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Iraq : l’ONU s’inquiète de l’équité des procès des combattants de Daech

La Représentante spéciale de l'ONU en Iraq, Jeanine Hennis-Plasschaert, lors d'une visite à Sinjar pour le 5e anniversaire des atrocités commises par Daech contre la minorité yézidie.
Photo MANUI/Sarmad As-Safy
La Représentante spéciale de l'ONU en Iraq, Jeanine Hennis-Plasschaert, lors d'une visite à Sinjar pour le 5e anniversaire des atrocités commises par Daech contre la minorité yézidie.

Iraq : l’ONU s’inquiète de l’équité des procès des combattants de Daech

Droit et prévention du crime

Malgré les efforts considérables des autorités iraquiennes pour traduire en justice les anciens combattants de l'État islamique d'Iraq et du Levant (EIIL/Daech), l'ONU a exprimé de « sérieuses préoccupations » quant à l'équité des procédures, dans un nouveau rapport publié mardi.

« Les violations des normes de procès équitable ont gravement désavantagé les accusés par rapport à l'accusation - avec une représentation juridique inefficace et des possibilités limitées de présenter ou de contester les preuves », constate le rapport conjoint de la Mission d'assistance des Nations Unies pour l'Iraq (MANUI) et du Bureau des droits de l'homme des Nations Unies (HCDH).

« Le recours excessif aux aveux, avec de fréquentes allégations de torture qui n'ont pas été traitées de manière adéquate - tout en constituant une violation des droits de l'homme en soi - a encore ajouté aux préoccupations », ajoutent les experts de l’ONU qui ont produit ce rapport. Ils constatent toutefois que les procédures sont généralement ordonnées et bien organisées, avec des juges préparés.

Une justice pénale juste et équitable

« Les responsables des atrocités généralisées commises contre la population iraquienne doivent rendre compte de leurs crimes, et il est important que les victimes voient que justice est rendue. Dans le même temps, les accusés ont droit à un procès équitable et ces normes doivent être strictement appliquées », a déclaré la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Michelle Bachelet.

Selon Mme Bachelet, un système de justice pénale juste et équitable est un élément central du mode de vie démocratique, et est essentiel pour établir la confiance et la légitimité, ainsi que pour promouvoir et protéger les droits de l'homme. 

« Il doit être clair que toutes les personnes soupçonnées de crimes - quel que soit leur pays d'origine et quelle que soit la nature du crime - doivent faire l'objet d'une enquête et de poursuites, avec les garanties d'une procédure régulière. La responsabilité, avec des procès équitables, protège les sociétés contre la radicalisation et la violence futures. Le travestissement de la justice, à la suite de procès entachés d'irrégularités - qui peuvent inclure la détention illégale et inhumaine, et la peine capitale - ne peut que susciter des griefs et la vengeance », a souligné Mme Bachelet.

Selon le rapport, les poursuites se sont principalement concentrées sur l’« association » ou l’« appartenance » à une organisation terroriste, sans qu'aucune distinction ne soit faite entre les personnes qui ont participé à la violence et celles qui ont rejoint l'EIIL pour leur propre survie, ou sous la contrainte.

Par exemple, la MANUI a observé un procès à Erbil où la femme d'un combattant de l'EIIL a été condamnée à trois ans de prison sur la base d'un témoignage d'un informateur selon lequel elle préparait des repas pour son mari et d'autres combattants.  

Dans une autre affaire, un garçon de 14 ans à Bagdad a été condamné à 15 ans de prison sur la base de l'admission que sa famille faisait partie des civils contraints d'agir comme « boucliers humains » pour protéger les combattants de l'EIIL contre les attaques aériennes.

Un enfant traverse les décombres d'un bâtiment qui a été détruit par une attaque aérienne lors des combats entre les forces de sécurité iraquiennes et l'EIIL dans l'ouest de Mossoul (11 mars 2017). Photo UNICEF/Alessio Romenzi
UNICEF/Alessio Romenzi
Un enfant traverse les décombres d'un bâtiment qui a été détruit par une attaque aérienne lors des combats entre les forces de sécurité iraquiennes et l'EIIL dans l'ouest de Mossoul (11 mars 2017). Photo UNICEF/Alessio Romenzi

Près de 800 procès suivis

Le rapport est basé sur le suivi indépendant de 794 procès,  menés dans le cadre des lois antiterroristes iraqiennes,  devant des tribunaux pénaux impliquant principalement des accusés de l'EIIL, qui se sont déroulés dans huit provinces iraquiennes du 1er mai 2018 au 31 octobre 2019. La majorité des audiences, soit 619, concernaient des personnes accusées de terrorisme.

Lors de leurs campagnes en Iraq et en Syrie, entre juin 2014 et décembre 2017, les combattants de l’EIIL/Daech ont commis des atrocités, y compris des meurtres de masse, des enlèvements et des destructions, qui peuvent constituer des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité voire même un génocide.

Plus de 20.000 dossiers liés au terrorisme ont été traités entre janvier 2018 et octobre 2019, et des milliers d'autres sont en cours.

L'ONU aide l'Iraq à promouvoir la responsabilité, la protection des droits de l'homme et la réforme judiciaire et juridique, par le biais de la MANUI.

Le rapport conjoint salue les efforts déployés par les autorités pour que justice soit faite et que les responsables des crimes commis par l'EIIL rendent des comptes.

Toutefois, les auteurs du rapport appellent à un examen approfondi des pratiques en matière de procès et de condamnation, afin de renforcer les procédures de justice pénale.

Les recommandations comprennent la révision des lois antiterroristes pour les rendre conformes au droit international, et la garantie que les avocats de la défense disposent de suffisamment de temps pour préparer et présenter leur dossier.

« Des garanties solides en matière de détention, de procédure régulière et de procès équitable ne démontrent pas seulement un engagement envers la justice : elles sont un élément nécessaire à la résilience. Nous sommes bien conscients que divers griefs, notamment les procès inéquitables et les mauvais traitements infligés aux détenus, ont été exploités dans le passé par l'EIIL pour alimenter son programme de violence », a déclaré la cheffe de la MANUI, Jeanine Hennis-Plasschaert.