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Syrie : la Commission d’enquête de l’ONU craint un massacre à Idlib

Le Président de la Commission d’enquête internationale indépendante sur la Syrie, Paulo Sergio Pinheiro. Photo ONU/Jean-Marc Ferré
Le Président de la Commission d’enquête internationale indépendante sur la Syrie, Paulo Sergio Pinheiro. Photo ONU/Jean-Marc Ferré

Syrie : la Commission d’enquête de l’ONU craint un massacre à Idlib

Droits de l'homme

En marge de la présentation de son nouveau rapport sur les mouvements de déplacés en Syrie, la Commission d’enquête de l’ONU a dit craindre un « massacre » à Idlib.

« Nous appelons les parties au conflit à ne pas prendre l’excuse de la présence de terroristes dans cette ville pour un massacre contre les civils », a déclaré le Président de la Commission, Sergio Paulo Pinheiro, lors d’un point de presse mercredi à Genève.

Le Brésilien a mis en garde contre cette « catastrophe pour les droits humains » et des conséquences d’une telle « crise humanitaire ».

Les enquêteurs de l’ONU rappellent d’ailleurs que les conditions de vie sont déjà désastreuses pour nombre de femmes, d’hommes et d’enfants civils à Idlib, en particulier pour ceux qui ont déjà été déplacés d’autres régions du pays et pour ceux qui vivent dans des territoires contrôlés par des groupes considérés comme terroristes.

D’autant que sur le terrain, ces derniers jours ont été marqués par des raids sur Idlib qui n’ont même pas épargnés des hôpitaux. « Il y a des indications sur la persistance d’attaques contre des infrastructures civiles et des centres de santé », a dit devant la presse le Président de la Commission.

Les enquêteurs de l’ONU mettent d’ailleurs en garde sur le fait qu’une grande partie des personnes déjà déplacées se trouvent actuellement à Idlib, où « une autre offensive lancée sans grand égard pour la vie civile engendrerait une crise humanitaire et une catastrophe pour les droits de l’homme ».

Eviter une reproduction du scénario d’Alep à Idlib

La Commission se penche notamment sur la présence de nombreux autres groupes armés qui sont arrivés à Idlib après avoir pu quitter d’autres zones au terme d’accords avec le gouvernement. « Pendant des mois, nous avons alerté sur le problème de rassembler toutes ces factions dans une région », a ajouté M. Pinheiro.

En attendant, la Commission redoute une répétition de ce qui a été constaté ailleurs en Syrie. « Si la situation dans cette ville venait à répéter celle observée à Raqqa ou dans la Ghouta orientale, ce serait un échec pour la communauté internationale », insistent les enquêteurs de l’ONU. Dans ces conditions, Paulo Sergio Pinheiro en appelle aux pays influents auprès des parties en conflit, qui ont soutenu ces déplacements de groupes armés, d'assumer désormais la responsabilité d’éviter de nombreux décès.

La Commission d’enquête demande donc à toutes les parties au conflit et aux États qui les soutiennent de faire tout ce qui est en leur pouvoir « pour empêcher un massacre à Idlib ». « Il faut trouver une solution politique à Idlib », souligne le Président de la Commission. 

« Les belligérants ont des obligations claires et précises pour épargner la population civile du fléau de la guerre et la présence de terroristes désignés ou d’objectifs militaires légitimes ne devrait amoindrir ces obligations », font remarquer les enquêteurs. Ces derniers plaident pour une stricte application du droit international, notamment les dispositions de la Convention de Genève, afin d’éviter une plus grande catastrophe à Idlib.

 

Le 29 août 2018, Yamen (à gauche), âgé de 11 ans, déplacé avec sa famille de la région de Homs, en Syrie, vit dans un camp dans la région d'Idlib.
Photo UNICEF/Amer Al Shami
Le 29 août 2018, Yamen (à gauche), âgé de 11 ans, déplacé avec sa famille de la région de Homs, en Syrie, vit dans un camp dans la région d'Idlib.

 

Des dizaines de milliers de personnes déplacées à la suite d’accords d’évacuation forcée

S’agissant du rapport proprement dit et qui doit être présenté le 17 septembre prochain au Conseil des droits de l’homme à Genève, la Commission conclut que de nombreux crimes de guerre ont été perpétrés entre janvier et juin en Syrie.

Aussi bien les forces pro-gouvernementales que les groupes rebelles sont critiqués au sujet de ces crimes commis à Alep, au nord de Homs, à Damas, dans la zone rurale de Damas, à Deraa et à Idlib. « La plupart des batailles ont été marquées par des crimes de guerre », fait-elle remarquer.

A cet égard, les enquêteurs citent ces attaques indiscriminées, ces assauts contre des sites protégés par le droit international humanitaire, le recours à des armes chimiques ou encore les déplacements forcés.

La Commission relève un niveau de déplacement sans précédent en sept ans de conflit en Syrie, avec plus d’un million de personnes déplacées ces trois derniers mois.

Au total, plus de 6,5 millions de personnes ont fui les violences en Syrie sans pour autant se réfugier dans d’autres pays. Des déplacés internes auxquels s’ajoutent plus de 5,6 millions de réfugiés syriens, dont 2,6 millions d’enfants, dans les pays voisins de la Syrie.

Dans tous les cas, « il est entièrement inexcusable qu’aucune partie à ce conflit n’honore ses obligations à l’égard des civils déplacés », a regretté M. Pinheiro.

L’examen de ce rapport a été aussi l’occasion pour les enquêteurs de l’ONU de se pencher sur ces importants déplacements qui ont été provoqués « par des trêves locales ». De janvier à juillet, des « dizaines de milliers de personnes » ont été affectées par ces accords d’évacuation forcée de civils qui ont déjà été qualifiés de crimes de guerre par les trois enquêteurs.

La Commission accuse Damas de trois attaques au chlore

Par ailleurs, la Commission reproche aux forces gouvernementales syriennes d’avoir bombardé au chlore cette année la Ghouta orientale et la province d’Idlib, ce qui constitue des crimes de guerre.

 « Pour reprendre la Ghouta orientale en avril, les forces gouvernementales ont lancé de nombreuses attaques à l’aveugle dans des zones civiles densément peuplées, en utilisant notamment des armes chimiques », peut-on lire dans le rapport qui précise que deux attaques au chlore ont eu lieu les 22 janvier et 1er février dernier dans un quartier résidentiel de Douma, dans la Ghouta orientale. La troisième attaque au chlore, dans la province d’Idlib, s’est produite le 4 février, avec le largage d’au moins deux barils contenant des charges de chlore dans le quartier de Talil à Saraqib.

Lors de toutes ces attaques, des femmes et enfants ont été blessés dans ces attaques, victimes de détresse respiratoire, ajoutent les enquêteurs.

« La Commission conclut qu’en ces deux occasions, les forces gouvernementales ou les milices affiliées ont commis des crimes de guerre en utilisant des armes prohibées et en lançant des attaques sans discrimination sur des zones de population civile dans la Ghouta orientale », conclut le rapport.