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L'Envoyé spécial du Secrétaire général pour la région des Grands Lacs, M. Huang Xia, en visite en RDC en 2019.

Grands Lacs : apporter un mieux-être aux populations pour assurer la paix, l’approche holistique de Huang Xia - Interview

Bureau de l'Envoyé spécial du Secrétaire général pour la région des Grands Lacs
L'Envoyé spécial du Secrétaire général pour la région des Grands Lacs, M. Huang Xia, en visite en RDC en 2019.

Grands Lacs : apporter un mieux-être aux populations pour assurer la paix, l’approche holistique de Huang Xia - Interview

Paix et sécurité

Dans sa déclaration devant le Conseil de sécurité cette semaine, l’Envoyé spécial de l’ONU pour la région des Grands lacs a fait valoir que cette région d’Afrique se trouve « à la croisée des chemins ».

D’une part, Huang Xia a constaté de nombreux progrès, dont des rapprochements politiques qui ont porté des fruits dans des domaines aussi divers que la sécurité, le commerce, les infrastructures, les transports, les ressources naturelles et l’énergie.

Par ailleurs, il a souligné que le défi sécuritaire persiste avec des groupes armés qui menacent la paix et demeurent impliqués dans l’exploitation et le commerce illicites des ressources naturelles.

Selon lui, il est plus que jamais nécessaire de consolider ces progrès ainsi que de s’attaquer fermement aux défis qui persistent. 

Pour ce faire, M.Xia, prône une approche globale et multidimensionnelle face à la situation sécuritaire et politique, qui au-delà de l’aspect militaire, tient compte du développement économique de la région.

Suite à son passage devant le Conseil de sécurité, nous avons reçu M. Xia dans nos studios, l’occasion de lui demander de revenir sur cette stratégie. L'interview a été éditée. 

Dans les studios d'ONU info, l'Envoyé spécial de l'ONU Huang Xia revient sur l'importance du développement socio-économique pour asseoir la paix dans la région des Grands Lacs africains.
Photo ONU / C. Silveiro
Dans les studios d'ONU info, l'Envoyé spécial de l'ONU Huang Xia revient sur l'importance du développement socio-économique pour asseoir la paix dans la région des Grands Lacs africains.

ONU Info : Vous êtes l'Envoyé spécial de l'ONU pour la région des Grands Lacs et vous plaidez en faveur de la Stratégie des Nations Unies pour la consolidation de la paix, la prévention et la résolution des conflits dans cette région. Cette stratégie n'est-elle pas trop ambitieuse, compte tenu de l'histoire de la région ?

Huang Xia :  Je ne pense pas que les objectifs, les objets et les actions, prévus dans la Stratégie soient trop ambitieux. À notre avis, ce sont des priorités avec des objectifs ambitieux mais aussi réalistes. 

Tout d'abord, l’élaboration de la stratégie régionale par le Bureau avait fait l'objet de larges consultations avec les acteurs de la région. Suite à l'adoption de la stratégie en octobre dernier par le Secrétaire général, nous avons également jugé opportun de consulter toutes les parties concernées de la région et hors de la région, ainsi  qu'au sein des Nations Unies, pour l'élaboration d'un plan d'action. 

L'élaboration de la stratégie ainsi que son plan d'action sont le fruit d'un large consensus, impliquant tous les acteurs de la région. 

Sur la base de ce processus inclusif et participatif, je suis confiant que sa mise en œuvre trouvera une adhésion totale auprès des leaders et de toutes les parties prenantes de la région. 

Une fois de plus, j'aimerais insister sur une pleine appropriation de cette stratégie et de son plan d'action par tous les pays de la région. 

ONU INFO : Votre bureau fait également beaucoup d'efforts pour renforcer la coopération économique. Pourquoi est-ce que cela est important pour la paix et la sécurité dans la région ? 

Huang Xia : Nous avons une approche globale face à la situation sécuritaire et politique qui prévaut dans la région des Grands Lacs. 

Cette approche exige que nous prenions en compte également les aspects de développement économique de la région. 

C'est dans cette perspective que mon bureau s'emploie à organiser, avec le gouvernement du Rwanda et de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), d'ici la fin de l'année ou au début de l’année prochaine, une conférence sur l'investissement et le commerce dans la région des Grands Lacs, à Kigali.

En créant davantage d'opportunités économiques, génératrices de richesse, génératrices d'emplois pour un nombre croissant de personnes, et en faisant la promotion des investissements du secteur privé, nous réussiront à apporter un mieux-être aux populations et à long terme, améliorer la situation socio-économique dans la région, en particulier celle des femmes. 

Le renforcement des liens commerciaux, la promotion des investissements, la mise en place de projets de développement, l'intégration régionale, la création de réseaux d'infrastructure plus propice, tout cela, à notre avis, constitue pour nous des axes importants pour parvenir à une paix durable dans la région des Grands Lacs.

Il y a donc nécessité de s'appuyer sur une approche multidimensionnelle pour lutter contre la précarité de la vie. En conclusion, paix et sécurité mieux assurée, pour mieux faire le développement.  

Avec les acquis de développement, les pays de la région des Grands Lacs auraient plus de moyens pour mieux assurer, assurer toujours davantage, la paix et la sécurité. 

En encourageant les investissements du secteur privé, nous parviendrons à apporter du bien-être à la population et, à long terme, à améliorer la situation socio-économique de la région, notamment pour les femmes et les jeunes.
ONU/Myriam Asmani
En encourageant les investissements du secteur privé, nous parviendrons à apporter du bien-être à la population et, à long terme, à améliorer la situation socio-économique de la région, notamment pour les femmes et les jeunes.

ONU INFO :  Les pays de la région des Grands Lacs regorgent de ressources naturelles, qui financent souvent d'ailleurs les activités des groupes armés dans la région. Alors, que signifie l'adoption d'une approche holistique contre l'exploitation illégale des ressources naturelles dans la région ?

Huang Xia : La région des Grands Lacs figure parmi l'une des rares régions les mieux dotées par la nature. 

Le grand paradoxe, c'est de voir cet état de pauvreté, cet état de sous-développement avec tant de richesses naturelles. Et, même aujourd’hui, l'exploitation et le commerce illicite figurent parmi les causes profondes de l'instabilité qui pénalise, qui handicape, la région des Grands Lacs dans son processus de développement socio-économique. Et même des activités criminelles sont liées à l'exploitation, à ce commerce, avec des réseaux de d'approvisionnements en armes, avec des réseaux de recrutement.

Ce que nous préconisons c'est une approche holistique, qui engage toutes les parties concernées. 

Les pays de la région des Grands Lacs, avec l'appui de la communauté internationale, ont une grande part de responsabilité à prendre pour mieux assurer le contrôle des frontières, pour assurer une meilleure efficacité du système de certification des minerais avec la mise en vigueur du dispositif mis au point par la CIRGL.

En même temps, il faut avouer que dans la région des Grands Lacs, notamment dans le cadre d'un pays comme la RDC, la restauration de l'autorité de l'État, le déploiement des services des pouvoirs régaliens, c'est un long processus. 

Nous encourageons, nous accompagnons, les pays dans la région des Grands Lacs pour lancer les réformes qui s'imposent pour mieux assurer l’Etat de droit, la bonne gouvernance, mais, en même temps, dans cette chaîne des valeurs autour des ressources naturelles, de l’amont jusqu'en aval, au-delà des pays de la région, il y a beaucoup d'intervenants, il y a beaucoup d'acteurs.

Ce que nous espérons faire, c'est de travailler étroitement, et avec les pays de la région et avec les autres acteurs, pour mettre en place un mécanisme de responsabilisation pour identifier les acteurs qui interviennent dans chaque étape de cette chaîne et voir les responsabilités qui reviendraient à chaque acteur, et après, comment assurer le contrôle de la prise aux responsabilités par chaque acteur.

Et donc, nous sommes en cours de faire ce travail, avec les pays de la région des Grands Lacs, la CIRGL. Et dans ce travail, l'accompagnement et l'appui de la communauté internationale sont indispensables.

Au cours de la réunion du Conseil de sécurité hier, un grand accent a été mis sur ce dossier. J'ai pris bonne note de l'intention forte des membres du Conseil de sécurité sur ce dossier. Soyez assurés que, au nom des Nations Unies, mon bureau travaillera étroitement avec tous les autres acteurs.

Il n'y aura pas de résultats rapides immédiats. Mais c'est à nous de nous engager résolument dans un processus de travail, de concertation, de coopération, un mécanisme de travail plus efficace.

ONU INFO :  Vous évoquez le Conseil de sécurité, qui après votre exposé, a fait une déclaration forte, appelant les groupes armés à faire tomber les armes et appuyant plusieurs points dans votre exposé. De quel type de soutien avez-vous besoin du Conseil pour aider votre bureau dans son travail ?

Huang Xia : Nous avons identifié dans la stratégie régionale un grand nombre de priorités.

En ce qui concerne une lutte plus efficace contre les groupes armés qui sévissent toujours dans la région, notamment dans l'est de la RDC, nous préconisons une approche holistique.

Si aujourd'hui, la main militaire avec des opérations militaires conjointes, avec le travail de toutes les parties concernées, reste Indispensable, à notre avis, une solution holistique repose sur un volet militaire et un dispositif non militaire.

Depuis plusieurs mois mon bureau travaille étroitement avec les autres garants de l’Accord cadre d’Addis Abeba, avec les pays de la région des Grands Lacs, avec les partenaires externes de la région des Grands Lacs, pour faire avancer nos démarches dans la définition de cette approche non-militaire qui consiste à encourager les éléments des groupes armés de déposer les armes, de sortir de la brousse, de leur proposer des conditions de survie, et après une vie décente.

C’est-à-dire, il faut voir comment dialoguer avec toutes les parties concernées, comment mettre au point des programmes DDR,  plus inclusifs, plus durables et susceptibles de proposer des conditions qui conduirait à la création d'activités et à une réinsertion plus réussie dans la société.

C’est un travail militaire et un dispositif non militaire qui sont en complémentarité, à notre avis, cette approche globale holistique serait plus pertinente pour répondre à cette situation d'insécurité qui prévaut toujours dans l'est de la RDC.

ONU INFO : Cette complémentarité comprend donc également le renforcement de la coopération économique et le développement des investissements dans la région ?

Huang Xia : Oui, d'abord, c'est à nous de travailler grâce à l'appui politique du Conseil de sécurité de la communauté internationale sur cette approche holistique.

Ensuite, nous devons travailler aussi. J'avoue que l’enjeu paix et sécurité est un défi plus visible.

Il y a un autre volet, c'est le volet de développement socio-économique que vous avez évoqué tout à l'heure. À notre avis, c'est avec une volonté politique plus forte de travailler ensemble pour assurer un développement socio-économique plus ambitieux, plus substantiel, que nous arriverons à répondre aux attentes des populations de la région et notamment dans l'est de la RDC, en ce qui concerne une vie meilleure, une vie décente.

Et c’est avec les acquis de ce développement plus substantiel que les gens vont être plus actifs dans tous les efforts et démarches, pour mieux assurer la paix et la sécurité.

Et grâce aux acquis de ce développement plus ambitieux, inscrit dans une logique de coopération d'intégration régionale, les pays de la région des Grands Lacs pourront d'avoir plus de moyens pour mieux assurer la paix et la sécurité.

Et donc, ce que nous espérons voir, c’est un cercle vertueux « paix et sécurité ». Mieux assurer pour mieux faire le développement. Fort des acquis du développement, mieux faire la paix et la sécurité. 

ONU Info : Ce sont des solutions gagnants-gagnants ?

Huang Xia : Ça, ce serait une solution gagnant-gagnant pour les pays de la région, pour les populations des pays et après, pour le reste du continent africain et pour toute la communauté internationale.