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Yémen : le médiateur de l’ONU souhaite qu’un jour le dialogue pacifique remplace la violence

Martin Griffiths, Envoyé spécial des Nations Unies pour le Yémen
OSESGY/Abdel Rahman Alzorgan
Martin Griffiths, Envoyé spécial des Nations Unies pour le Yémen

Yémen : le médiateur de l’ONU souhaite qu’un jour le dialogue pacifique remplace la violence

Paix et sécurité

Le conflit entre le gouvernement du Yémen et les rebelles houthis est entré dans sa sixième année et a un impact dévastateur sur la vie de la population yéménite.

Les combats dans le pays se sont aggravés en 2015 lorsqu'une coalition dirigée par l'Arabie saoudite est intervenue militairement à l'invitation du gouvernement internationalement reconnu, dans le but de chasser les Houthis, officiellement connus sous le nom d'Ansar Allah, de la capitale, Sanaa, et d'autres zones qu'ils avaient saisies en septembre 2014.

Les années de combats ont conduit des millions de personnes à affronter la faim et la malnutrition, créant la pire crise humanitaire au monde. Des centaines de morts parmi les civils et des violations des droits de l'homme ont été signalées.

Martin Griffiths dirige les efforts des Nations Unies au nom du Secrétaire général António Guterres, pour négocier un règlement négocié afin de mettre fin à la guerre. Et bien que les parties belligérantes soient engagées dans le processus de médiation, ses tentatives de parvenir à un cessez-le-feu et à des mesures humanitaires et économiques indispensables sont devenues encore plus urgentes, alors que la crise sanitaire et économique mondiale provoquée par la pandémie de Covid-19 menace d'aggraver les conditions de vie des civils pris dans le conflit.

Dans un entretien avec ONU Info par courrier électronique cette semaine Martin Griffiths, Envoyé spécial des Nations Unies pour le Yémen, aborde le long processus de paix dans le pays et les énormes défis qui doivent encore être surmontés.

Il a d’abord fait le point sur l'état des négociations de paix.

Martin Griffiths : Le processus a commencé en mars, lorsque le Secrétaire général de l'ONU a appelé les combattants du Yémen à cesser les hostilités et à se concentrer sur la lutte contre la menace de la Covid-19 et à saisir cette occasion pour parvenir à une solution politique. Le gouvernement yéménite et Ansar Allah - ainsi que d’autres partis yéménites et la société civile - ont accueilli favorablement les appels du Secrétaire général.

Fin mars, mon bureau a partagé avec le gouvernement du Yémen et Ansar Allah un projet d’accord sur un cessez-le-feu national; des mesures humanitaires et économiques; et la reprise urgente du processus politique visant à mettre un terme complet au conflit.

Début avril, nous avions reçu les premiers commentaires des deux parties. Après avoir examiné les positions des deux parties, nous avons partagé avec elles un projet révisé à la mi-avril pour rapprocher leurs points de vue.

Plusieurs cycles de négociations bilatérales ont suivi au cours des mois suivants. Le processus se poursuit à ce jour et le texte continue de faire l'objet de modifications de fond tant qu'il est en cours de négociation.

Le processus est long et difficile, d'autant plus qu'il se déroule principalement dans le monde virtuel. Il est très difficile de négocier un accord aussi sensible dans le contexte de l'érosion de la confiance entre les parties, en particulier avec la poursuite des hostilités militaires sur tous les fronts.

C’est ma responsabilité en tant que médiateur de combler le fossé entre les positions des parties, quelle que soit leur ampleur, jusqu’à ce qu’un compromis mutuellement accepté réponde aux aspirations du peuple yéménite. Je n'abandonnerai pas la poursuite de la fin des combats, les mesures visant à alléger les souffrances du peuple et la reprise du dialogue pacifique visant à mettre fin au conflit. Tant que les parties resteront engagées dans le processus, il y a une chance de paix au Yémen.

Une famille reçoit une aide alimentaire à un point de distribution de vivres à Ras al’Arah, dans le gouvernorat de Lahj, au Yémen.
PAM/Saleh Bahulis
Une famille reçoit une aide alimentaire à un point de distribution de vivres à Ras al’Arah, dans le gouvernorat de Lahj, au Yémen.

Comment la Déclaration commune contribuerait-elle à apporter la paix et la prospérité au Yémen?

La Déclaration commune n'est pas en soi une fin du conflit. Cependant, ce serait une étape importante vers un cessez-le-feu national immédiat au Yémen, allégeant les souffrances des Yéménites et ouvrant la voie à des pourparlers de paix visant à mettre un terme complet au conflit.

L'élément de cessez-le-feu dans la Déclaration commune est attendu depuis longtemps. Depuis janvier, nous avons assisté à une nouvelle vague d'escalade militaire dans différentes parties du pays. Il y a tout juste deux jours, sept enfants et deux femmes ont été tués à la suite d'une frappe aérienne à Hajjah. Les Yéménites sont obligés de faire face aux conséquences désastreuses de cette guerre qui fait rage tout en luttant contre une économie en ruine et une épidémie dévastatrice de coronavirus.

Les mesures humanitaires et économiques incluses dans la Déclaration commune sont également attendues depuis longtemps. La Déclaration contient des engagements et décrit des étapes pour, entre autres mesures : la création d'une unité d'opérations conjointes entre le gouvernement du Yémen et Ansar Allah avec le soutien de l'Organisation mondiale de la santé pour assurer une réponse efficace et coordonnée à l’épidémie de Covid-19 au Yémen; le paiement des salaires des fonctionnaires; la libération de tous les prisonniers et détenus liés au conflit, ce qui est devenu encore plus urgent avec la propagation de la Covid-19 et d'autres maladies au Yémen; l’ouverture des principales routes d'accès essentielles dans et entre les gouvernorats; l’ouverture de l’aéroport de Sanaa et l’assouplissement des restrictions à l’entrée des porte-conteneurs commerciaux, ainsi que des navires transportant du gaz et du pétrole, via les ports d’Hodeïda, tout en garantissant le respect de l’embargo sur les armes imposé par le Conseil de sécurité; et assurer la sécurité du pétrolier SAFER, qui est coincé à Ras Issa depuis cinq ans, menaçant de provoquer une marée noire - une catastrophe environnementale pour le Yémen et ses voisins.

Mon Bureau continue de travailler intensément sur certaines de ces mesures indépendamment des négociations en cours, y compris la question SAFER. Si les parties conviennent de répondre à ces besoins humanitaires, cela non seulement soulagera les souffrances des Yéménites, mais marquera également une étape importante vers le rétablissement de la confiance entre les parties.

Enfin, et c'est peut-être le plus important, la Déclaration engage les parties à reprendre d'urgence les pourparlers de paix, ce qui est le seul moyen de rompre avec la violence du passé et de mettre fin à ce conflit de manière globale et durable.

Sans horizon politique et sans progrès sur la voie politique, le cessez-le-feu et toutes les mesures convenues dans la Déclaration commune finiront inévitablement par s'effondrer. Nous l'avons déjà vu au Yémen et nous ne devons pas permettre que cela se reproduise.

Il existe toujours des points de convergence sur lesquels un processus de médiation peut s'appuyer. Le Yémen n'est pas différent. Nous continuerons de travailler avec les parties pour trouver une voie consensuelle vers la réalisation de ces objectifs mutuels et ouvrir la voie pour mettre un terme durable à ce conflit.

Une Yéménite déplacée se tient devant un abri de fortune qu'elle partage avec sa famille élargie.
OIM/Olivia Headon
Une Yéménite déplacée se tient devant un abri de fortune qu'elle partage avec sa famille élargie.

L'ONU considère l'inclusivité comme un principe fondamental de la consolidation de la paix. Comment êtes-vous en contact avec les différents acteurs et différents groupes de la société yéménite, y compris les femmes et les jeunes ?

Le modus operandi virtuel que la Covid-19 nous a obligés de suivre, nous a permis d'explorer de nouveaux outils d'inclusion qui nous ont ouvert les yeux à bien des égards.

Depuis le début du confinement à la mi-mars, nous avons lancé un plan d'inclusion numérique visant à informer régulièrement divers groupes yéménites sur l'avancement de la négociation avec autant de transparence que possible, sans compromettre la confidentialité requise pour assurer le succès de ce processus de médiation.

Ces groupes et individus comprenaient des femmes, des organisations yéménites et internationales, des professionnels des médias et de jeunes acteurs individuels de la société civile. Nous avons consulté ces personnes sur les termes de la Déclaration commune et discuté avec elles des moyens de rendre sa mise en œuvre aussi inclusive que possible L'une de ces réunions, par exemple, a été une réflexion avec des femmes yéménites sur les considérations de genre dans la mise en œuvre du cessez-le-feu.

Nous avons également organisé une consultation interactive virtuelle à grande échelle de deux jours avec plus de 650 Yéménites, principalement de la société civile. Plus du tiers des participants étaient des femmes et près de la moitié étaient des jeunes. C'était la première fois que quelque chose comme cela était fait au cours d'un processus de médiation actif.

La plupart des gens à qui nous avons parlé, l'écrasante majorité, pensent qu'il est nécessaire et urgent de commencer immédiatement un cessez-le-feu à l'échelle nationale. Ils estiment que la reprise du processus de paix est essentielle et attendue depuis longtemps. Ils s'accordent principalement sur l'importance et l'urgence de toutes les mesures humanitaires incluses dans la Déclaration commune.

Nous avons également entendu leurs préoccupations quant à la nécessité de garanties pour assurer un avenir démocratique, fondé sur les principes des droits de l'homme, une gouvernance responsable et l'égalité de citoyenneté. Et nous avons entendu très clairement leur frustration face au manque de progrès vers la fin du conflit alors que les Yéménites continuent de souffrir.

Nous partageons cette frustration. Ces craintes et ces préoccupations sont au cœur de notre planification pour l'avenir. Je suis personnellement très reconnaissant de l'engagement continu de tant de Yéménites et je suis touché par leur plaidoyer inspirant, courageux et infatigable pour un avenir pacifique pour leur pays.

Nous poursuivons l'expansion de nos activités de sensibilisation numérique, ainsi que des options de sensibilisation hors ligne pour atteindre les communautés locales qui ne bénéficient pas du même accès à Internet. Nous prévoyons en outre d'élargir nos réseaux yéménites d'avocats de la paix pour faire avancer le programme de paix dès maintenant, pendant le processus politique et pendant la transition.

Un bateau dans le port d’Hodeïda le 26 juillet 2018. Le port est le seul moyen d'acheminer de la nourriture et du carburant à l’intérieur du Yémen.
Photo : PAM/Fares Khoailed
Un bateau dans le port d’Hodeïda le 26 juillet 2018. Le port est le seul moyen d'acheminer de la nourriture et du carburant à l’intérieur du Yémen.

L'un des éléments de cette déclaration est le cessez-le-feu. Nous avons assisté récemment à une escalade militaire, y compris les récentes hostilités dans les gouvernorats de Mareb et Al Jawf. Cela vaut également pour la partie sud du pays. Je suis sûr que vous communiquez avec les parties concernées sur cette question. Que signifie la poursuite des combats pour les négociations en cours ?

L'escalade militaire continue rend tout plus difficile. Cela a un prix très lourd pour les civils de tous côtés. Cela intensifie le défi de répondre efficacement à l'épidémie de Covid-19. et exacerbe les souffrances humanitaires d'une population qui a déjà trop souffert au cours des cinq dernières années.

Je suis découragé de constater que, même si nos négociations progressent, nous continuons de voir la fervente quête de gains territoriaux supplémentaires pleinement affichée. Et il est regrettable que les combats ne se soient pas arrêtés ou ralentis, même avec le déclenchement de la pandémie.

Mais permettez-moi d'être clair sur deux choses. Premièrement, l’attaque contre Mareb est inacceptable. Je crains que cette agression ne compromette sérieusement les perspectives de paix au Yémen.

Deuxièmement, il n'est pas trop tard pour inverser la situation et reprendre le chemin d'une politique et de négociations pacifiques au lieu de chercher à résoudre le conflit par la force militaire.

Les parties affirment constamment qu'elles sont déterminées à arrêter les combats dès qu'un accord de cessez-le-feu sera conclu. J'attends des parties qu'elles agissent de bonne foi conformément à leur engagement initial de négocier l'accord de cessez-le-feu et de s'abstenir de poursuivre des opérations militaires actives pendant les négociations.

Des milliers de fonctionnaires yéménites n'ont pas perçu leur salaire depuis des années. Il y a aussi une crise croissante de pénurie de carburant dans le nord. L’Accord de Stockholm stipulait que les navires transportant du pétrole et des dérivés du pétrole seraient autorisés à passer par le plus grand port du Yémen, à Hodeïda, et que les recettes provenant du port seraient utilisées pour le paiement des salaires des fonctionnaires. Comment évaluez-vous les progrès de la mise en œuvre de cette disposition ?

L'année dernière, mon Bureau a négocié entre les parties un ensemble d'arrangements temporaires pour les aider à respecter l'engagement qu'elles ont pris à Stockholm de transférer les recettes perçues du port d'Hodeïda à la Banque centrale du Yémen via sa succursale d'Hodeïda (CBY-Hodeïda), comme contribution au paiement des salaires des fonctionnaires à Hodeïda et dans tout le Yémen.

Aux termes de ces accords temporaires, les parties sont convenues que les droits de douane, les taxes et autres revenus provenant de navires transportant du pétrole et des produits pétroliers dans le port d'Hodeïda seraient déposés dans un compte spécial à CBY-Hodeïda, et éventuellement décaissés conformément à un mécanisme convenu. pour les salaires des fonctionnaires.

Malheureusement, ces accords sont actuellement suspendus à la suite du retrait unilatéral des fonds accumulés sur ce compte par Ansar Allah au début de l'année. J'ai depuis demandé à Ansar Allah une série de mesures correctives, notamment en fournissant à mon Bureau des documents sur l'utilisation des fonds.

La suspension des dispositions temporaires a empêché les navires transportant du pétrole et des dérivés du pétrole d’entrer dans le port d'Hodeïda.

À la suite de ma récente visite à Riyad, le gouvernement yéménite a exceptionnellement accordé des autorisations pour quatre navires pour des raisons humanitaires et a indiqué qu'il était disposé à collaborer avec mon Bureau pour trouver une solution durable au problème. Je me réjouis de cette étape. Mais cela n'apportera qu'un soulagement temporaire.

Mon Bureau travaille de toute urgence avec les parties pour essayer de trouver une voie mutuellement convenue. Les revenus du port d'Hodeïda devraient être utilisés au profit des Yéménites comme contribution au paiement des salaires des fonctionnaires. En cette période critique, les Yéménites doivent également continuer d'avoir un accès régulier et ininterrompu au carburant. La pénurie de carburant aura de graves conséquences humanitaires sur la vie quotidienne des Yéménites et sur le secteur des soins de santé.

Martin Griffiths, Envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU pour le Yémen lors d’une réunion du Conseil de sécurité sur la situation dans ce pays du Moyen-Orient
Photo : ONU/Loey Felipe
Martin Griffiths, Envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU pour le Yémen lors d’une réunion du Conseil de sécurité sur la situation dans ce pays du Moyen-Orient

Quelle est la vision des Nations Unies pour l'avenir du Yémen ?

Notre vision et notre espoir pour l'avenir du Yémen est d'atteindre un point où les Yéménites disposent des outils pour prendre en main leur propre avenir sur la base des principes de la démocratie, des droits de l'homme, d'une gouvernance responsable et d'une citoyenneté égale. Nous aspirons à une période de transition qui inaugurerait un avenir politique marqué par le partage du pouvoir dans un esprit de consensus et de partenariat, où le dialogue pacifique remplace la violence et où toutes les composantes politiques et sociales de la société yéménite s’acceptent et travaillent ensemble pour le bien commun du pays.

Cela pourrait sembler un rêve lointain maintenant. L'omniprésence des violations des droits de l'homme, de l'intolérance et de l'exclusion a considérablement augmenté depuis le début du conflit.

Les fondements d'une vie politique saine ont été gravement endommagés, notamment en affaiblissant gravement les institutions publiques et la confiance de la population les concernant. Cela s'ajoute à l'érosion de la liberté et de l'indépendance des médias et de la société civile. Il existe également une tendance inquiétante à viser les opposants politiques et les professionnels des médias et à intensifier le discours sur la violence, la haine et le sectarisme. C'est inacceptable.

Cependant, je suis très encouragé et inspiré par le travail assidu des acteurs des droits de l'homme et de la société civile au Yémen. Je me souviens également toujours du grand exemple que le Yémen a donné à la Conférence de dialogue national, dont le résultat reste une référence dans le processus politique facilité par l'ONU. Une transition pacifique inclusive permettrait le renouveau du dialogue, favoriserait une fois de plus la tolérance et l'acceptation, et traiterait les griefs du passé en gardant un œil sur l'avenir.