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Le refus d’extrader Julian Assange doit être accueilli avec prudence, selon un expert indépendant de l'ONU

Un autocollant avec le visage de Julian Assange collé sur un panneau urbain
Unsplash/Markus Spiske
Un autocollant avec le visage de Julian Assange collé sur un panneau urbain

Le refus d’extrader Julian Assange doit être accueilli avec prudence, selon un expert indépendant de l'ONU

Droits de l'homme

Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, Nils Melzer, s'est félicité, mardi, du refus d'un tribunal britannique d'extrader le fondateur de Wikileaks, Julian Assange, vers les États-Unis au motif qu'il serait exposé à des conditions d'emprisonnement « oppressives » qui entraîneraient presque certainement son suicide.

« Cette décision confirme ma propre évaluation selon laquelle, aux États-Unis, M. Assange serait exposé à des conditions de détention, qui sont largement reconnues comme équivalant à de la torture ou à d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », a déclaré M. Melzer dans un communiqué.

M. Assange est actuellement détenu en isolement cellulaire prolongé à la prison de Belmarsh à Londres en vertu d'une demande d'extradition américaine pour espionnage et fraude informatique. « S'il est extradé vers les États-Unis, il risque une peine pouvant aller jusqu'à 175 ans d'emprisonnement dans des conditions inhumaines d'isolement quasi total », a déclaré le Rapporteur spécial.

 Julian Assange est détenu à la prison de Belmarsh (en haut au centre), à Londres, Royaume-Uni.
Wikimedia Commons/Kleon3
Julian Assange est détenu à la prison de Belmarsh (en haut au centre), à Londres, Royaume-Uni.

Dans le même temps, l'expert indépendant de l'ONU estime que le jugement prononcé lundi par le tribunal britannique établit un précédent alarmant en refusant de fait aux journalistes d'investigation la protection de la liberté de la presse et ouvrant la voie à leurs poursuites pour espionnage. En 2010, M. Assange a publié des documents militaires sensibles relatifs aux guerres en Irak et en Afghanistan.

« Je suis gravement préoccupé par le fait que le jugement confirme toute la justification très dangereuse qui sous-tend l'acte d'accusation américain, ce qui revient en fait à criminaliser le journalisme (portant sur la) sécurité nationale », a déclaré M. Melzer.

Les États-Unis ont annoncé qu'ils feraient appel du jugement, mais ont salué le rejet par le juge de tous les arguments de la défense d'Assange fondés sur la liberté de la presse, l'intérêt public dans la dénonciation des fautes gouvernementales, l'interdiction des extraditions pour délit politique et le non-respect par les États-Unis de fournir des procès équitables aux personnes accusées d’atteinte à la sécurité nationale.

« C'est très préoccupant », a déclaré le Rapporteur spécial. « Aucune de ces questions ne sera désormais examinée par la Cour d’appel, car la seule question en jeu sera l’aptitude médicale de M. Assange à résister aux conditions de détention américaines ».

« Si les États-Unis donnent l'assurance que M. Assange sera traité avec humanité, son extradition pourrait potentiellement être confirmée en appel sans examen significatif des très graves problèmes juridiques soulevés par cette affaire », a averti l’expert indépendant.

Nils Melzer, Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture
ONU/CINU Buenos Aires
Nils Melzer, Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture

La décision de justice ne reconnaît pas que l'état de santé déplorable de M. Assange est la conséquence directe d'une décennie de violation délibérée et systématique de ses droits humains les plus fondamentaux - Nils Melzer, Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture

M. Melzer a exprimé à plusieurs reprises dans des communications individuelles et des déclarations que M. Assange avait été soumis à plus de 10 ans de détention arbitraire et de persécution politique. Lors d'une visite à la prison de Belmarsh en 2019, Le Rapporteur spécial et une équipe médicale spécialisée ont constaté que M. Assange présentait tous les symptômes typiques d'une exposition prolongée à la torture psychologique.

« La décision de justice ne reconnaît pas que l'état de santé déplorable de M. Assange est la conséquence directe d'une décennie de violation délibérée et systématique de ses droits humains les plus fondamentaux par les gouvernements des États-Unis, du Royaume-Uni, de la Suède et de l'Équateur », a déclaré M. Melzer.

Selon l'expert, le fait que le jugement n'a pas dénoncé et réparé la persécution et la torture de M. Assange, « laisse totalement intact l'effet d'intimidation prévu sur les journalistes et les lanceurs d'alerte du monde entier qui pourraient être tentés de publier des preuves secrètes de crimes de guerre, de corruption et autre faute du gouvernement ».

« M. Assange doit maintenant être immédiatement libéré, réhabilité et indemnisé pour les abus et l'arbitraire auxquels il a été exposé », a déclaré M. Melzer. « Même avec un appel en instance, son isolement continu dans une prison de haute sécurité est totalement inutile et disproportionné. Il n'y a aucune justification pour l'empêcher d'attendre le jugement définitif dans un cadre où il peut retrouver sa santé et mener une vie familiale et professionnelle normale ».

Le Rapporteur spécial espère que le jugement du tribunal britannique mettra fin à la persécution et à l'emprisonnement de Julian Assange en tant qu'individu. « Mais dans l’ensemble, cela crée un précédent dévastateur qui porte gravement atteinte à la liberté de la presse, à la responsabilité et à l’Etat de droit », a-t-il prévenu.

NOTE :

Les rapporteurs spéciaux, les experts indépendants et les groupes de travail font partie de ce que l'on appelle les procédures spéciales du Conseil des droits de l'homme. Les procédures spéciales, le plus grand organe d'experts indépendants du système des droits de l'homme des Nations Unies, est le nom général des mécanismes indépendants d'enquête et de suivi du Conseil qui traitent soit de situations spécifiques à des pays, soit de questions thématiques dans toutes les régions du monde. Les experts des procédures spéciales travaillent sur une base volontaire ; ils ne font pas partie du personnel des Nations Unies et ne reçoivent pas de salaire pour leur travail. Ils sont indépendants de tout gouvernement ou organisation et travaillent à titre individuel.