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San Francisco 1945 : la conférence qui changea le monde

En 1945, les délégués de 50 pays se réunirent à San Francisco pour rédiger la future Charte des Nations Unies.
Photo ONU/Mili
En 1945, les délégués de 50 pays se réunirent à San Francisco pour rédiger la future Charte des Nations Unies.

San Francisco 1945 : la conférence qui changea le monde

À l’ONU

Du 25 avril au 26 juin 1945, les délégués de 50 pays se sont réunis dans la ville de San Francisco, aux Etats-Unis, pour travailler ensemble sur la rédaction de la Charte des Nations Unies. Retour sur cette conférence qui donna naissance à l’ONU et changea la diplomatie et les relations internationales contemporaines.

La Seconde guerre mondiale n’est pas encore terminée ce 25 avril 1945. Les forces alliées sont toujours à l’offensive sur le front du Pacifique. Le même jour Berlin est encerclé par les troupes soviétiques qui commencent à entrer dans les faubourgs de la capitale allemande et à environ 100 kilomètres au sud, les armées américaine et soviétique font la jonction sur le fleuve Elbe, coupant ainsi l’Allemagne nazie en deux.

A plus de 9.000 kilomètres à l’ouest, San Francisco s’est réveillée dans une atmosphère euphorique. La ville californienne a vu débarquer de nombreuses délégations étrangères. Les hôtels de la « ville au bord de la baie » ont été pris d’assaut par des diplomates et des journalistes du monde entier et ont dû transformer en quelques jours leurs salons, suites et chambres en bureaux de légations et de correspondants de presse.

Dans les bâtiments du War Memorial Opera House et du Veterans Building situés en face de la mairie de San Francisco, électriciens, charpentiers et déménageurs s’affairèrent jour et nuit à monter les scènes, lumières, câbles téléphoniques et bureaux pour accueillir la plus grande conférence diplomatique depuis celle de Versailles en 1919. Le programme prévu à l’époque pour la conférence était chargé : cinq jours de travail par semaine de 9 heures à 17h30 avec des séances également prévues la nuit.

La conférence de San Francisco avait la particularité d’être ouverte au public. Outre les nombreux journalistes venus couvrir l’événement diplomatique, le public pouvait assister aux séances en demandant des billets aux guichets sur la base du « premier arrivé, premier servi ».

Les chefs des délégations étrangères sont arrivés dans la « ville au bord de la baie » par avion, souvent depuis Washington où ils ont commencé leur voyage américain. Une partie de la délégation soviétique est arrivée par avion et bateau depuis la Sibérie. Mais les autres délégations et les journalistes ont du voyager trois ou quatre jours en train depuis New York ou Washington. « Le pèlerinage de San Francisco » leur a permis de découvrir les Etats-Unis d’est en ouest avant d’arriver dans la ville portuaire qui au printemps 1945 servait toujours de tête de pont pour les troupes américaines en partance pour le front du Pacifique.

Le français, langue officielle de la conférence, et de travail de l’ONU

Au deuxième jour de la conférence, les organisateurs décidèrent, à la demande de la France, que le français serait aux côtés de l’anglais, langue officielle de la conférence. Toutes les communications de la conférence furent donc traduites en français. En 1945, « il y a plus de diplomates qui comprennent le français que l’anglais », rappelait à l’époque le quotidien américain New York Times.

Georges Bidault, Ministre des affaires étrangères et chef de la délégation française à la conférence de San Francisco fit prévaloir le maintien du français comme langue officielle des Nations Unies, puis comme langue de travail du Secrétariat de cette Organisation avec l’anglais.

Le 28 avril, plusieurs délégués de la conférence célèbrèrent prématurément la capitulation de l’Allemagne nazie. Elle aura finalement lieu le 8 mai 1945. La capitulation du Japon interviendra le 2 septembre 1945.

La Conférence avait à son ordre du jour les propositions faites plus tôt à Dumbarton Oaks (Washington) pour rédiger une Charte acceptable par tous les pays. Les chefs des délégations des pays sous l'égide desquels se tenait la Conférence ont présidé à tour de rôle les réunions plénières : Anthony Eden (Royaume-Uni), Edward Stettinius (États-Unis), M. T. V, Soong (Chine) et Vyacheslav Molotov (Union soviétique). Au cours des séances ultérieures, Lord Halifax s'est substitué à M. Eden et M. Gromyko a remplacé M. Molotov.

Du 25 avril 1945 au 26 juin 1945, 850 délégués de 50 pays se sont réunis à San Francisco pour jeter les bases de la Charte des Nations Unies
Photo ONU/Rosenberg
Du 25 avril 1945 au 26 juin 1945, 850 délégués de 50 pays se sont réunis à San Francisco pour jeter les bases de la Charte des Nations Unies

Commissions préparatoires

Chaque partie de la Charte devait être approuvée à la majorité des deux tiers. Avant la tenue des réunions plénières, une grande partie du travail de rédaction fut réalisé au sein de commissions préparatoires.

La Conférence constitua un « Comité de direction » composé de tous les chefs de délégation. Ce comité devait décider de toutes les questions de principe et de politique les plus importantes. Composé d'un représentant par État, il comportait 50 membres. Un Comité exécutif, composé de 14 chefs des délégations, fut chargé de préparer des recommandations pour le Comité de direction.

Le projet de Charte fut ensuite divisé en quatre parties dont chacune fut examinée par une « commission ». Ces quatre commissions se sont subdivisées en 12 comités techniques.

La Première commission s'occupait des buts généraux de l'Organisation, de ses principes, de l'admission des membres, de l'organisation du Secrétariat et de la question des amendements à la Charte. La Deuxième commission examinait les pouvoirs et attributions de l'Assemblée générale. La Troisième commission se chargeait des questions concernant le Conseil de sécurité. La Quatrième commission étudiait le projet de statut de la Cour internationale de justice, préparé par une commission de juristes de 44 pays qui s'étaient réunis à Washington en avril 1945.

Divergences et controverses

La conférence de San Francisco n’a organisé que 10 séances plénières, mais il a fallu près de 400 séances de commissions et de comités au cours desquelles chaque texte était passé au crible. Il ne s'agissait évidemment pas seulement de rédaction et de terminologie. Les délégués se sont retrouvés en présence de sérieux conflits d'opinions et de divergences de vues, et même d'une crise ou deux qui firent craindre à quelques observateurs que la Conférence ne se sépare sans être arrivée à un accord.

Organisations régionales

Un des sujets de controverse fut la question des « organisations régionales ». Beaucoup de pays avaient conclu leurs propres accords de défense régionale et d'assistance mutuelle, comme par exemple, le système inter-américain et la Ligue arabe. Il s'agissait de décider comment rattacher de tels accords à l'organisation mondiale. La Conférence décida de leur réserver un rôle dans le règlement pacifique des différends et, dans certaines circonstances, dans l'exécution de mesures de coercition, à condition que les buts et les activités de ces groupes soient conformes aux buts et principes des Nations Unies.

Révision des traités

La Société des Nations avait mis au point un mécanisme pour la révision des traités entre les pays membres. L'Organisation des Nations Unies devait-elle créer un dispositif analogue? La Conférence décida finalement que les traités qui seraient conclus après l'établissement de l'Organisation seraient enregistrés au Secrétariat et publiés par celui-ci. Quant à leur révision, aucune disposition spéciale n'a été prévue, bien que l'Assemblée générale puisse recommander la révision d'un traité au cours d'une enquête sur une situation exigeant un règlement pacifique.

Régime de tutelle

La Conférence a ajouté un chapitre nouveau sur une question qui ne figurait pas dans les propositions de Dumbarton Oaks : la création d'un régime pour les territoires placés sous la tutelle des Nations Unies. Cette question a soulevé de longs débats. Le but de la tutelle devait-il être « l'indépendance » ou bien « l'autonomie » des populations de ces territoires ? Dans le premier cas, qu'adviendrait-il de régions trop petites pour pouvoir assurer leur défense par leurs propres moyens ? C'est « l'autonomie » qui a finalement été retenue. Ce terme impliquait l'indépendance - si la population de la région en question la désirait et était capable d'en assumer la responsabilité – ainsi que le droit de choisir un autre régime dans le cadre d'un groupe de territoires.

Cour internationale de justice

La juridiction de la Cour internationale de justice a suscité un très long débat, et la Conférence a décidé que les pays membres ne seraient pas obligés d'accepter la juridiction de la Cour mais qu'ils pourraient s'y soumettre bénévolement. La Conférence a également résolu, après une étude approfondie, la question de modifications éventuelles de la Charte.

Droit de veto

Mais, c'est surtout la faculté pour chacun des « Cinq Grands » (Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni et Union soviétique) d'exercer le droit de « veto » à l'égard d'une décision du puissant Conseil de sécurité qui a été longuement et âprement débattue. Il semblait à un moment que le désaccord sur cette question allait faire échouer la conférence. Les autres puissances craignaient que, si l'un des « Cinq Grands » (Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni et Union soviétique) menaçait la paix, le Conseil de sécurité ne fût incapable d'agir, tandis qu'en cas de conflit entre deux puissances qui ne seraient pas membres permanents du Conseil, les « Cinq Grands » pourraient agir de façon arbitraire. Elles tentèrent donc de restreindre le pouvoir du « veto ». Mais les grandes puissances insistèrent toutes sur l'importance vitale de ces dispositions, en soulignant que le maintien de la paix mondiale serait en grande partie leur responsabilité. Finalement, les petites puissances se sont inclinées pour ne pas faire obstacle à la création de l'Organisation.

Bertha Lutz du Brésil s'entretenant avec un autre délégué lors de la conférence de San Francisco
Photo/Rosenberg0
Bertha Lutz du Brésil s'entretenant avec un autre délégué lors de la conférence de San Francisco

Les Femmes à San Francisco

La conférence de San Francisco fut largement dominé par les hommes. Seulement 3 % des participants étaient des femmes. Celles-ci n’avaient le droit de vote que dans 30 des 50 pays alors représentés à la conférence en 1945. Néanmoins, la Charte fut le premier accord international à proclamer solennellement le principe d’égalité entre les sexes.

A San Francisco, quatre femmes signèrent la Charte des Nations Unies : Bertha Lutz du Brésil, Minerva Bernardino de la République dominicaine), Wu Yi-fang de la Chine et Virginia Gildersleeve des États-Unis.

Combien d’Etats à San Francisco ?

46 Etats étaient réunis à San Francisco le 25 avril 1945 à l’ouverture de la conférence. La conférence elle-même invita quatre autres États : la République socialiste soviétique de Biélorussie, la République socialiste soviétique d'Ukraine, le Danemark, qui venait d'être libéré, et l'Argentine. Les délégués des 50 pays qui signèrent la Charte des Nations Unies le 26 juin 1945 représentaient environ 80 % de la population du globe.

La Pologne, n'a pas pu assister à la Conférence de San Francisco, car la composition de son gouvernement avait été annoncée trop tard pour qu'elle puisse se faire représenter. Un espace fut laissé en blanc sur la Charte pour la signature de la Pologne, qui avait été l'un des signataires originaires de la Déclaration des Nations Unies. La formation du gouvernement polonais fut annoncée le 28 juin 1945. Le 15 octobre 1945, la Pologne a pu signer la Charte et devenir ainsi un des 51 membres fondateurs de l'ONU.

Adoption de la Charte à l'unanimité

Ce problème et plusieurs autres d'importance considérable ont été résolus parce que chaque nation était décidée à créer une organisation internationale sinon parfaite du moins aussi bonne que possible. C'est dans cet esprit que le 25 juin, les représentants s'assemblèrent pour une dernière séance plénière au War Memorial Opera House. Lord Halifax, du Royaume-Uni, qui présidait la séance, soumis le projet de Charte définitif : « De toute notre vie, dit-il nous ne pourrions voter sur une question plus importante que celle sur laquelle nous allons maintenant nous prononcer ».

Étant donnée l'importance historique de ce scrutin, Lord Halifax proposa qu'on procède non pas, comme d'habitude, à une adoption à main levée, mais par appel nominal. Tous les délégués se levèrent les uns après les autres. Puis, toute l'assistance, soit quelque 3.000 personnes, se leva également. Une ovation immense retentit lorsque le Président annonça que la Charte était adoptée à l'unanimité.

La Charte des Nations Unies est signée par une délégation lors d'une cérémonie organisée au War Memorial Building, le 26 Juin 1945. Photo : ONU / Yould
Photo ONU Yould
La Charte des Nations Unies est signée par une délégation lors d'une cérémonie organisée au War Memorial Building, le 26 Juin 1945. Photo : ONU / Yould

La signature de la Charte

Le 26 juin 1945, les délégués de 50 Etats se réunirent dans la salle Herbst du Veterans Building de San Francisco pour signer la Charte des Nations Unies et le Statut de la Cour internationale de justice. La Chine, première victime de l'agression d'une puissance de l'Axe, a eut l'honneur de signer le document en premier.

« La Charte des Nations Unies que vous venez de signer constitue une base solide sur laquelle nous pourrons édifier un monde meilleur. Cet acte qui entre dans l'histoire vous honore. Entre la victoire en Europe et la victoire finale dans la plus destructive des guerres, vous avez remporté une victoire sur la guerre elle-même... », avait déclaré le Président des Etats-Unis Harry Truman à la clôture de la conférence de San Francisco.

« Grâce à cette Charte, le monde peut commencer à entrevoir le moment où tous les êtres humains pourront vivre une vie décente d'hommes libres », avait ajouté M. Truman qui avait remplacé Franklin D. Roosevelt mort deux mois auparavant à la présidence des Etats-Unis.

Le Président américain fit observer ensuite, que la Charte des Nations Unies n'était valable que si tous les peuples du monde étaient déterminés à la mettre en pratique. « Si nous ne le sommes pas, nous trahirons ceux qui ont fait le sacrifice de leur vie afin que nous puissions nous assembler ici librement pour élaborer cette Charte. Si nous cherchons à nous en servir égoïstement, dans l'intérêt d'un pays quelconque ou d'un petit groupe de pays, nous serons également coupables de trahison », avait prévenu M. Truman. Un avertissement, qui résonne encore 75 ans plus tard.