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Face au racisme, opposer la résistance des mots et de la citoyenneté – ENTRETIEN avec Rokhaya Diallo

Rokhaya Diallo, journaliste et écrivain antiraciste française d’ascendance africaine lors d'un entretien avec ONU Info au siège des Nations Unies à New York.
Photo: Alban Mendes de Leon/ONU Info (capture d'écran)
Rokhaya Diallo, journaliste et écrivain antiraciste française d’ascendance africaine lors d'un entretien avec ONU Info au siège des Nations Unies à New York.

Face au racisme, opposer la résistance des mots et de la citoyenneté – ENTRETIEN avec Rokhaya Diallo

Droits de l'homme

En mars 2018, Rokhaya Diallo, s’est rendue au siège de l’ONU à New York, à l’invitation du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH). ONU Info l’a rencontrée.

Aux côtés du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, et de Jesse Jackson, figure des droits civiques aux Etats-Unis, Mme Diallo, journaliste, écrivain française d’ascendance africaine a participé à la commémoration de la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale (21 mars) et de la Décennie internationale pour les personnes d’ascendance africaine (2015-2024).

Racisme, violences policières, discrimination à l’encontre des étrangers, indifférence face à la tragédie des migrants : Rokhaya Diallo est sur tous les fronts des combats contre les injustices touchant les personnes d’ascendance africaine ou tout simplement d’origine étrangère.

La visite de Mme Diallo à l’ONU s’est produite une semaine après l’assassinat de Marielle Franco, une élue brésilienne de Rio de Janeiro et activiste féministe, des droits LGBT, antiraciste qui a dénoncé les violences policières à l’encontre des minorités.

« Marielle Franco a dénoncé les institutions et il est fort probable que sa mort soit la conséquence de la dénonciation de ce racisme institutionnel », a déclaré Rokhaya Diallo dans un entretien accordé à ONU Info.

« Beaucoup de jeunes gens meurent parce qu’ils sont exposés à des préjugés »

Lors d’une précédente intervention aux Nations Unies à Genève en novembre 2017 toujours à l’invitation du HCDH, Rokhaya Diallo avait dénoncé ce qu’elle a qualifié de « racisme d’Etat » dans de nombreux pays d’Europe et des Amériques. La journaliste avait alors déclaré qu’une « grande partie du racisme de nos sociétés est produite par nos Etats, notamment par le biais de violences policières ».

« Beaucoup de jeunes gens meurent en fait tout simplement parce qu’ils sont exposés à des préjugés qui font qu’ils sont beaucoup plus contrôlés que le reste de la population et brutalisés davantage », a déploré Mme Diallo. « Aujourd’hui, beaucoup d’Etats ne garantissent pas le fait que la police joue son rôle tout simplement en protégeant tous les citoyens de manière égale et en ne considérant pas qu’une partie de la population, du fait de son afro descendance, est une menace », a souligné l’auteur d’un ouvrage intitulé ‘Racisme : mode d’emploi’.

« Malheureusement, dans de nombreux pays dans le monde, notamment là où elles sont minoritaires, les personnes d’ascendance africaine lorsqu’elles voient des personnes qui portent l’uniforme de la police – des personnes censées les protéger – elles ont peur parce qu’il y a beaucoup trop de personnes qui sont mortes entre les mains de la police », a dit Mme Diallo, citant des exemples aux Etats-Unis et en Europe.

Pour Rokhaya Diallo, le meurtre de Marielle Franco souligne l’importance de faire de la sécurité des personnes issues des minorités, en particulier des femmes, une question prioritaire.

« Sur internet, lorsque les femmes des minorités s’expriment, elles sont harcelées. Certains groupes d’extrême droite se mobilisent pour les pousser à sortir du champ de l’expression publique », a déclaré Mme Diallo qui a reçu et continue de recevoir des menaces de mort et d’appel au viol sur les réseaux sociaux. Des menaces qui l’ont poussé à réaliser un documentaire consacré aux ‘Réseaux de la haine’.

Pour la journaliste, les formes de violences sont multiples et ne se limitent pas aux agressions physiques. « Il y a des violences qui sont absolument abominables et tragiques comme celle qu’a subies Marielle Franco, mais il y a aussi des violences qui visent tout simplement à délégitimer certaines paroles, à restreindre leurs prises de parole, en les démotivant, en les décourageant », a-t-elle ajouté.

Des étudiants regardent un spectacle sur la discrimination réalisé par leurs camarades à l'école Barros Barreto, à Salvador, au Brésil.
Photo UNICEF/Claudio Versiani
Des étudiants regardent un spectacle sur la discrimination réalisé par leurs camarades à l'école Barros Barreto, à Salvador, au Brésil.

« Il y a une vraie difficulté à accepter le changement de visages »

Le 20 mars, le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, a appelé l’ensemble des citoyens à « toujours tenir tête aux dirigeants qui propagent leur vision toxique de la supériorité raciale - surtout lorsque ces derniers utilisent un ‘langage aseptisé’ pour dénigrer les migrants et les étrangers ».

Les personnes de couleur confrontées à de tels dirigeants politiques n’ont pas la vie facile, reconnait Mme Diallo. « Il est difficile de faire émerger des voix contre les dirigeants qui ont un pouvoir légitime lorsqu’ils sont producteurs d’un discours raciste », a-t-elle dit. « Ce que l’on peut faire, c’est peut-être solliciter les instances internationales et faire parler de ce qui se passe dans notre pays à l’étranger », a ajouté Mme Diallo qui voyage régulièrement hors de France pour partager son expérience dans la lutte antiraciste.

Au 21e siècle, les personnes d’ascendance africaine rencontrent toujours des difficultés à être reconnues comme des citoyens à part entière. « Dans les pays européens, qui sont des pays de longue histoire, et bien il y a une vraie difficulté à accepter le changement de visages, tout simplement », a déclaré Rokhaya Diallo qui a elle-même fait l’expérience de l’altérité dans son propre pays et fondé une association ‘Les Indivisibles’ pour lutter contre les discriminations et les préjugés subies par les personnes au physique non-européen. « Je suis née en France. J’ai grandi en France. Et je fais partie de ces Françaises et de ces Français auxquels on demande constamment d’où ils viennent, en imaginant que la réponse va être une provenance, un pays étranger ».

« Je ne suis pas venue en France, j’y ai toujours vécu, et j’y ai grandi. Je ne connais pas pour le coup d’autres pays », a dit la journaliste. « Il est important d’accepter l’idée que la France cela peut être aussi bien Inès de la Fressange et Catherine Deneuve que des gens qui me ressemblent, qui ont la peau noire, qui sont originaires d’Asie, d’Afrique subsaharienne, du Maghreb. C’est la France et c’est la même chose pour l’Europe ».

Rokhaya Diallo, journaliste et écrivain française d’ascendance africaine lors d'un entretien avec ONU Info au siège des Nations Unies à New York.
Photo: Patrick Newman/ONU Info (capture d'écran)
Rokhaya Diallo, journaliste et écrivain française d’ascendance africaine lors d'un entretien avec ONU Info au siège des Nations Unies à New York.

« C’est difficile de trouver de la motivation lorsqu’on est regardé de travers »

Aux personnes d’ascendance africaine ou tout simplement d’origine étrangère qui ne se sentent pas acceptées dans les sociétés où elles vivent, Rokhaya Diallo les appelle à simplement « résister sur le vocabulaire, sur la qualification citoyenne, c’est quelque chose qui est très important ».

« C’est difficile de trouver de la motivation lorsqu’on est regardé de travers, lorsqu’on est considéré en permanence comme appartenant à une forme d’altérité », a dit Diallo. « J’ai vraiment résisté en revendiquant le fait que j’étais une Française à part entière et en répondant aux personnes qui voulaient m’associer à d’autres pays que je ne connaissais pas, en répondant que j’étais ancrée dans ce pays-là et que mon droit de vote, ma voix lorsque je vote, a autant de valeur que celle de n’importe qui donc parfois ».

Face au racisme, Diallo estime que la mobilisation est plus facile « quand cela fait nombre », et recommande à tout un chacun de trouver des référents positifs dans l’imagerie populaire et politique symboles de courage politique et civique.

« J’admire beaucoup une femme comme Christiane Taubira qui est une Française qui a été députée, Ministre de la justice et qui est connue pour son combat pour les droits humains. Pour moi, c’est une source d’inspiration pour les plus jeunes ».

Rokhaya Diallo estime que chaque génération doit trouver sa source d’inspiration, afin de pouvoir s’y identifier et de « se dire que si d’autres avant nous ont eu le courage, on peut essayer aussi de trouver les mêmes ressources pour être courageux et essayer de résister à cela ».

Dans les sociétés occidentales devenues de fait multiculturelles, Rokhaya Diallo considère que les personnes d’origine extra européenne doivent être acceptées et reconnues comme telles. « Je pense que cela se joue beaucoup dans les productions culturelles notamment dans les films, dans les médias qui ne montrent pas toujours le visage multiculturel des pays européens », a dit celle qui est également réalisatrice, intervient régulièrement dans les émissions de télévision et de radio et a commencé sa carrière professionnelle dans le secteur audiovisuel.

Des filles, mères, grands-mères, sages-femmes, ministres, universitaires, activistes, travailleurs domestiques et un large éventail de femmes participent à la Marche des femmes noires contre le racisme et la violence à Brasilia, au Brésil (18 novembre 201
Photo: PNUD / Tiago Zenero
Des filles, mères, grands-mères, sages-femmes, ministres, universitaires, activistes, travailleurs domestiques et un large éventail de femmes participent à la Marche des femmes noires contre le racisme et la violence à Brasilia, au Brésil (18 novembre 2015 - Archives).

« Il faut vraiment qu’on transforme radicalement la manière dont on perçoit la migration »

Le drame des migrants réduits en esclavage en Libye et de ceux qui ont traversé la mer Méditerranée au péril de leurs vies pour atteindre l’Europe a révolté Rokhaya Diallo.

« Je trouve cela incroyable de vivre sur un continent qui consacre davantage d’argent pour protéger ses frontières pour empêcher les gens d’y venir au lieu de tout simplement secourir les gens qui risquent leurs vies, qui sont dans une situation d’une telle tragédie qu’elles sont prêtes à risquer leurs vies pour tout simplement atteindre les frontières européennes », a-t-elle dit. « Ça m’interroge sur l’humanisme ».

Pour cette amatrice de culture, la Renaissance a été le moment durant lequel l’Europe a été la plus prospère artistiquement et intellectuellement. « Et la Renaissance c’est quoi ? C’est la migration. La migration d’artistes d’un pays à l’autre », a-t-elle rappelé. « Léonard de Vinci, on l’appelle Léonard de Vinci mais il s’appelait Léonardo Da Vinci, et il était italien. Donc on en a fait un Français dans notre imaginaire mais il n’était pas Français », a souligné Mme Diallo. « Et c’est grâce à cette possibilité de migrer qu’il a pu nourrir l’art et la culture française ».

Pour Rokhaya Diallo, les migrants ne sont pas des personnes en quête d’assistanat mais volontaires. « Migrer ce n’est pas facile. Quand ont fait la démarche de migrer cela veut dire qu’on a du courage qu’on a envie de faire des choses et que l’on est prêt à offrir au pays qui nous accueille », a-t-elle souligné. « Il faut vraiment qu’on transforme radicalement la manière dont on perçoit la migration », a-t-elle ajouté. Un appel qui fait écho à celui de plusieurs responsables de l’ONU qui exhortent les Etats et leurs citoyens à ne pas regarder les migrants comme une menace mais comme une chance pour leurs sociétés.

Face aux promoteurs d’un discours de peur et de haine à l’égard des étrangers, Rokhaya Diallo souligne que la migration doit être comprise comme un processus protégé par les déclarations des droits humains. « Le droit de s’établir dans un pays qui n’est pas le sien est un droit qui est protégé et il faut tout simplement comprendre que c’est nécessaire pour notre survie en tant qu’Européen ».