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Les nouvelles technologies ne doivent pas entraver les manifestations pacifiques, estime l’ONU

Une manifestation à Los Angeles, États-Unis
Alex Radelich, Unsplash
Une manifestation à Los Angeles, États-Unis

Les nouvelles technologies ne doivent pas entraver les manifestations pacifiques, estime l’ONU

Droits de l'homme

Les nouvelles technologies doivent servir le droit à la manifestation pacifique et non l’entraver, a affirmé à Genève, la cheffe des droits de l’homme de l’ONU.

« Alors que les gens se rassemblent dans le monde entier pour protester contre le racisme, le droit de réunion pacifique n’a jamais été aussi important », a déclaré jeudi Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme.

Dans un communiqué, Mme Bachelet fait surtout référence à « la reconnaissance faciale » qui ne devrait pas être « déployée dans le cadre de protestations pacifiques sans que les garanties essentielles en matière de transparence, de protection des données et de surveillance soient en place ».

Une façon pour le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) de rappeler que cette technologie, qui permet « l’identification, la surveillance et le suivi automatisés des manifestants ». Le rapport note que de nombreuses personnes se sentent découragées de manifester dans des lieux publics lorsqu’elles craignent d’être identifiées et de subir « des conséquences négatives ».

En outre, la reconnaissance faciale peut également perpétuer et amplifier la discrimination, notamment à l’encontre des personnes d’origine africaine et d’autres minorités. Cette technologie peut également entraîner « une discrimination involontaire, car sa précision dépend de facteurs tels que la couleur de la peau ou le sexe ». Et l’expérience a montré des taux de précision plus faibles pour la reconnaissance des personnes à la peau foncée et des femmes.

« Lorsque la technologie de reconnaissance faciale est utilisée sur un grand nombre de personnes, même un faible taux d’erreur peut entraîner le repérage inexact de centaines d’individus », avance le HCDH. Une manière de dénoncer une pratique visant à « établir le profil des individus sur la base de leur ethnicité, leur race, leur origine nationale ou leur sexe ».

Moratoire sur l’utilisation de la technologie de reconnaissance faciale lors de manifestations pacifiques

Les nouvelles technologies ont joué un rôle dans un bon nombre de manifestations, soit en permettant leur organisation et leur coordination, soit en servant d’outil pour restreindre ou violer les droits des manifestants. Les services de Mme Bachelet invitent donc les États à éviter d’utiliser la technologie de reconnaissance faciale pour identifier les personnes participant pacifiquement à un rassemblement. Les Etats doivent aussi s’abstenir d’enregistrer les images des manifestants, sauf s’il existe des indications concrètes que les participants « se livrent ou se livreront à des activités criminelles ».  

Pour l’ONU, un moratoire sur l’utilisation de la technologie de reconnaissance faciale dans le cadre de manifestations pacifiques devrait être instauré, jusqu’à ce que les États remplissent certaines conditions, notamment » la nécessité de faire preuve de diligence raisonnable » en matière de droits de l’homme avant de déployer cette technologie. Ces conditions comprennent une surveillance efficace et indépendante de son utilisation, des lois strictes sur la protection de la vie privée et des données, et une transparence totale sur l’utilisation des enregistrements d’images et de la technologie de reconnaissance faciale dans le contexte des rassemblements.

Dans cette quête de transparence, la Haute-Commissaire appelle donc les États et les entreprises à veiller à ce que les nouvelles technologies, notamment la reconnaissance faciale et les armes dites « moins létales », soient développées et utilisées de manière à ne pas empêcher l’exercice du droit de réunion et d’expression pacifiques. « Comme nous l’avons vu, les nouvelles technologies peuvent être - et sont - utilisées pour restreindre et enfreindre les droits des manifestants, pour les surveiller et les suivre, et envahir leur vie privée », a fait valoir Mme Bachelet.

La surveillance des téléphones portables

Outre la reconnaissance faciale, des logiciels de surveillance sont également utilisés pour infiltrer les smartphones des manifestants, souvent après qu’ils aient été « dupés pour télécharger certaines applications ». « Le piratage des comptes de médias sociaux des manifestants et des organisateurs est également préoccupant », a souligné le rapport, qui détaille également « les dispositifs piratés » de certaines autorités publiques pour créer « de faux comptes ».

De cette façon, ces autorités se font passer pour des organisateurs de manifestations afin de pouvoir « diffuser de fausses informations. Un procédé qui pourrait mettre en danger » les activistes, y compris par le doxing (c’est-à-dire la publication malveillante d’informations personnelles pour encourager le préjudice physique des manifestants et des organisateurs).

La surveillance et l’interférence avec l’utilisation des téléphones portables par les manifestants est une autre pratique qui a « des répercussions négatives considérables sur les rassemblements ». Les autorités utilisent divers dispositifs se faisant passer pour des stations de base de téléphonie mobile pour intercepter le trafic des téléphones portables et suivre la localisation des utilisateurs de téléphones portables. « La surveillance technologique a été un facteur majeur du rétrécissement de l’espace civique dans de nombreux pays », reconnaît d’ailleurs le Haut-Commissariat.

A cet égard, le rapport détaille également la responsabilité des entreprises privées qui doivent, selon l’ONU, faire « preuve de diligence raisonnable en matière de droits de l’homme ». Ces compagnies sont ainsi invitées à garantir que les exigences de protection des données et de non-discrimination soient incluses dans la conception et la mise en œuvre de ces technologies. Surtout quand la surveillance technologique contribue largement « au rétrécissement de l’espace civique dans de nombreux pays » ou quand les nouvelles technologies élargissent « les capacités des autorités de l’État à surveiller les manifestations, les organisateurs et les participants aux manifestations ».

Les « dommages dévastateurs » de l’usage d’armes à létalité réduite

Dans ce rapport sur l’impact des nouvelles technologies sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans le contexte des manifestations pacifiques, le HCDH dénonce aussi le recours aux coupures d’Internet, « ce moyen particulièrement pernicieux ». Au moins 65 coupures de ce type ont eu lieu lors de manifestations en 2019, mettant en péril le droit de réunion pacifique en ligne et hors ligne. Les organisations de la société civile ont également documenté une hausse de plus de 30 % en 2019, avec 213 cas documentés de fermetures dans 33 pays.

Sur un autre plan, l’utilisation d’autres nouvelles technologies, en particulier les armes et munitions moins mortelles, est également examinée dans le rapport. Si les matraques, le gaz poivré et les gaz lacrymogènes sont utilisés par les forces de l’ordre depuis de nombreuses décennies, les progrès technologiques ont conduit au développement de nouveaux types d’armes et d’armes à létalité réduite qui sont utilisées pour réprimer les manifestants. Il s’agit notamment d’armes électriques à impulsions telles que les « Tasers », de projectiles à impact cinétique avancé, de boules de poivre et de lance-balles de poivre, d’armes et de drones acoustiques et de systèmes autonomes qui déploient des gaz lacrymogènes.

Or pour les services de Mme Bachelet, ces armes dites moins mortelles ont causé « des dommages dévastateurs » lors de manifestations pacifiques dans le monde entier. « Une arme moins létale peut tuer si elle est utilisée de manière inappropriée, que ce soit délibérément ou accidentellement », a ainsi mis en garde Mme Bachelet, plaidant pour « une formation obligatoire sur les armes moins létales pour le personnel chargé de l’application de la loi », tout comme la garantie de la responsabilité des violations des droits de l’homme liées à « leur utilisation abusive ».