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Venezuela : les auteurs de crimes contre l’humanité doivent rendre des comptes (ONU)

En 2017, des manifestants à La Castellana, un quartier de l'est de Caracas (photo d'archives).
Photo: Helena Carplo / IRIN News
En 2017, des manifestants à La Castellana, un quartier de l'est de Caracas (photo d'archives).

Venezuela : les auteurs de crimes contre l’humanité doivent rendre des comptes (ONU)

Droits de l'homme

L’État vénézuélien doit demander des comptes aux auteurs des exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées, de détentions arbitraires et de torture, et empêcher ainsi que d’autres actes de cette nature ne se reproduisent, a déclaré la Mission internationale indépendante d’établissement des faits de l’ONU sur le Venezuela, dans son premier rapport rendu public ce mercredi à Genève.

« La Mission a trouvé des motifs raisonnables de croire que les autorités et les forces de sécurité vénézuéliennes ont, depuis 2014, planifié et exécuté de graves violations des droits de l’homme, dont certaines - y compris les exécutions arbitraires et le recours systématique à la torture - constituent des crimes contre l’humanité », a déclaré Marta Valiñas, Présidente de la Mission, citée dans le communiqué.

La Mission demande à Caracas de « mener des enquêtes rapides, approfondies, indépendantes, impartiales et transparentes sur les violations et les crimes, afin que les auteurs rendent des comptes et que justice soit rendue aux victimes ».

Pour les enquêteurs indépendants onusiens, « d’autres juridictions, conformément à leurs lois nationales, ainsi que la Cour pénale internationale (CPI), devraient également envisager des actions en justice contre les individus responsables des crimes identifiés par la Mission ».

D’autant que les violations sur lesquelles la mission a enquêté se sont déroulées dans « un contexte d’effondrement progressif » des institutions démocratiques et de l’État de droit, y compris une érosion de l’indépendance judiciaire. Le résultat sur le terrain a été de constater que « le gouvernement, les agents de l’État et les groupes travaillant avec eux avaient commis des violations flagrantes ».

La Mission a ainsi identifié des modèles de violations et de crimes qui étaient fortement coordonnés en vertu des politiques de l’État, et qui s’inscrivaient dans une ligne de conduite généralisée et systématique, « ce qui équivalait à des crimes contre l’humanité ». « Des autorités étatiques de haut niveau détenaient et exerçaient un pouvoir et un contrôle sur les forces de sécurité et les agences de renseignement identifiées dans le rapport comme responsables de ces violation ».

« Le Président Maduro et ses ministres de l’intérieur et de la défense avaient connaissance de ces crimes »

Pour la Mission, le Président Maduro et les ministres de l’Intérieur et de la Défense avaient connaissance de ces crimes : « Ils ont donné des ordres, coordonné des activités et fourni des ressources pour faire avancer les plans et les politiques « dans le cadre desquels les crimes ont été commis ».

« Loin d’être des actes isolés, ces crimes ont été coordonnés et commis conformément aux politiques de l’État, avec la connaissance ou le soutien direct des commandants et des hauts fonctionnaires du gouvernement », a d’ailleurs dénoncé la Présidente de la Mission.

Les enquêteurs onusiens se sont ainsi penchés sur 223 cas, dont 48 sont inclus en tant qu’études de cas approfondies dans le rapport de 411 pages. Elle a examiné 2.891 cas supplémentaires pour corroborer les schémas de violations et de crimes.

S’agissant des exécutions extrajudiciaires, la Mission a enquêté 16 cas d’opérations policières, militaires ou conjointes ayant abouti à 53 exécutions extrajudiciaires. Elle a également examiné plus de 2.500 incidents supplémentaires impliquant plus de 5.000 meurtres par les forces de sécurité, bien que tous n’aient pas nécessairement été arbitraires. 

De 2015 à 2017, les Opérations pour la libération du peuple (OLP), prétendument mises en place pour lutter contre la criminalité, ont donné lieu à des détentions arbitraires et des exécutions extrajudiciaires. La mission a passé en revue 140 opérations, qui ont entraîné la mort de 413 personnes, « parfois tuées à bout portant ».

De hauts fonctionnaires du gouvernement ont fait l’éloge de ces opérations, qui impliquaient généralement des centaines d’officiers armés prenant d’assaut une zone, parfois à l’aide de véhicules blindés et d’hélicoptères. Huit des opérations examinées ont fait 10 morts ou plus. Après avoir été critiqué pour ses tactiques brutales, le gouvernement a relancé les OLP sous le nom d’Opérations de libération humaine du peuple (OLHP) avant de les supprimer progressivement d’ici la mi-2017. « Cependant, les exécutions extrajudiciaires se sont poursuivies », ont ajouté les experts.

Deux forces de sécurité responsables de plus de la moitié de tous les meurtres commis

Deux forces de sécurité - L’unité d’enquêtes scientifiques, pénales et criminelles (CICPC) et les Forces d’action spéciales (FAES) de la Police nationale bolivarienne (PNB) - ont été responsables de plus de la moitié de tous les meurtres commis par les forces de sécurité au cours de la période considérée.

Elles sont à l’origine des exécutions extrajudiciaires documentées dans le rapport. Une source bien informée a confirmé que les supérieurs hiérarchiques pouvaient accorder aux agents le « feu vert pour tuer ».

Des civils ont également été tués, à la suite d’opérations militaires, comme celle menée dans la sous-région de Barlovento, dans l’État de Miranda, à la mi-octobre 2016. Celle-ci s’est terminée par un massacre après que des soldats aient arbitrairement détenu 35 hommes, dont certains ont disparu et ont été torturés. Douze victimes, toutes âgées de 30 ans ou moins, ont été exécutées extrajudiciairement et enterrées dans des fosses communes. Deux d’entre elles avaient des balles qui leur avaient transpercé le crâne et dix autres avaient probablement des blessures à la machette à la poitrine, au cou et à la tête.

La Mission a également enquêté sur la répression ciblée des agences de renseignement de l’État où les techniques de torture comprennent : les positions de stress, l’asphyxie, les coups, les chocs électriques, les coupures et les mutilations, les menaces de mort et la torture psychologique.

A la manœuvre, il y a la Direction générale du contre-espionnage militaire (DGCIM) et le Service national de renseignement bolivarien (SEBIN) qui ont ciblé les dissidents politiques et toutes les personnes perçues comme étant contre le gouvernement. Parmi les victimes, figure l’ancien capitaine de vaisseau Rafael Acosta Arévalo, qui est mort après avoir été torturé.

La Mission a d’ailleurs enregistré les noms de plus de 45 agents du SEBIN et de la DGCIM directement responsables, qui devraient faire l’objet d’enquêtes et de poursuites. « Les commandants, y compris les autorités de haut niveau au sein du SEBIN et de la DGCIM, avaient pleinement connaissance de ce type de crimes, qui se produisaient souvent dans les bâtiments mêmes où ils travaillaient ».

« Le système est conçu pour décourager les rassemblements pacifiques »

Cette politique de terreur s’est également manifestée lors des protestations de masse de l’opposition, en particulier en 2014, 2017 et 2019. Parmi ces violations figurent le meurtre de 36 manifestants, qui ont été abattus avec des armes à feu et des munitions moins mortelles, ainsi que des actes de torture et autres mauvais traitements en détention, notamment des passages à tabac et des humiliations, des violences sexuelles et sexistes et des simulacres d’exécution.

« Le système est conçu pour empêcher et décourager les rassemblements pacifiques, souvent de manière violente », a déclaré Paul Seils. Selon ce membre de la Mission, la pratique systématique de la torture de manifestations détenus « est particulièrement préoccupante, non pas par des éléments voyous, mais dans le cadre d’une politique claire ».

« Ces assassinats semblent s’inscrire dans une politique visant à éliminer les membres indésirables de la société sous couvert de lutte contre la criminalité » a regretté Marta Valiñas. 

En attendant, la grande majorité des exécutions illégales commises par les forces de sécurité n’ont pas donné lieu à des poursuites, et à aucun moment les fonctionnaires ayant une responsabilité de commandement n’ont été traduits en justice. Selon les enquêteurs onusiens, le système judiciaire vénézuélien n’a pas permis de contrôler les autres acteurs étatiques. « Les violations doivent cesser. Et l’impunité doit cesser », a déclaré Marta Valiñas, plaidant « pour une réparation complète pour le préjudice subi par les victimes ».

La Mission présentera son rapport dans le cadre d’un dialogue interactif au Conseil des droits de l’homme le mercredi 23 septembre.