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Syrie : possibles crimes de guerre par une milice pro-turque, selon l’ONU

Une femme avec un enfant dans ses bras le 11 octobre 2019 en Syrie, alors que des familles déplacées arrivent à Tal Tamer, fuyant l'escalade de la violence.
© UNICEF/Delil Souleiman
Une femme avec un enfant dans ses bras le 11 octobre 2019 en Syrie, alors que des familles déplacées arrivent à Tal Tamer, fuyant l'escalade de la violence.

Syrie : possibles crimes de guerre par une milice pro-turque, selon l’ONU

Paix et sécurité

La Turquie pourrait être considérée comme responsable des exactions commises en Syrie par les groupes armés qui lui sont affiliés, a déclaré mardi le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), soulignant avoir obtenu des images des meurtres, apparemment perpétrés par des combattants d’Ahrar al-Sharqiya près de Manbij.

« Nous avons reçu des informations et visionné deux séquences vidéo distinctes montrant ce qui semble être des exécutions sommaires perpétrées le 12 octobre par des combattants appartenant au groupe armé Ahrar al-Sharqiya, qui est affilié à la Turquie », a déclaré lors d’un point de presse ce mardi à Genève, Rupert Colville, porte-parole du Haut-Commissariat.

Selon les services de la Haut-Commissaire Michelle Bachelet, l’une des vidéos semble montrer des combattants se filmant en train de capturer et d’exécuter trois prisonniers kurdes sur l’autoroute al-Hassakeh - Manbij (M4). « Un seul des prisonniers semblait porter un uniforme militaire », a précisé M. Colville.

Le même jour, le HCDH a aussi reçu des informations indiquant qu’une femme politique kurde bien connue, Hevrin Khalaf, a été exécutée sur la même route, apparemment aussi par des combattants d’Ahrar al-Sharqiya. « La Turquie pourrait être considérée comme un État responsable des violations commises par les groupes armés qui lui sont affiliés, tant que la Turquie exerce un contrôle effectif sur ces groupes ou sur des opérations au cours desquelles ces violations ont été commises », ont prévenu les services de Mme Bachelet.

Une façon pour l’ONU de rappeler que les civils, ainsi que tous les individus hors des combats tels que les combattants capturés, doivent être protégés. « En vertu du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire, les exécutions sommaires constituent des violations graves - et peuvent constituer un crime de guerre », a fait valoir le porte-parole.

Le Haut-Commissariat exhorte les autorités turques à ouvrir immédiatement une enquête impartiale, transparente et indépendante sur ces deux incidents et à appréhender les responsables, dont certains devraient être facilement identifiables grâce aux images vidéo qu’ils ont eux-mêmes diffusées sur les médias sociaux.

La Turquie annonce le décès de 18 civils turcs

Par ailleurs, les services de Mme Bachelet ont souligné que les autorités turques ont fait état de la mort de 18 civils en Turquie, dont un bébé de neuf mois, victimes de tirs transfrontaliers de mortiers et de tireurs d’élite kurdes depuis le début de ce nouveau conflit la semaine dernière. De plus, depuis le début de l’offensive militaire turque le 9 octobre, le Haut-Commissariat a pu vérifier des informations sur plusieurs victimes civiles à la suite de frappes aériennes, de frappes au sol et de tirs de snipers.

« Le pire incident dont nous ayons connaissance jusqu’à présent, que nous cherchons encore à vérifier, est un rapport selon lequel au moins quatre civils, dont deux journalistes, ont été tués et des dizaines d’autres blessés lorsqu’un convoi de véhicules a été frappé par un raid aérien turc », a affirmé M. Colville, tout en précisant que l’attaque aurait eu lieu le dimanche 13 octobre sur l’autoroute Tel Tamor - Ras al-Ain.

De son côté, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) a pu confirmer la mort d’au moins 4 enfants et les blessures de 9 autres dans le nord-est de la Syrie. « Sept enfants auraient été tués en Turquie », a déclaré sa porte-parole, Marixie Mercado.

Ces hostilités n’épargnent pas les écoles et les services sanitaires pourtant déjà affaiblis par des années de conflit en Syrie. Selon l’UNICEF, au moins une école de Tal Abiad a été attaquée.

« Très tôt dans la journée du 13 octobre, des bombardements ont été signalés près du camp d’Ein Issa qui accueille quelque 13.000 personnes déplacées, dont environ 8.000 enfants », a ajouté Mme Mercado . Un nombre indéterminé de personnes du camp ont peut-être fui. Par ailleurs, 27 enfants non accompagnés âgés de 2 à 14 ans, dont 24 de nationalité étrangère, ont été évacués en toute sécurité vers la ville d’Ar-Raqqa. Une équipe médicale mobile de l’UNICEF doit leur rendre visite ce mardi.

Au moins 160.000 déplacés internes

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a également fait état de l’évacuation d’un centre de stabilisation des traumatismes situé au sud de Ras Al Ain le 12 octobre dernier après avoir été attaqué.

« Une attaque qui aurait fait deux blessés parmi le personnel de santé et détruit deux ambulances », a déclaré Tarik Jasarevic, porte-parole de l’OMS. Le même jour, l’hôpital de Ras Al-Ain aurait également été attaqué. « Il n’y a pas eu de victimes, l’installation ayant déjà été évacuée », a ajouté M. Jasarevic. Au total, dans toute la région, un seul centre de santé est entièrement opérationnel, selon l’OMS.

Plus largement, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (BCAH) a décrit la situation dans le nord-est de la Syrie, comme « très instable », avec des frappes aériennes et des attaques au sol qui ont continué d’être signalées dans de nombreux endroits.

Au moins 160.000 personnes auraient été déplacées depuis le début des opérations militaires turques en Syrie. « Des informations non confirmées font état de milliers de personnes en déplacement en raison des progrès constants de différentes forces dans de nombreux domaines », a déclaré Jens Laerke, porte-parole du BCAH.

Les organismes humanitaires se sont également préoccupés du sort des déplacés internes du camp d’Ein Issa. « Le camp est maintenant à la croisée des chemins entre trois forces différentes. Il reste une quinzaine de familles au camp de déplacés de Mabruka, qui a été évacué en raison de l’insécurité », relève le BCAH, tout en plaidant en faveur de la protection de tous les camps de personnes déplacées et de la garantie d’un passage sûr et sans entrave pour ceux qui restent et pour que les acteurs humanitaires puissent leur venir en aide.

Malgré la précarité de la situation sur le terrain, les partenaires humanitaires continuent de fournir une assistance vitale dans les camps de déplacés existants (à l’exception de Mabruka en raison de l’insécurité) et dans les camps les plus peuplés tels que Areesheh et Al Hol. Des efforts sont également en cours pour aider les personnes déplacées dans les nouveaux abris collectifs établis à Al-Hasakeh, Tal Tamer et Ar-Raqqa.

Le PAM a distribué de la nourriture à 83.000 personnes

Un chargement de 40 tonnes de fournitures médicales devait être acheminé ce mardi à Al-Qamishli. C’est dans ce contexte sécuritaire qu’a pris fin présentement le deuxième jour de la campagne de vaccination contre la poliomyélite. « La campagne en cours est terminé, 2.000 enfants du camp d’Al-Hol et 1.500 enfants du camp d’AL-Areesha ont été vaccinés au cours des deux derniers jours », a relevé le porte-parole de l’OMS, Tarik Jasarevic.

Le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) a annoncé aussi avoir assisté plus de 31.000 personnes. Il a ensuite acheminé une aide pour plusieurs dizaines de milliers de personnes supplémentaires. Avec l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), il a également pris en charge des personnes qui se sont réfugiées en Irak. Plusieurs centaines d’entre elles au total ont fui la Syrie. A noter qu’au moins 170.000 enfants pourraient avoir besoin d’une aide humanitaire en raison des violences, selon l’UNICEF.

Du côté du Programme alimentaire mondial (PAM), l’urgence a été de fournir une aide alimentaire immédiate à plus de 83.000 personnes fuyant les villes du Nord-est du pays. Le PAM a envoyé suffisamment d’aide alimentaire pour venir en aide à 130.000 personnes. Il a ainsi fourni des denrées alimentaires prêtes à être consommées aux familles nouvellement déplacées vivant dans des sites provisoires, tandis que celles qui restent dans des familles d’accueil reçoivent un colis alimentaire régulier.

« Le PAM a la capacité d’atteindre plus de 450.000 personnes dans le nord-est de la Syrie grâce à une série de colis alimentaires prêts à consommer, en mobilisant si nécessaire des stocks dans d’autres endroits », a déclaré Hervé Verhoosel, porte-parole du PAM.

Retrait des ONG internationales dans le nord-est

Toutefois, les hostilités menacent l’acheminement des biens humanitaires et commerciaux. Une situation qui peut avoir des répercussions négatives sur la vie de centaines de milliers de personnes.

Le PAM demande que les voies d’approvisionnement vitales restent ouvertes et sûres pour les livraisons humanitaires. « Toutes les parties au conflit doivent garantir un accès inconditionnel, sans entrave et continu à toutes les personnes dans le besoin en Syrie », a plaidé M. Verhoosel.

Face à cette situation, le BCAH a annoncé que « des retraits de personnel » ont été menés par certaines ONG. « En raison de l’instabilité de la situation sécuritaire, les ONG internationales travaillant dans la région sont en train de relocaliser leur personnel à Erbil et Dohuk, en Iraq », d’après le BCAH qui est également préoccupé par la sécurité de centaines d’employés syriens des Nations Unies et de leurs partenaires.

D’ores et déjà, l’OMS note qu’un certain nombre de partenaires du secteur sanitaire ont déjà suspendu leurs services en raison de l’insécurité, ce qui a encore perturbé l’accès aux services de soins de santé essentiels. Dans tout le nord-est de la Syrie, la pénurie d’agents de santé est généralisée car ils font également partie des personnes déplacées par l’insécurité actuelle, ce qui aggrave une situation déjà critique et prive davantage les populations mal desservies de l’accès aux soins médicaux.

Mais plusieurs agences de l’ONU ont annoncé la poursuite de leurs activités. Le PAM a ainsi confirmé la poursuite de leurs opérations malgré certaines difficultés dans la livraison dans certaines zones en raison de problèmes de sécurité.