L'actualité mondiale Un regard humain

Manifestations au Chili : les forces de l'ordre ont commis de graves violations des droits de l'homme (ONU)

Des manifestants descendent dans les rues de Santiago du Chili. Plus de 28.000 personnes auraient été détenues lors des manifestations au Chili , entre le 18 octobre et le 6 décembre, bien que la plupart d'entre elles aient été libérées.
ONU Info/Diana Leal
Des manifestants descendent dans les rues de Santiago du Chili. Plus de 28.000 personnes auraient été détenues lors des manifestations au Chili , entre le 18 octobre et le 6 décembre, bien que la plupart d'entre elles aient été libérées.

Manifestations au Chili : les forces de l'ordre ont commis de graves violations des droits de l'homme (ONU)

Droits de l'homme

Il y a des motifs raisonnables de croire qu'à partir du 18 octobre, des carabiniers et des membres de l'armée chiliens ont commis un grand nombre de violations graves des droits de l'homme y compris un recours excessif ou inutile à la force, entrainant des meurtres et des blessures, des torture et des mauvais traitements, des violences sexuelles et des détentions arbitraires.

C'est ce qu'affirme un nouveau rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (en anglais) portant sur les manifestations au Chili publié vendredi.

« Le contrôle des rassemblements par les carabiniers s'est effectué d'une manière fondamentalement répressive », indique le rapport, ajoutant que « certaines violations des droits de l'homme, en particulier l'utilisation inappropriée d'armes moins meurtrières et des cas de mauvais traitements, sont récurrentes dans le temps et dans l'espace ».

Le rapport, basé sur 235 entretiens avec des victimes et leurs familles  et 60 entretiens avec des officiers de l’armée et des carabiniers du Chili, dont certains ont été blessés au cours des manifestations, affirme que d'après les informations recueillies, « les carabiniers n'ont pas réussi à distinguer les manifestants pacifiques des manifestants violents ».

Les carabiniers et les forces armées chiliennes n'ont pas respecté les normes internationales en matière de contrôle des rassemblements et de recours à la force lors des récentes manifestations de masse et de l'état d'urgence, indique l’enquête.

Le rapport a été préparé par une équipe de terrain qui a enquêté sur les allégations au Chili au cours des premières semaines de novembre, dans sept régions du pays.  Il contient des allégations détaillées - avec des exemples précis - de torture, de mauvais traitements, de viol et d'autres formes de violence sexuelle commis par la police à l'encontre de personnes détenues, dont beaucoup semblent l'avoir été de manière arbitraire.

Selon les informations officielles, plus de 28.000 personnes ont été détenues entre le 18 octobre et le 6 décembre, bien que la plupart d'entre elles aient été libérées.

 

Des manifestants descendent dans les rues de Santiago au Chili.
ONU Info/Diana Leal
Des manifestants descendent dans les rues de Santiago au Chili.

Violences sexuelles et homicides

L’équipe du Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l’homme a documenté 113 cas spécifiques de torture et de mauvais traitements et 24 cas de violences sexuelles contre des femmes, des hommes, des garçons et des adolescents, perpétrés par des carabiniers et de membres de l'armée chilien lors des récentes manifestations dans le pays, ainsi que l'utilisation disproportionnée d'armes moins meurtrières, ayant causé des blessures oculaires à quelque 350 personnes.

Le rapport signale que l'Institut national des droits de l'homme a déposé des plaintes concernant des centaines d'affaires de ce type et que le Bureau du Procureur de la République a indiqué que des enquêtes sont en cours concernant 26 décès survenus dans le cadre de ces manifestations.

Le bureau des droits de l'homme de l'ONU a pu vérifier les informations concernant 11 des 26 décès. Sur ces 11 cas, quatre d'entre eux constitueraient « une privation arbitraire de la vie et d'autres décès illégaux impliquant des agents de l'État ». Dans deux de ces cas, la force meurtrière, sous forme d'armes à feu, semblerait avoir été utilisée en l'absence de tout risque pour la vie des civils ou du personnel militaire et contre des personnes qui ne participaient pas à des actes de violence.

« Cela va à l’encontre des normes internationales sur l'usage de la force et peut, selon les circonstances, constituer une exécution extrajudiciaire », affirme le rapport.

 

Des personnes manifestent dans les rues de Santiago, la capitale du Chili.
ECLAC/Guido Camú
Des personnes manifestent dans les rues de Santiago, la capitale du Chili.

Utilisation disproportionnée d'armes moins létales

L'enquête indique que, bien que le ministère chilien de la Justice ait signalé 4.903 blessés au 10 décembre, dont 2.792 agents des carabiniers, d'autres sources suggèrent l'existence d'un plus grand nombre.

L'intervention rapide des autorités responsables aurait pu empêcher d'autres personnes de subir des blessures graves

« Il y a eu un usage inutile et disproportionné d'armes moins meurtrières, en particulier d'armes antiémeutes, lors de manifestations pacifiques ou en dehors du contexte d'affrontements violents entre manifestants et forces de sécurité. Ce la a eu pour conséquence un grand nombre de blessés, y compris des passants et des personnes qui ne commettaient pas d'actes violents, mais qui protestaient pacifiquement.

En outre, le rapport affirme que le nombre alarmant de personnes souffrant de blessures aux yeux ou au visage, environ 350, démontre qu'« il y a de bonnes raisons de croire que des armes moins meurtrières ont été utilisées de manière inappropriée et sans discrimination, en violation des principes internationaux pour minimiser le risque de blessure ». Le document ajoute que si les lésions oculaires sont principalement dues aux granules, certains cas résultent également de « l'utilisation d'irritants chimiques, en particulier les gaz lacrymogènes et, dans certains cas, de l'impact des cartouches de gaz lacrymogène ».

Le rapport note en outre que les autorités disposaient d'informations sur l'ampleur de ces blessures depuis le 22 octobre, mais qu'aucune mesure efficace, rapide et opportune n'a été prise pour mettre fin à l'utilisation d'armes moins meurtrières, en particulier des fusils antiémeute à balles. « L'intervention rapide des autorités responsables aurait pu empêcher d'autres personnes de subir des blessures graves », affirme le document.

Dans son rapport, l'ONU met également en lumière un certain nombre de jugements récents des cours d'appel de tout le pays qui ont restreint l'utilisation des armes à feu dans les manifestations pacifiques et qui ont également limité ou interdit l'utilisation des gaz lacrymogènes dans certains endroits comme les hôpitaux.

 

Des manifestants dans les rues de Santiago, au Chili.
Photo Diana Leal
Des manifestants dans les rues de Santiago, au Chili.

Les institutions de l'État ont pris des mesures

L’equipe de l'ONU reconnaît que différentes institutions publiques ont pris des mesures pour garantir la tenue d'enquêtes sur les violations présumées des droits humains, l'accès à un avocat pour les détenus, l'accès aux services pour les victimes et la fourniture d'informations complètes, régulières et accessibles au public. Des décisions judiciaires ont également été rendues pour protéger les personnes qui exercent leur droit de réunion pacifique.

L'Institut national des droits de l'homme et le Bureau du Médiateur pour les enfants, en particulier, « se sont acquittés rapidement et efficacement de leur mandat de protection des droits de l'homme ».

En outre, le rapport indique que les manifestations au Chili ont des causes multiples, y compris les inégalités économiques et sociales. « La majorité des personnes qui ont exercé leur droit de réunion pendant cette période l'ont fait de manière pacifique. Toutefois, les forces de sécurité et leurs installations ont fait l'objet de nombreuses attaques. Il y a également eu des pillages et des destructions de biens pendant et en dehors des manifestations », précise le rapport.
 

Des manifestants descendent dans les rues de Santiago, au Chili.
ONU Info/Diana Leal
Des manifestants descendent dans les rues de Santiago, au Chili.

Recommandations pour l'avenir

Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les droits de l'homme (HCDH) recommande au Chili de cesser immédiatement l'utilisation aveugle de fusils anti-émeute et demande de limiter l'utilisation des gaz lacrymogènes aux situations où cela est strictement nécessaire, mais jamais aux établissements d'enseignement ou de santé.

« Les policiers devraient recevoir des instructions claires sur l'utilisation appropriée des gaz lacrymogènes, notamment en veillant à ce que les cartouches de gaz soient toujours tirées en angle raide, et jamais horizontalement, conformément aux normes internationales », souligne le rapport. Le HCDH recommande également une série de mesures spécifiques pour rectifier les pratiques policières et appelle le gouvernement à « veiller à ce que les forces de sécurité garantissent la responsabilité des violations des droits humains et reconnaissent ces violations ».

« Nous devrions envisager l'avenir de manière constructive, en reconnaissant ce qui s'est passé et en tirant des leçons », a déclaré la Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Michelle Bachelet.

Mme Bachelet a recommandé la mise en place d'un mécanisme de suivi, basé à Santiago et impliquant le Bureau régional des Nations Unies pour les droits de l'homme en Amérique du Sud ainsi que la participation active de la société civile, pour évaluer dans les trois mois la mise en œuvre des recommandations faites dans le rapport, ainsi que les recommandations des mécanismes internationaux des droits humains.

L'objectif de ce mécanisme de suivi serait d'établir des mesures visant à prévenir la répétition de ces événements tristes et inquiétants dans lesquels le Chili a été plongé au cours des deux derniers mois, d'autant plus que les manifestations se poursuivent dans tout le pays, mais avec moins d'intensité, et que nous continuons à recevoir des allégations de violations des droits humains,a  ajouté la Haut-Commissaire Les résultats des travaux de ce mécanisme devraient être rendus publics.

Pour ce rapport, l'équipe de Bachelet a reçu un large soutien de l'Institut national des droits de l'homme et du Bureau du Médiateur pour les enfants, ainsi que de membres de la société civile. Le gouvernement chilien a accordé aux experts le libre accès aux hôpitaux, aux centres de santé et aux lieux de détention, y compris les postes de police et les prisons.