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ENTRETIEN - « Il n'y a aucun gain à tirer dans aucune guerre, tout le monde est perdant »

le Coordinateur de crise des Nations Unies pour l'Ukraine, Amin Awad (à gauche), rencontre des responsables ukrainiens sur l'aide humanitaire en avril.
Amin Awad
le Coordinateur de crise des Nations Unies pour l'Ukraine, Amin Awad (à gauche), rencontre des responsables ukrainiens sur l'aide humanitaire en avril.

ENTRETIEN - « Il n'y a aucun gain à tirer dans aucune guerre, tout le monde est perdant »

Paix et sécurité

Marquant les 100 jours depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie le 24 février, ONU Info s'est entretenue en exclusivité et en profondeur avec Amin Awad, Coordinateur de crise des Nations Unies pour l’Ukraine.

Il nous a expliqué ce que fait l'ONU pour tenter de mettre fin au conflit et fournir un soutien et une protection aux millions de civils ukrainiens pris au piège, alors que l'hiver glacial s'annonce dans quelques mois à peine. 

Voici des extraits de cet entretien.

Des Ukrainiens attendent d'être évacués en train à la gare de Kyïv.
© UNDP/Oleksandr Ratushniak
Des Ukrainiens attendent d'être évacués en train à la gare de Kyïv.

ONU Info : L’invasion de l’Ukraine par la Russie a atteint une étape tragique. Y a-t-il un espoir que cette guerre se termine bientôt ? 

Amin Awad : Il y a de l'optimisme quant à la fin de la guerre, car ni l'Ukraine ni la Russie ne peuvent se le permettre. L'Ukraine souffre de pertes en vies humaines, de la destruction d'hôpitaux, d'écoles, de maisons, de gares et de voies ferrées et du secteur des transports. Et les sanctions contre la Russie sont sévères. 

C'est aussi destructeur pour le monde. L'Ukraine couvre environ 15 à 20% des besoins alimentaires mondiaux. Cette nourriture est piégée et nous avons une autre saison de récolte à venir : nous avons une perturbation gênante des pipelines alimentaires et des chaînes d'approvisionnement. 

Nous assistons également à des problèmes d'inflation et à des pays en défaut sur leur dette : le Sri Lanka, par exemple, est incapable de rembourser ses emprunts. Le monde ne va pas bien. 

ONU Info : Les civils paient le prix le plus élevé pour cette invasion. Beaucoup ont été tués, tandis que des millions ont cherché refuge dans les pays voisins. Quelle est la situation pour ceux qui sont encore dans le pays ? 

Amin Awad : Il y a un sentiment de désespoir. Il y a près de huit millions de personnes déplacées à l'intérieur du pays et six autres millions à l'étranger. Environ 15 millions de personnes n'ont pas quitté leur domicile, mais elles sont touchées par la perte de leurs moyens de subsistance et ont perdu l'accès à des services tels que l'éducation, la santé. Des millions d'enfants ne vont pas à l'école. 

Le système de sécurité sociale est tendu. Les services gouvernementaux sont sollicités. La communauté humanitaire aussi. C'est vraiment une mauvaise situation. 

Des civils de Marioupol quittent l'usine Azovstal dans le cadre d'une évacuation menée par l'ONU.
© UNOCHA/Kateryna Klochko
Des civils de Marioupol quittent l'usine Azovstal dans le cadre d'une évacuation menée par l'ONU.

ONU Info : L'ONU et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ont facilité l'évacuation de civils désespérés piégés dans l'aciérie d'Azovstal dans la ville portuaire ukrainienne de Marioupol. Y a-t-il des opérations similaires dans lesquelles l'ONU est impliquée en ce moment, pour évacuer ceux qui sont piégés dans les zones hostiles ? 

Amin Awad : Nous n'avons pas reçu de demandes d'évacuation, comme celle de Marioupol, mais nous avons présenté des demandes d'accès à des zones où les populations ont besoin de nourriture, de fournitures médicales et d'autres types de soutien. 

De plus, je pense que maintenant nous devons vraiment nous concentrer sur l'hiver : nous sommes déjà en juin, et l'hiver approche à grands pas et, dans cette partie du monde, les températures sont inférieures à zéro. Avec la destruction de nombreuses centrales électriques et la perte d'approvisionnements énergétiques alternatifs, nous devons rapidement trouver une stratégie pour soutenir des millions de personnes pendant cet hiver. 

ONU Info : Vous êtes en Ukraine depuis un certain temps maintenant et vous avez vu le visage hideux de cette guerre. Pouvez-vous nous raconter une histoire qui vous a profondément touché ? 

Amin Awad : Il y a beaucoup de souffrance. En traversant certaines de ces zones de destruction, je vois des enfants qui ont échappé à la destruction de leur maison ou de leur immeuble et se retrouvent seuls sur la route, sans parents, sans tuteurs et nulle part où aller. 

Je pense que c'est l'un des visages laids de la guerre que nous devons arrêter. 

ONU Info : En ce qui concerne la sécurité de la centrale nucléaire de Zaporijjia, l'ONU travaille-t-elle avec les parties pour faire face à d'éventuelles menaces ? 

Amin Awad : L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) est venue ici à plusieurs reprises. Ils sont allés dans toutes les usines. Zaporijjia est sous contrôle russe, et je crois qu'il y a une négociation en cours pour donner accès à l'agence. 

Les centrales nucléaires pourraient représenter un danger, non seulement pour l'Ukraine, mais pour l'ensemble du continent. Elles nécessitent donc la plus grande attention et les procédures et protocoles de sécurité doivent être suivis. 

ONU Info : Il y a eu de nombreuses attaques contre des écoles à travers l'Ukraine. Vous avez appelé les parties belligérantes à épargner les civils et les infrastructures civiles et vous avez souligné que ces obligations en vertu du droit international humanitaire ne sont pas négociables. Y a-t-il des signes que la Russie écoute ces appels ? 

Amin Awad : Nous continuons d'appeler la Russie à vraiment épargner ce que nous appelons les infrastructures civiles, c'est-à-dire les sources d'eau, d'électricité, les écoles et les hôpitaux. 

Nous continuerons à passer ces appels, car le nombre de personnes qui ont fui à cause de ces attaques est énorme et inacceptable. 

ONU Info : Avez-vous un dernier message ? 

Amin Awad : Mon dernier message est vraiment que cette guerre s'arrête. Le monde y gagnera beaucoup. 

Environ 69 pays pourraient être touchés par les pénuries alimentaires, l'inflation, l'effondrement de la chaîne d'approvisionnement, l'impact du chômage et de nombreux autres éléments. 

Le monde fait déjà face à de nombreux défis. L'un d'eux est le changement climatique, qui affecte également l'agriculture et d'autres moyens de subsistance. 

Donc, quelle que soit la façon dont vous l'examinez - stratégiquement, politiquement ou économiquement - les guerres sont mauvaises. 

Il n'y a aucun gain à tirer dans aucune guerre. Tout le monde est perdant.