les allégations de violations des droits de l'homme en Ukraine, afin d’établir les faits et les circonstances, et de « recueillir et d’analyser des éléments de preuves». 

Mme Nderitu a ensuite rappelé le cadre bien délimité de sa mission. Aussi graves que puissent être les allégations de crimes de génocide ou de guerre en Ukraine, son mandat porte sur la prévention des génocides et non sur le rendu de la justice. Son travail n’est pas de mener des enquêtes ou déterminer la pertinence des accusations : « mon principal rôle est de prévenir et non de rendre justice », de « sensibiliser aux causes et aux dynamiques de génocide », de « mettre en place des système d'alerte précoce » et de « prévenir les discours de haine », a insisté la Conseillère spéciale.

Les réseaux sociaux et les dirigeants religieux rappelés à leurs responsabilités

Mme Nderitu a fait part à cet égard du travail mené par son équipe avec les entreprises des technologies de l’information et de la communication, notamment celles spécialisées dans les réseaux sociaux, pour les « mettre face à leurs responsabilités quant aux discours de haine répandus sur leurs plateformes », et pour qu’elles « respectent et renforcent les normes internationales des droits humains ». 

Elle a aussi mentionné les « dirigeants religieux » en les appelant à user de leur influence pour diffuser les tensions plutôt que de les attiser.

La Conseillère a aussi rappelé que depuis le début du conflit, le Secrétaire général s'était rendu sur place et avait appelé à un cessez-le-feu et à la fin des hostilités, en répétant qu’il n’existait pas de solution au conflit sans usage de la diplomatie.

La ville portuaire ukrainienne meurtrie de Marioupol est devenue un leitmotiv de la guerre : l'hôpital de la ville était constamment bombardé.
IOM/Diana Novikova
La ville portuaire ukrainienne meurtrie de Marioupol est devenue un leitmotiv de la guerre : l'hôpital de la ville était constamment bombardé.

Mme Nderitu a aussi cité de nombreux experts de l'ONU évoquant au sujet de l’Ukraine des « risques croissants de violences sexuelles et sexistes ainsi que de traite, avec leurs lourdes conséquences  sur les femmes et les filles ».

« Tous les Etats doivent s'acquitter de leurs obligations », a-t-elle appuyé, en encourageant le « dialogue intercommunautaire », et en appelant à redoubler d’efforts pour construire un chemin vers la paix.

Beaucoup de gens en Ukraine dépendent de la nourriture fournie par l'ONU.
© IMF/Brendan Hoffman
Beaucoup de gens en Ukraine dépendent de la nourriture fournie par l'ONU.

« La Russie veut détruire l’Ukraine »

S’exprimant à son tour face aux membres du Conseil, Liubov Tsybulska, représentant la société civile ukrainienne, n’a pas mâché ses mots en évoquant les responsabilités de la Russie dans « la plus grande guerre survenue en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale».

« La Russie veut détruire l'Ukraine », a-t-elle affirmé, précisant que cela signifiait non seulement tuer et violer, mais aussi « éliminer tout ce qui façonne notre identité ». Remontant le cours de l’histoire, elle a dressé un parallèle avec l’Holodomor, « cette famine de masse au cours de laquelle les Soviétiques ont tué plus de sept millions d'Ukrainiens en les privant délibérément de nourriture » ; « le meurtre et la torture d'écrivains, d'artistes et d'architectes ukrainiens dans les années 1930 » ;  « des déportations massives, dans les années 1960, de dissidents ukrainiens envoyés de force dans des camps de travail en Union soviétique ». 

Face à une « agression », a expliqué Mme Tsybulska, la société ukrainienne a d’abord voulu dire la vérité aux Russes « ordinaires », par le biais de témoignages, de photos et de vidéos. « Nous pensions que lorsque les Russes auraient vu toutes ces atrocités, ils condamneraient définitivement cette guerre ». Elle explique cependant que les Ukrainiens se sont heurtés à une « totale absence de compassion », une majorité de Russes ne condamnant pas les crimes de guerre signalés en Ukraine mais « soutenant totalement », au contraire, les actions de l’armée russe. 

« Les médias du Kremlin ont créé une réalité alternative »

Parlant de « rhétorique génocidaire », elle a déclaré avoir créé avec ses collègues une base de données visant à démontrer la nature systématique de la diabolisation des Ukrainiens. Dans le même temps, a-t-elle noté, les médias russes imposent aux Russes le récit selon lequel ils sont victimes, avec le monde entier dressé contre eux : « ils ont donc le droit de se défendre préventivement », a-t-elle expliqué.

Pour Mme Tsybulska, la Russie est un « État totalitaire » dont le régime donne à ses citoyens, par médias interposés, la permission de « tuer, torturer et violer ». 

Un enfant d'un orphelinat dans la région de Kharkiv se retrouve dans un abri situé dans un sanatorium à Vorokhta, dans l'ouest de l'Ukraine.
© UNICEF/Slava Ratynski
Un enfant d'un orphelinat dans la région de Kharkiv se retrouve dans un abri situé dans un sanatorium à Vorokhta, dans l'ouest de l'Ukraine.

Pour les inciter, argumente-t-elle, la Russie affirme depuis des années qu’elle protège les populations russophones des « nazis » ukrainiens.

« Pourtant, des dizaines de milliers de personnes retrouvées dans les charniers de Marioupol parlaient russe », a-t-elle relevé, se félicitant que « tant d’éléments de preuve de crimes de guerre russes aient déjà été collectés ».

Mme Tsybulska a enfin jugé très important de comprendre que du point de vue russe, cette menace concerne « l'ensemble du monde occidental », décrit par les médias d’État russes comme « l’ennemi », en raison de « l’érosion de ses valeurs morales » et des « intentions agressives de l’OTAN ».