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Au Conseil de sécurité, l’appui unanime au multilatéralisme cache mal les divergences entre ses membres permanents

Le maillet utilisé par le le Président du Conseil de sécurité des Nations Unies
Photo : ONU/Ariana Lindquist
Le maillet utilisé par le le Président du Conseil de sécurité des Nations Unies

Au Conseil de sécurité, l’appui unanime au multilatéralisme cache mal les divergences entre ses membres permanents

Paix et sécurité

Les 15 membres du Conseil de sécurité des Nations Unies ont tous réaffirmé, vendredi, leur appui au multilatéralisme. Mais les membres permanents du Conseil, titulaires du droit de veto (Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni et Russie), ont fait état de leurs divergences de vision et d’appréciation de ce concept.

 

Quinze ministres pour représenter chacun des Etats membres du Conseil de sécurité et le Président de l’Assemblée générale des Nations Unies, « l’organe le plus démocratique de notre système ». Ce 7 mai, le débat ouvert du Conseil consacré à « l’appui au multilatéralisme et à un système international centré sur les Nations Unies » a réuni des orateurs de premier plan. Parmi les cinq membres permanents, trois d’entre eux - la Chine (présidente du Conseil en mai), les Etats-Unis et la Russie - étaient représentés par les chefs de leur diplomatie respective.

Si le Président de l’Assemblée générale et les ministres des 15 Etats membres du Conseil ont chacun loué les vertus du multilatéralisme, la réunion du Conseil a donné lieu à la présentation de visions différentes de ce concept et étalé les divergences existantes, notamment entre certains de ses membres permanents.

Chine : « Il ne peut y avoir d’exceptionnalisme ni deux poids, deux mesures »

Alors que le monde fait face à la pandémie de Covid-19 nous devons riposter collectivement et faire preuve d’égalité et de respect, a souligné le Ministre des affaires étrangères chinois, Wang Yi, qui a appelé à rechercher l’unité et la justice, en lieu et place de l’hégémonie. « De même, il est essentiel que tous les pays partagent la gouvernance mondiale et promeuvent un ordre mondial basé sur des règles. Cela doit s’appliquer à tous les pays, il ne peut y avoir d’exceptionnalisme ni deux poids, deux mesures », a soutenu le chef de la diplomatie chinoise.

Pour M. Wang, la communauté internationale doit également trouver des solutions « autrement », faute de quoi le multilatéralisme « ne subsistera pas ».  Les mesures doivent, selon lui, répondre aux besoins à long terme et pas immédiats.  De surcroît, les grandes puissances doivent « montrer l’exemple », notamment en garantissant les biens publics mondiaux. Si chaque pays à sa propre histoire et sa propre culture, tous doivent œuvrer ensemble, estime le ministre chinois. Diviser le monde en camps idéologiques va à l’encontre du multilatéralisme, c’est un retour en arrière, a-t-il averti.

Les Etats-Unis réagiront avec force contre ceux qui sapent l’ordre international (Blinken)

Le Secrétaire d’État des Etats-Unis, Anthony Blinken, a indiqué que son pays réagira avec force contre ceux qui sapent l’ordre international. Selon lui, l’affirmation de la juridiction nationale ne donne à aucun État « un chèque en blanc pour asservir, torturer, faire disparaître, nettoyer ethniquement son peuple ou violer les droits de l’homme ». Un État ne respecte pas le principe d’égalité souveraine lorsqu’il prétend redessiner les frontières d’un autre ou cherche à résoudre des conflits territoriaux en utilisant la force ou en menaçant d’y recourir, a dit M. Blinken. Un État méprise ce principe quand il en cible un autre avec de la désinformation ou de la corruption armée, sape les élections libres et équitables d’autres pays ou s’en prend aux journalistes ou aux dissidents à l’étranger, a ajouté le chef de la diplomatie américaine.

« Lorsque les États membres de l’ONU – en particulier les membres permanents du Conseil de sécurité – bafouent ces règles et bloquent les tentatives visant à mettre face à leurs responsabilités ceux qui violent le droit international, ils envoient le message que d’autres pays peuvent enfreindre ces règles en toute impunité », a dit le Secrétaire d’Etat.

La Russie fustige les promoteurs de « règles non inclusives » élaborées en dehors des structures onusiennes

Le Ministre des affaires étrangères russe, Sergey Lavrov a fustigé certains pays qui veulent promouvoir leurs priorités unilatérales ou de bloc au sein des Nations Unies. Récemment, a poursuivi le ministre, nous avons été témoins d'une tentative d’introduire un nouveau concept d’« ordre fondé sur des règles». Nous n’avons rien contre les règles convenues dans des formats universels, mais le but de cette entreprise est à l’évidence de réviser l’architecture centrée sur l'ONU et d'imposer à la communauté internationale des « règles non inclusives » élaborées en dehors des structures onusiennes et qui ne visent qu’à monopoliser le processus décisionnel sur des questions importantes pour tous, en contournant l’organisation mondiale, a martelé le chef de la diplomatie russe.

Aux yeux de M. Lavrov, l’idée américaine de convoquer un « sommet des démocraties » va dans ce sens et l’initiative franco-allemande d’une « alliance pour le multilatéralisme » court-circuite l’ONU. La création d’un nouveau « club d’intérêts » sur une base idéologique risque d’exacerber encore davantage les tensions internationales et tracer de profondes lignes de division dans un monde qui, plus que jamais, a besoin d’un « programme unificateur », a-t-il fait valoir.

Le Royaume-Uni souligne la pertinence de sanctions indépendantes, juridiquement solides et soigneusement ciblés

Ministre d’État pour le Commonwealth, les Nations Unies et l’Asie du Sud du Royaume-Uni, Tariq Ahmad a appelé les États membres à rester fidèles aux principes fondateurs et universels de l'ONU et du Conseil de sécurité. Rappelant que les États respectueux des droits de l’homme et de leurs obligations envers leur peuple sont les plus prospères et les plus résilients, M. Ahmad a indiqué que Londres continuera de placer la promotion et la protection des droits de l'homme en tête de ses priorités de politique internationale.

Le Ministre britannique a aussi tenu à souligner la pertinence de sanctions indépendantes, juridiquement solides et soigneusement ciblées, pour punir les auteurs des violations et abus des droits humains et de la corruption. Il a précisé que le Royaume-Uni a appliqué des sanctions contre le « régime syrien » et la « junte birmane », les auteurs de violences sexuelles en Libye ou ceux qui travaillent pour soutenir le programme nucléaire nord-coréen. M. Ahmad a rappelé que le respect des valeurs de la Charte de l’ONU est la clef de « notre réponse efficace et unie aux défis extraordinaires que partagent nos nations ».

France : l’exercice du droit de veto « a paralysé notre action »

Le Secrétaire d’État auprès du Ministre des affaires étrangères français, Jean-Baptiste Lemoyne, a rappelé que le droit international offre un cadre d’action au sein duquel l’esprit de coopération est indispensable pour obtenir des résultats. Cette coopération a permis à la diplomatie multilatérale d’obtenir des succès tels que l’accord sur le nucléaire iranien ou l’Accord de Paris sur le climat.

Cet esprit de coopération a parfois manqué au Conseil de sécurité au cours des dernières années, a constaté le Secrétaire d’État, montrant du doigt l’exercice du droit de veto « qui a paralysé notre action ». Comment justifier notre impuissance collective à agir face au conflit épouvantable que connaît la Syrie ? a-t-il demandé. La France, a-t-il rappelé, porte avec le Mexique une initiative prévoyant un encadrement volontaire et collectif du veto par les membres permanents du Conseil de sécurité en cas d’atrocités de masse.

Devant le Conseil, M. Lemoyne a dénoncé les critiques ou l’instrumentalisation des organisations internationales pour promouvoir des intérêts nationaux. Ces organisations, a-t-il insisté, doivent pouvoir accomplir leur travail de manière transparente, rigoureuse et ouverte.